Parfois, ça déborde un peu trop. Alors, elle écrit pour raconter. Beaucoup et souvent, mais toujours en pesant ses mots. Une démarche cathartique qui lui permet d’aller de l’avant. Travailleuse sociale et écrivaine, Charline Olivier ne peut aujourd’hui plus se départir de cette double casquette. Assistante sociale, diplômée d’Etat en 2000, la Rennaise aux yeux bleus a occupé de nombreux postes dans le champ social et socio-judiciaire. Après avoir évolué douze ans au centre départemental de l’action sociale d’Ille-et-Vilaine, elle a ensuite travaillé durant deux ans comme intervenante sociale en gendarmerie et deux ans au sein d’un centre pénitentiaire pour hommes. Elle exerce actuellement dans une association, au sein d’un service d’accompagnement social lié au logement. Dans son livre La rencontre au cœur du métier d’assistante sociale, paru en juin dernier, elle s’interroge sur ce qui fait l’essence d’un métier, sur ce que veut dire aujourd’hui aider les autres. Elle prend de la hauteur sur ses désillusions et explique comment cette profession souffre d’être méconnue. Page après page, elle raconte surtout avec sensibilité plusieurs rencontres marquantes qui ont bousculé sa vision du monde et ses a priori sur le métier.
« J’ai au moins un point commun avec toutes les prétendantes au titre de Miss France. Jeune fille, j’étais autant qu’elles opposée à la misère, à la famine et à toutes les guerres et j’aspirais à souffler sur le monde un vent de paix et d’amour », raconte-t-elle en préambule, un brin moqueuse.
La découverte de la série télé Pause café mettant en scène une assistante sociale, Joëlle Mazart, incarnée par la comédienne Véronique Jannot, sera le déclic qu’elle attendait. « Cette incarnation a inévitablement influencé mon choix pour ce métier. Cette vision idyllique de la profession a aussi biaisé mon regard sur la réalité quotidienne d’un travailleur social qui, lui, ne parvient pas, à chaque fin de journée, à apporter systématiquement réponse et réconfort à celui qui attend d’être aidé », explique-t-elle. La jeune diplômée fait ses premiers pas en tant qu’assistante sociale d’un centre communal d’action sociale (CCAS) rennais dans un quartier sensible. Elle prend alors « en pleine figure les histoires de gens traumatisés par les guerres des Balkans ou du Rwanda ». Que faire de toute cette souffrance ? « J’avais affaire à des personnes qui avaient peu de mots et qui exprimaient leur mal-être par le corps. » L’une d’elles est à l’origine de ses débuts littéraires. « La première fois que j’ai écrit, c’était juste après un entretien avec une maman qui m’avait expliqué que sa fille avait sauté sur une mine en Yougoslavie », raconte Charline. Qui accouche alors d’un texte qu’elle met en ligne sur le réseau social Myspace, comme on jetterait une bouteille à la mer. Avec retours immédiats et positifs de lecteurs très touchés…
Encouragée, Charline Olivier se met alors à écrire régulièrement pour Rue 89 de manière anonyme. « J’avais peur du regard de mes pairs. Dans nos métiers, nous ne sommes pas censés nous mettre en avant. Ça ne fait pas partie de la culture professionnelle », se justifie-t-elle. Alors qu’elle planche sur son premier livre, la jeune femme décroche un poste d’intervenante sociale en gendarmerie en 2013. Plus qu’un nouveau challenge, une expérience « fondatrice », particulièrement sur la problématique des femmes battues. « Les premières années, je pensais que de moi dépendait la résolution des problèmes de tous les gens que je croisais. Le poids sur mes épaules était énorme. J’ai mis beaucoup de temps à comprendre que ce n’est pas parce qu’on pense que c’est le moment que ça l’est pour les personnes en face de nous. Ce n’est pas parce que je ne supporte plus de voir les traces de coups sur le visage d’une femme qu’elle est prête à quitter immédiatement son mari. » Au bout de deux ans, nouveau changement. Charline intègre la prison de Vezin-le-Coquet, près de Rennes. « J’ai pris une grande claque », confie l’assistante sociale, qui n’en est pas sortie indemne. « Ces deux ans avec les détenus ont changé mon rapport au monde, à mon métier et à la souffrance. On y est éclaboussé par la détresse et la misère à longueur de journée. »
L’histoire d’un détenu la replonge dans l’écriture. Elle noircit des pages non stop pendant trois mois et publie son deuxième ouvrage, Derrière les murs : surveiller, punir, réinsérer ?. Charline Olivier y introduit le lecteur dans l’univers carcéral. Elle raconte la manière dont elle contribue à créer un espace de sécurité psychique propice à la réflexion sur le passage à l’acte délictueux. Tout en maintenant les liens avec les proches et l’extérieur de la prison. A sa grande surprise, ce livre a vraiment rencontré un public curieux d’en savoir plus sur les coulisses des lieux d’enfermement et sur la réalité du travail d’une assistante sociale. « On a un métier passionnant dans lequel on rencontre des gens différents tous les jours, mais ce qu’on fait n’est pas visible. Tout comme les gens avec qui on travaille », explique Charline Olivier.
Elle regrette que les travailleurs sociaux ne soient aujourd’hui convoqués dans les médias que pour leurs défaillances ou pour la mort d’un enfant. A cet égard, la mort de la petite Marina en 2009 aurait cristallisé une image négative de la profession. « On nous a enfermés dans un rôle d’échec. » L’assistante sociale reste pourtant persuadée que « si les gens savaient comment fonctionne l’aide sociale, il y aurait moins de rejet. » Après son expérience en prison, la Rennaise est retournée explorer le champ de la petite enfance puis celui du logement, qu’elle connaissait mal. « Je me suis alors rendu compte que j’envoyais autrefois des gens vers un CHRS (centre d’hébergement de réinsertion sociale) sans savoir ce que c’était », remarque-t-elle. En parallèle, elle a passé un diplôme universitaire en sciences criminelles. De nouveaux savoirs qui ont nourri la rédaction de son dernier ouvrage : un polar, pour lequel elle cherche encore un éditeur.
de La rencontre au cœur du métier d’assistant social (éd. érès, 2020), Charline Olivier est assistante sociale. Elle a aussi publié chez le même éditeur Derrière les murs : surveiller, punir, réinsérer ? La place du travail social en prison.