Une aide votée à l’unanimité dans l’hémicycle, c’est assez rare. La question des jeunes majeurs, dont la situation s’est encore plus dégradée pendant la crise du Covid, a mobilisé l’ensemble des députés, et apparaîtra dans le projet de loi de finances rectificative pour 2020.
Pour Jérôme Voiturier, directeur général de l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux), qui réunit des associations de solidarité : « Cette aide importante est un signe fort que nous saluons. Il est toutefois essentiel, en plus du volet financier, de proposer un soutien global à ces jeunes en rupture de famille, un plan d’accompagnement impliquant un projet individualisé d’insertion sociale. »
Un point de vue partagé par Fouzy Mathey, ex-enfant placée et cofondatrice de Repairs 94, un réseau d’entraide aux jeunes sortant de l’ASE : « C’est très bien, mais nous attendons depuis longtemps un plan concret d’accompagnement : il faudrait 300 millions pour que ça soit effectif, que ça marche ! »
L’enjeu est de taille : un quart des jeunes de moins de 25 ans qui vivent aujourd’hui dans la rue sont passés par l’ASE. « A 18 ans, leur sortie est vécue comme un couperet, une nouvelle rupture », explique Isabelle Lacroix, sociologue et chercheuse associée à l’Institut national pour la jeunesse et l’Education Populaire. « Les contrats jeunes majeurs, mis en place en 1975 pour maintenir une prise en charge jusqu’à 21 ans, ont été réduits drastiquement ces dernières années par les départements, et les critères d’entrée, de plus en plus sélectifs, excluent ceux qui sont le plus en difficulté. »
Depuis 2018, la question des sortants de placement a été portée par des anciens de l’ASE, réunis en associations, et des recherches et rapports publics comme celui d’Antoine Dulin, pour le Conseil économique, social et environnemental (Cese)(1). Ils soulignent les difficultés de ces jeunes, livrés à eux-mêmes et sans ressources à l’âge de 18 ans.
« La question de la fin des “sorties sèches” de l’ASE, est un engagement du président de la République depuis septembre 2018, dans la stratégie de lutte contre la pauvreté », explique Antoine Dulin. « Malheureusement, deux ans après, peu de choses ont changé. La loi “Bourguignon”, qui à l’origine entendait rendre obligatoire la prise en charge des jeunes par les départements jusqu’à 21 ans, et portait beaucoup d’espoir, a été amendée et dénaturée, et n’a toujours pas été audiencée par le Sénat. L’amendement d’Adrien Taquet est un signal positif qui encourage les départements à soutenir les jeunes majeurs et montre que cette question reste une priorité gouvernementale. Mais il faut maintenant sécuriser leurs parcours d’une façon obligatoire, avec un droit à l’accompagnement jusqu’à l’entrée réussie dans la vie active, c’est-à-dire jusqu’à 25 ans. Ce qui correspond à l’obligation alimentaire des parents. »
Aujourd’hui, le Cese estime qu’un tiers seulement des sortants de l’ASE, bénéficie de contrats jeunes majeurs, dont la durée varie de 3 mois à 1 an.
« Interrompre brutalement le soutien à ces jeunes, conclut Antoine Dulin, est un gâchis économique, éducatif, et social. La recommandation du Cese, et de nombreuses associations et collectifs comme Cause majeure !, est d’encourager la mise en place d’un système national de revenu minimum, de la valeur du RSA, complété d’un accompagnement psycho-social. ». Une question reste en suspens au moment où de boucler les ASH : qui portera ces questions au sein du gouvernement Castex ? Dépendront-elles d’un secrétariat d’Etat à la protection de l’enfance ou à la famille, ou seront-elles incluses dans le plan à venir pour l’insertion des jeunes ?
(1) « Prévenir les ruptures dans les parcours en protection de l’enfance », paru en juin 2018 – https://bit.ly/2ZvDvZC.