Attachement, emprise, abandon, abus, rejet… Si l’amour est un moteur, il peut aussi être destructeur. Dans une famille, être trop, peu ou pas aimé laisse des traces. Des blessures que des professionnels ou des institutions sont invités à prendre en charge. Mais quelle place pour les affects dans cet accompagnement des enfants, des jeunes et des adultes ? C’est, dans le travail social, une question centrale trop peu abordée, ou exclusivement sous l’angle de la « bonne distance », selon la terminologie consacrée. Pourtant, bien que les professionnels s’en défendent de peur qu’elle nuise à leur pratique, la dimension affective fait partie de la rencontre. Elle en est « la face cachée », souligne le psychologue et psychanalyste Daniel Coum, qui a coordonné un ouvrage sur le sujet. « La demande d’aide, quand le parent qui s’adresse à nous la formule, est toujours plus ou moins demande d’amour qui prend sa source d’avoir été inévitablement insuffisamment satisfaite. » « Oser » l’amour dans l’action sociale exige une prise de risque, et la conviction qu’un enfant peut avoir plusieurs pères ou plusieurs mères. Une théorie à contre-courant soutenue par l’analyste dans la clinique du placement familial et qui permettrait aux enfants pris en charge par les services sociaux de profiter de substituts parentaux ou de figures parentales combinées. A défaut, selon lui, « ces enfants souffrent d’être délaissés par des éducateurs ou des assistants familiaux qui interprètent leur professionnalisme sur le mode de la neutralité, de l’expertise, du non-engagement, du défaut d’investissement relationnel affectif ». Indépendamment des liens de filiation, la chercheuse Catherine Sellinet(1) a montré que les enfants pouvaient cumuler plusieurs liens d’attachement sans être obligatoirement confrontés à un conflit de loyauté envers leurs parents biologiques. D’une part, celui-ci n’existe que si le jeune placé a le sentiment d’appartenir à une famille ; d’autre part, ce qui constitue une famille est avant tout la mémoire et les expériences partagées.
« Par-delà l’amour et la haine dans les liens familiaux et le travail social » – Sous la direction de Daniel Coum – Ed. érès, 25 €.