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La représentation des personnes âgées : un enjeu majeur

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Les personnes accompagnées doivent être au centre des politiques qui les concernent, et contribuer à leur élaboration. Alors que doit se préparer la loi « grand âge et autonomie », Stéphane Landreau, secrétaire général de la Fnaafp-CSF, plaide pour que les personnes âgées, y compris dépendantes, soient reconnues comme des citoyens à part entière.

« J’ai toujours été frappé, dans les instances et réunions consacrées aux questions du vieillissement dans lesquelles j’ai siégé, par l’absence des personnes concernées. Certes, on y retrouve des personnes “âgées”, mais toutes sont encore dans la “fleur de l’âge”, actives, pleinement insérées dans la société. Certes, leur parole doit être prise en compte, mais une question se pose : où sont les personnes en perte d’autonomie, les personnes isolées ? Par définition, elles ne sont jamais représentées.

Vous pourriez me dire que c’est le cas dans d’autres instances pour d’autres publics, et vous auriez raison : où sont les plus fragiles, les oubliés, les précaires, les sans grade ?

J’ai longtemps travaillé auprès des personnes en situation de handicap dans une grande association nationale. Là, j’ai pu voir à l’œuvre une politique de représentation par les personnes elles-mêmes. Cette politique n’est pas simple, elle pose des problèmes et des questions, mais elle change tout ! Quand des personnes concernées discutent avec un financeur, son propos ne peut être le même. Quand les décisions ont un impact direct sur la vie quotidienne des gens, et que l’une des personnes concernée est en face de vous, la question financière vient percuter la réalité quotidienne, ce qui change la donne.

Bien sûr, des associations, des syndicats, portent avec talent et acharnement la cause des plus fragiles de notre société, et leur travail est non seulement essentiel, mais admirable car il nous ramène à l’humain qui doit être au centre des politiques publiques.

Mais est-ce suffisant ? Non, clairement. Nous avons besoin d’écouter et d’entendre directement la parole de celles et ceux qui ne l’ont justement jamais. L’absence d’organisation structurée, de lobbying fait par ces personnes les rend invisibles dans le débat public, et leur parole est systématiquement portée par d’autres.

La politique nationale en direction des personnes âgées est élaborée par les politiques, et par les professionnels, certes brillants, parfois à l’écoute des personnes, mais qui ne sont pas concernés directement par les politiques qu’elles et ils mettent en place.

Les premiers intéressés absents des débats

Prenons la question du maintien à domicile. De brillants esprits (ce n’est pas ironique, je le précise avant d’être taxé d’“Ehpad bashing”) ont inventé le concept d’“Ehpad à domicile”. Outre l’incongruité de l’association des deux termes, on peut s’interroger sur la pertinence du concept. Imagine-t-on qu’une personne concernée ait un jour souhaitée la création de telles structures ? Qui a pris la peine de les consulter en amont et de recueillir leurs besoins ? Ce qui se passe le plus souvent, c’est que nous, les professionnels (et je m’inclus dans le lot), imaginons des solutions, des dispositifs que nous pensons les plus adaptés, en fonction de notre vécu. Mais ne nous mentons pas, en fonction aussi de notre secteur d’activité. Bien sûr, les personnes interrogées peuvent “valider” a posteriori ces dispositifs, mais on le sait bien, valider l’existant quand on imagine que c’est la seule solution possible n’est pas la même chose que participer à l’élaboration des solutions que l’on souhaite vraiment.

Alors comment faire ? La sous-représentation, pour ne pas dire l’absence des personnes âgées les plus précaires, est également liée à nos représentations sociales. Quel rapport avons-nous avec le vieillissement, qu’est-ce qu’être “vieille” ou “vieux” ? On est toujours la “vieille” ou le “vieux” de quelqu’un ! L’âgisme est un fléau, les discriminations à l’égard des personnes âgées augmentent dans les saisines du défenseur des droits : accès à la santé, à l’emploi, aux prêts bancaires, au logement… Les discriminations liées à l’âge sont nombreuses et souvent méconnues ou collectivement acceptées : n’est-il pas normal de ne pas permettre l’accès à certains traitements quand on n’a plus que quelques (?) années à vivre ? Prenons garde à ne pas construire une société de l’exclusion des plus âgés, comme des plus précaires. La loi “grand âge autonomie” qui arrive est l’occasion de rappeler la pleine citoyenneté de toutes et tous, et notamment des plus âgés. Certes la loi ne fait pas tout, mais elle permettra, espérons-le, d’affirmer des droits et la pleine citoyenneté des personnes avançant en âge.

Des avancées insuffisantes

La loi de 2002(1) a permis des avancées incontestables dans le domaine de la représentation des usagers, notamment avec la mise en place des conseils de la vie sociale (CVS). Mais soyons honnête, pour quelques structures qui font un travail remarquable pour associer leurs usagers ou résidents à la vie de leur établissement, combien laisse “vivoter” leurs instances parce que “ce n’est quand même pas facile de mobiliser les usagers”. Non, ce n’est pas facile, mais c’est juste essentiel. Il faut un deuxième élan dans ce domaine, avec plus d’ambition, plus de moyens, et un vrai impact sur les décisions. Il faut aller jusqu’à intégrer les personnes concernées dans les conseils d’administration, leur donner voix délibérative, et pas juste les consulter pour savoir si le menu du jour leur convient. Il faut faire de la place des personnes accompagnées le centre de la politique qui doit avoir pour unique ambition de répondre à leurs besoins.

Il faut aussi laisser une place importante aux personnes concernées dans les instances décisionnelles. C’était par exemple l’ambition de la loi de 2005(2) lors de la création de maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Mais il ne s’agit pas prioritairement de créer de nouvelles instances dédiées au grand âge (même s’il faut certainement le faire). Il s’agit d’abord de mettre en œuvre une politique transversale de l’âge, comme pour le handicap d’ailleurs. Les politiques de transport, de logement, de loisirs, de justice… doivent intégrer la représentation des personnes concernées, dont les personnes âgées les plus fragiles, dans leurs instances.

Il faut aussi pour cela que notre regard change, que notre société accepte de réfléchir et de travailler au rythme des moins rapides d’entre nous. Valoriser l’expertise, l’expérience, le dialogue, plutôt que la rapidité et la performance dont on peut douter tous les jours de la pertinence. Prendre le temps de rencontrer l’autre, le plus lent, le plus fragile, le plus isolé a bien plus à nous apporter, j’ose le dire ici, que des consultations menées au pas de course avec des aéropages d’“experts” (dans lesquels, en passant, les “expertes” sont bien souvent absentes !).

Et puis, il faut bien le dire, notre regard sur la fin de vie, sur la mort, dans notre société est difficile. On le voit bien, les débats sur la fin de vie restent compliqués. Le succès très relatif des directives anticipées montre à quel point il nous est difficile de regarder devant nous et d’envisager une diminution de nos capacités. Les nouvelles et nouveaux retraités rechignent bien souvent à s’engager sur les questions de la perte d’autonomie, miroir de ce qui pourrait leur arriver dans un avenir que chacun renvoie à un futur lointain. L’image du retraité dynamique, qui voyage, actif socialement est bien plus rassurante. Et elle correspond indéniablement, et heureusement, à une réalité. Mais il nous faut aussi regarder l’autre facette du grand âge : la perte d’autonomie, la maladie, la solitude, la mort, sans quoi nous laissons de côté tout un groupe de personnes, qui rejoignent ainsi la cohorte des plus précaires mis au ban de notre société. Pour que ces problèmes soient enfin à l’ordre du jour, nous devons les regarder en face, rendre ces personnes visibles, leur donner vraiment la parole et les impliquer enfin dans les politiques qui les concernent.

Ce changement de société, car c’est de cela qu’il s’agit, est-il possible ? Je veux y croire si collectivement nous le portons. »

Notes

(1) Ndlr : loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.

(2) Ndlr : loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Contact : www.fnaafp.org

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