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Vers une nouvelle vision des maisons de retraite

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Entre la crise sanitaire, le « Ségur de la santé », la future loi « grand âge » et la cinquième branche autonomie, l’avenir de la prise en charge et de l’accompagnement des personnes âgées est au cœur des débats. L’occasion d’opérer un changement de paradigme et de sortir d’une approche très médicalisée pour aller vers une démarche plus humaniste et personnalisée.

La loi du 2 janvier 2002, rénovant l’action sociale et médico-sociale, a fixé de nouvelles règles relatives aux droits des usagers. Celle-ci réaffirme « la place prépondérante » qu’ils occupent et « entend promouvoir l’autonomie, la protection des personnes et l’exercice de leur citoyenneté ». En outre, l’usager se voit assurer « une prise en charge et un accompagnement individualisé de qualité favorisant son développement, son autonomie et son insertion, adaptés à son âge et à ses besoins, respectant son consentement éclairé qui doit systématiquement être recherché lorsque la personne est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision ». Dans les faits, les politiques vieillesses de ces dernières années ont été très médico-centrées et ont essentiellement eu pour objectif d’apporter une réponse aux besoins premiers des personnes âgées (se laver, se nourrir, être soigné…). Mais les choses bougent. Le fonctionnement des Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) est régulièrement pointé du doigt et, aujourd’hui, les professionnels entendent mieux répondre aux attentes et aux aspirations des personnes âgées. Pour ce faire, de plus en plus d’établissements forment leurs personnels à des méthodes innovantes et alternatives comme Montessori ou Humanitude.

Du « toucher utile » au « toucher tendresse »

« On insiste beaucoup pour faire en sorte que, même en Ehpad, les résidents se sentent chez eux. Mais une fois que l’on a dit cela, il faut réellement le faire », affirme Elise Gambier, dont l’Ehpad public qu’elle dirige, La Maison de Jeanne à Villers-Bocage (Calvados), est labellisé Humanitude depuis novembre 2018. Créée il y a une trentaine d’années, l’Humanitude est une philosophie du soin et de la relation qui a modifié en profondeur le monde de la gériatrie. Inventée par deux anciens professeurs d’éducation physique et sportive, Yves Gineste et Rosette Marescotti, elle propose une autre approche des soins dispensés aux personnes fragilisées et dépendantes. Le but ? Les réhabiliter dans leur dignité et améliorer les relations entre patients et soignants. Créé et délivré par l’association Asshumevie, le label Humanitude s’adresse aux Ehpad, aux services d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad), aux établissements sanitaires et aux structures pour personnes en situation de handicap. Il repose sur cinq principes, déclinés en 300 critères et indicateurs : zéro soin de force sans abandon de soin, 100 % des soins en douceur ; respect de l’intimité et de la singularité ; vivre et mourir debout ; ouverture sur l’extérieur ; lieu de vie, lieu d’envies. Pour obtenir le label, le personnel de l’établissement devra respecter les quatre piliers de la méthode de soins. A savoir, le regard : il doit s’échanger face à face, les yeux dans les yeux, à hauteur du visage. Ensuite, la parole qui doit annoncer et expliquer chaque geste. Le toucher : il s’agit de transformer le « toucher utile » en « toucher tendresse ». Et enfin, la verticalité : une personne âgée correctement accompagnée peut et doit vivre debout au moins 20 minutes par jour. « L’objectif de cette méthode est de mettre en place un meilleur accompagnement afin qu’elle devienne actrice de son projet », souligne Elise Gambier. Et la présidente d’Asshumevie d’ajouter : « Des établissements où les résidents sont grabataires, allongés dans leur lit, la bouche ouverte, les yeux fermés toute la journée et non habillés, c’est impossible dans un établissement labellisé Humanitude. Nos structures vivent au lieu d’être des mouroirs. C’est une autre vision des maisons de retraite. »

Un lieu de vie et d’autonomie

D’autres pistes existent pour replacer la personne âgée au cœur de la vie des établissements et préserver leur autonomie le plus longtemps possible. C’est le cas de la méthode Montessori du nom de la pédagogue italienne, Maria Montessori, qui l’a mise au point au début du XXe siècle. Issue du monde de la petite enfance, cette approche éducative, qui place l’élève au centre des apprentissages, commence peu à peu à s’immiscer dans les Ehpad. L’initiative en revient au psychologue et chercheur américain Cameron Camp, spécialiste de l’accompagnement des personnes âgées, en particulier ceux souffrant de troubles cognitifs comme la maladie d’Alzheimer. « Plus qu’une pédagogie, Maria Montessori a amené une philosophie de vie. Sa vision est que tout humain a des compétences. Il faut permettre leur éclosion. Dès lors, automatiquement, il va conserver son estime de lui-même, sa capacité de réaction, d’analyse, de critique… La vision c’est d’aller chercher les capacités chez l’autre et de lui donner une vie qui a du sens », assure Véronique Durand-Moleur, directrice de la société AG&D, un organisme de formation qui dispense la méthode.

L’accompagnement ne se fait plus au regard de la maladie mais bien au regard de la personne en se focalisant moins sur ses troubles que sur ses capacités préservées. L’idée étant de ne pas de faire à sa place, mais de l’aider à faire seule. Selon Jérôme Erkès, neuropsychologue et directeur « recherche et développement » de la société AG&D, cette démarche permet de mieux répondre à ses besoins psychosociaux : « La personne a besoin d’avoir du contrôle sur sa vie afin de pouvoir continuer à avoir un impact sur les choses du quotidien. Elle a également besoin d’avoir des activités, des objectifs, du lien social. Elle doit pouvoir avoir des interactions positives avec des personnes qu’elle connaît, comme les appeler par leur prénom, discuter avec elles… »

Dans les établissements où elles sont pratiquées, ces méthodes permettent souvent aux résidents de diminuer leur consommation de médicaments, particulièrement les anxiolytiques et les somnifères. Pour autant, il existe encore un certain nombre de freins à leur généralisation. Historiquement, le vieillissement est d’abord perçu dans la société française comme une pathologie. Pour Guillaume Delalieu, vice-président d’Asshumevie, il faut faire évoluer le modèle dans les Ehpad : « On a un peu trop laissé de côté l’accompagnement social pour privilégier l’accompagnement médico-social. Sauf qu’il n’y a pas que le soin et la toilette du résident qui comptent. Une fois qu’elle a été effectuée, sa journée est loin d’être terminée. » Véronique Durand-Moleur ne dit pas autre chose : « Il ne faut pas minimiser le médical qui a toute son importance, mais l’Ehpad doit être avant tout un lieu de vie, à l’intérieur duquel on va donner des soins de qualité. »

La philosophie Pikler Loczy : être sujet de soin

« Il faut d’abord dire qu’il ne s’agit pas d’une méthode mais d’une philosophie d’accompagnement, une approche pédagogique », précise d’emblée Miriam Rasse, psychologue, formatrice et ancienne directrice de l’association Pikler-Loczy France. Emmi Pikler est une pédiatre hongroise du siècle dernier. Dans le cadre d’une recherche sur le développement moteur des bébés et des jeunes enfants, elle a mis en évidence qu’il n’est pas nécessaire d’enseigner au tout-petit les différentes étapes de sa construction motrice mais qu’il a la capacité de pouvoir les réaliser par lui-même, à son rythme, si on lui laisse une grande liberté de mouvement. Ainsi, il ne serait pas nécessaire d’apprendre à marcher à un enfant pour qu’il sache le faire. Ce serait inscrit dans son potentiel génétique. Une approche qui pourrait, selon Miriam Rasse, s’adapter au grand âge. « L’aspect fondamental dans le travail avec les personnes âgées va être de pouvoir utiliser au maximum les capacités qu’elles ont à leur disposition. Ce qui leur permet de se sentir exister, d’avoir confiance en elles et de maintenir une estime de soi. Elles doivent pouvoir se sentir, dans tous les moments de la journée, comme sujet et non comme objet de soin. »

La méthode Carpe Diem

En 1996, Nicole Poirier a ouvert un centre de ressources Alzheimer appelé Carpe Diem, qu’elle a créé à Trois Rivières au Québec. La formule latine résume la philosophie résolument positive de cette méthode : « Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain. » Appliquée à des personnes souffrant de troubles cognitifs, elle encourage à s’appuyer sur ce que celles-ci sont encore capables de faire plutôt que sur ce qu’elles ne peuvent plus effectuer. L’accent est mis également sur le fait que, même en institution, elles doivent se sentir comme chez elles. Dans la maison Carpe Diem qu’elle a créée en 1996 et qui accueille une quinzaine de personnes Alzheimer, Nicole Poirier a voulu que les résidents et le personnel cuisinent et déjeunent ensemble. Et que chaque membre de l’équipe soit polyvalent afin d’éviter l’épuisement dû à des tâches répétitives. Une manière aussi de rencontrer les résidents autrement qu’à travers la toilette quotidienne, et de changer la relation. A contre-courant de ce qui se pratique généralement dans les Ehpad, cette approche se développe en France : une cinquantaine d’établissements la pratiquent et de plus en plus de formations sont dispensées.

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