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Mesures d’urgence et de long terme : le suivi des chômeurs s’organise

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Les principales victimes collatérales du Covid-19 sont les personnes déjà éloignées de l’emploi avant la crise. Travailleurs sociaux et institutionnels s’apprêtent à accueillir ces naufragés économiques. De bonnes pratiques sont déjà à l’œuvre…

Depuis le début de la crise sanitaire, le nombre de demandeurs d’emploi explose. Les embauches ont été stoppées dans de nombreux secteurs. Les économistes optimistes tablent sur la destruction de 400 000 emplois. Ce chiffre grimpe à 800 000 pour les plus pessimistes.

Acteurs de terrain et institutions devront accompagner et soutenir des publics hétérogènes qui appellent des réponses différenciées, comme l’explique le sociologue Didier Demazière : « Les chômeurs de longue durée ont vu leurs chances de s’en sortir diminuées, et ils vont être de plus en plus nombreux dans ce cas. D’autres personnes naviguaient jusque-là entre emplois temporaires et chômage : leur activité a été totalement interrompue avec le Covid, et on ne sait pas s’ils vont rester dans un chômage complet ou reprendre une activité discontinue, tout comme les saisonniers, qui ont subi un violent coup d’arrêt. Les jeunes, eux, arrivent en fin de scolarité et vont avoir des difficultés plus importantes pour trouver un emploi. Leurs projections ont été brisées ou retardées. »

« Des gens à terrre »

Une nouvelle donne qui laisse les débarqués de l’emploi, tout juste déconfinés, sous le choc, comme en témoigne Mama Sy, adjointe au maire d’Etampes (Essonne), militante associative, et cheffe de service « insertion emploi » en Seine-Saint Denis : « Il y a des gens qui sont aujourd’hui à terre. Il aurait fallu qu’on les prépare à ce qui allait se passer, au lieu de parler seulement du chômage partiel. Parler du travail, des enjeux, dire “voilà ce qui va se passer, les secteurs qui vont être impactés. Pendant ce temps-là, réfléchissez à la reprise car voilà les risques encourus”. »

Les jeunes sont également désemparés : « Dès le début du confinement ceux qui avaient prévu de travailler cet été, pour mettre de l’argent de côté pour leurs études, leurs vacances, leur permis de conduire, se sont affolés et m’ont interpelée, poursuit-elle. Mais les contractualisés travaillent, les autres embauches passent à la trappe. Ces personnes-là se retrouvent sans solution. »

Un désarroi accentué par les incertitudes de la situation économique actuelle : « Personne ne sait encore quels secteurs vont repartir, et ceux qui seront en régression durable », explique Didier Demazière, qui souligne que l’une des spécificités de cette crise est sa dimension sectorielle plus affirmée (événementiel, culture-arts-spectacles, hôtellerie-restauration…).

Dans ce contexte, deux temps de réponse apparaissent : celui de l’urgence actuelle, pour aider les plus précaires à compenser la perte de revenus immédiats, et celui de l’accompagnement à moyen et long terme, pour un retour durable dans l’emploi, des personnes au chômage.

Pour Didier Demazière, « il faut créer un dispositif exceptionnel de distribution pour les personnes qui ne sont ni dans le RSA [revenu de solidarité active] ni à l’assurance chômage ».

A Etampes, Mama Sy n’a pas attendu le déconfinement pour imaginer des solutions contre le chômage des jeunes : « J’essaie d’utiliser le tissu associatif. Nous allons créer des actions tout au long de l’été pour rémunérer des jeunes. La ville va subventionner les associations de terrain qui travaillent avec des entreprises et sont en lien avec les jeunes toute l’année, pour qu’elles leur proposent des vacations. Il s’agira de chantiers de rénovation de bâtiments d’un bailleur social, du commissariat et de la caserne des pompiers. »

L’adjointe à la jeunesse va également amplifier un dispositif lancé dans sa ville depuis deux ans, « le permis citoyen » : 140 heures de volontariat pour la ville contre le permis de conduire.

« L’idée de ces dispositifs, c’est d’armer nos jeunes pour réduire les freins à l’embauche, et leur donner une première expérience professionnelle. Non seulement ils découvrent des métiers et des techniques, mais le bénévolat permet de montrer qu’ils sont employables : en capacité de se lever, d’arriver à l’heure, de travailler en équipe. »

Si les dispositifs d’urgence destinés aux populations les plus fragiles dépendent actuellement de la bonne volonté et de l’énergie des acteurs locaux, l’accompagnement à moyen terme des chômeurs, pour un retour durable dans l’emploi, est en revanche bien connu des pouvoirs publics et des acteurs associatifs. L’engrenage du chômage de longue durée et de son corollaire, l’exclusion, est un défi majeur dont tous ont pris la mesure ces dernières années.

Comme en témoigne la création récente, en mars 2020, du haut-commissariat à l’inclusion dans l’emploi et à l’engagement des entreprises par la ministre du Travail Muriel Pénicaud, qui a nommé à sa tête Thibaut Guilluy : « La mise en place du haut-commissariat, c’est l’expression de la volonté du gouvernement d’accélérer sur la visée inclusive de l’économie. C’est-à-dire de faire en sorte que chacun, quelle que soit sa situation puisse participer à l’économie et accéder à la dignité par le travail. Nous sommes depuis longtemps dans un mode de fonctionnement où plusieurs millions de personnes sont reléguées, mises à l’écart de la vie sociale et économique du pays. Ma mission, c’est d’y mettre fin. » Mais la crise augmente le nombre de personnes concernées en même temps qu’elle diminue les opportunités.

Un « référent unique »

Déterminé, le haut-commissaire travaille sur deux axes. D’une part, repenser l’accompagnement des personnes, en s’adaptant à chacune d’entre elles, grâce à un « référent unique », qui permettra de centraliser les besoins et les réponses à toutes les problématiques du demandeur d’emploi. « Aujourd’hui, certaines personnes ont 10 ou 15 interlocuteurs sociaux, chacun s’occupant d’un seul domaine ! Ceci crée beaucoup d’inefficacité, et la personne se perd dans un labyrinthe de dispositifs. »

D’autre part, développer l’engagement des entreprises, en créant un écosystème qui les encourage à développer des pratiques inclusives, « car l’accompagnement des personnes ne suffit pas, si la diversité, la fragilité, ne sont pas accueillies par les employeurs potentiels ». Enfin, parmi les mesures « pour amortir le choc de la crise », le pacte pour l’insertion par l’activité économique va passer de 140 000 à 240 000 personnes. Et le haut-commissaire prépare, avec la ministre du Travail, un plan de relance sociale qui devrait être annoncé en juillet.

Pôle emploi, de son côté, noue des partenariats avec les conseils départementaux et les acteurs associatifs, comme l’explique Firmine Duro, directrice des partenariats et de la territorialisation : « Avec les conseils départementaux, nous avons trois axes de coopération : la mise à disposition pour nos conseillers des informations sur l’offre d’accompagnement social de chaque département (associations, dispositifs…) ; la mise en place d’un accompagnement social, quand la personne a des problématiques telles que la recherche d’emploi est impossible avant de les avoir réglées (comme des problématiques de santé lourdes). Le conseiller Pôle emploi l’orientera vers le travailleur social et reprendra ensuite la recherche d’emploi. Et enfin l’accompagnement global. Une modalité d’accompagnement réservée aux personnes qui ont des difficultés de recherche d’emploi liées à leurs problèmes sociaux, et qui, sans cela, ne pourraient s’en sortir seules. La personne est ainsi suivie à la fois par un conseiller de Pôle emploi et un travailleur social du conseil départemental. Ils font un diagnostic partagé, et sur cette base, lui proposent un plan d’action pour résoudre ses problématiques. »

Des accompagnements efficaces

L’accompagnement global permet de réduire le temps éloigné de l’emploi. Plus les personnes sont éloignées du travail, plus elles mettent de temps à revenir sur le marché de l’emploi. « Chaque année, 100 000 personnes, soit 5 % des personnes inscrites à Pôle emploi, bénéficient de cet accompagnement global. D’après une évaluation réalisée en 2018, cet accompagnement augmente de 27 % le taux de retour à l’emploi durable, au cours des six mois qui suivent, par rapport à ce qu’on connaissait d’habitude sur ces populations », précise Firmine Duro.

Autre acteur majeur du soutien aux demandeurs d’emploi dans les territoires, les Plie (plans locaux d’insertion par l’économique), portés par les collectivités et dédiés à mettre en place un accompagnement socio-professionnel et des plans d’action, comme l’accompagnement à l’utilisation du numérique par exemple.

Du côté des associations enfin, on trouve deux types de soutien pour les demandeurs d’emploi : le parrainage du chômeur par un salarié et des activités collectives non centrées sur la recherche d’emploi mais sur la sociabilité, pour éviter le repli sur soi, le découragement, et la perte de confiance.

Pour le sociologue Didier Demazière, ce type d’accompagnement est essentiel car les sorties de chômage vont être plus difficiles et nécessiter plus de temps : « Dans un contexte comme celui-là, il faut aider les demandeurs d’emploi à tenir, sur le plan financier et sur le plan moral. Leur force de travail doit être entretenue, préservée, non seulement pour les personnes concernées mais aussi pour notre société. Aujourd’hui, ça n’est pas que l’emploi la question, mais comment chacun peut-il tenir en attendant que l’économie redémarre ? Ce n’est pas en centrant les dispositifs sur la recherche, le CV, les compétences, que l’on va répondre d’une façon pertinente, car il n’y aura pas d’offre de travail en face. Il faut donc que le contexte soit clairement partagé avec les chômeurs et ne pas faire comme si les choses étaient comme avant, car les jeux sont biaisés : la situation actuelle est conjoncturellement tendue et difficile, ce qui ne veut pas dire qu’il faut arrêter de chercher un emploi pour autant, mais ne pas s’illusionner sur les résultats attendus. Partager ce diagnostic de la situation générale est un élément extrêmement important pour que les chômeurs passent ce cap difficile, sans se décourager. Cela donne une importance plus grande au travail social, à des formes d’accompagnement, non centrées sur l’emploi mais qui maintiennent les personnes en forme pour qu’elles restent employables. »

Mama Sy pointe de son côté les inégalités territoriales : « Il faut s’adapter aux gens et faire du sur-mesure. Donner un cadre et voir ensuite comment on le décline sur le terrain, pour chaque territoire. Il faudrait que l’Etat ait un rôle équilibrant, pour permettre à chacun d’avoir sa chance. »

La mise en place d’un service public de l’insertion et de l’emploi, portée par le haut-commissaire à l’inclusion et à l’engagement des entreprises, permettra-t-elle de répondre, du moins en partie, à ces enjeux ?

Une initiative plébiscitée(1) mais qui ne prend pas en compte ce facteur de taille : la crise est bien là, et pour les naufragés économiques du Covid, le temps presse.

Un outil pour l’inclusion

Lancée fin 2019, la plateforme de l’inclusion(1) est conçue pour simplifier l’accès à l’emploi des personnes qui en sont le plus éloignées et lever les freins qui limitent l’action du pacte d’insertion par l’activité économique (lourdeurs administratives, difficultés d’accès aux profils éligibles, délais des parcours, manque d’outils professionnalisés…).

Ce service numérique, qui devrait couvrir fin 2020 l’ensemble du territoire, facilite la mise en relation des candidats à l’emploi d’insertion auprès des employeurs solidaires et des accompagnants prescripteurs. Il offre aux utilisateurs un outil mutualisé pour simplifier les procédures, fluidifier les parcours d’insertion entre professionnels, et renforcer la qualité de l’accompagnement des personnes.

Les engagements du pacte d’ambition pour l’IAE

Les cinq engagements du pacte d’ambition pour l’insertion par l’activité économique (IAE), lancé fin 2019 :

• accompagner chaque personne selon ses besoins (CDI inclusion, accès formation, alternance…) ;

• innover et libérer le potentiel de création d’emplois ;

• rallier toutes les entreprises et tous les acteurs publics à la cause de l’inclusion ;

• agir ensemble sur tous les territoires ;

• simplifier, digitaliser et co-construire en confiance.

Notes

(1) Voir ASH n° 3164 du 12-06-20, p. 18.

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