« Le confinement a fait de moi : une femme de ménage, une infirmière, une secrétaire administrative, une institutrice, une éducatrice spécialisée et un punching-ball ! (pour mon fils). » Ce témoignage d’une mère d’un enfant de moins de 20 ans atteint de troubles du spectre autistique recueilli par le Collectif inter-associatif des aidants (Ciaaf), à l’occasion d’une étude sur l’impact et les conséquences du confinement sur les aidants, traduit – comme de nombreux autres – l’intensification de la charge des aidants dans l’accompagnement de leur proche lors du confinement. Tâches domestiques, suivi médical, surveillance, soutien moral, réalisation d’actes intimes, aide à l’autonomie, soutien scolaire adapté… « Les aidants familiaux ont pour beaucoup subi de plein fouet la fermeture des établissements, la réduction ou l’interruption des services d’aide à domicile, ainsi que l’impossibilité pour leur famille de venir les aider. Les aidants ont alors dû s’adapter très rapidement pour accueillir leur proche à domicile, concilier télétravail et rôle d’aidant… Ce sont ainsi 79 % des aidants qui déclarent que l’absence d’aide à leur côté provient d’une cause extérieure », note l’enquête du Ciaaf.
Olivier Morice, délégué général du collectif « Je t’Aide » égrène, pour sa part, les actes de soins que certains aidants ont été contraints de réaliser à la place de professionnels de santé : pose et retrait de cathéter sous-cutané, irrigation transanale, rééducation, orthophonie, kinésithérapie, travail autour de la motricité, ergothérapie…. « Les hôpitaux ont été contraints de vider leurs lits pour faire de la place pour la réanimation et concentrer leurs efforts sur les patients atteints par le Covid-19. Certains aidants ont dû, de fait, récupérer à domicile leur proche hospitalisé. C’est le cas par exemple d’une aidante qui a dû prendre en charge son père diabétique sous dialyse, amputé des deux jambes, dans un appartement parisien durant les deux mois de confinement », cite-t-il, à titre d’exemple de situation très lourde à gérer.
Selon un sondage du collectif Handi-Actif France qui a obtenu plus de 500 réponses, 57 % des enfants n’ont bénéficié d’aucun suivi scolaire ou préscolaire. 78 % des parents ont assumé eux-mêmes les thérapies en totalité ou en partie. Un parent sur deux se sent « épuisé et dépassé par la lourdeur de la tâche ». Le collectif fait également remonter dans son sondage des situations inquiétantes à domicile relatives à l’épuisement physique et moral des aidants : « 30 % des parents reconnaissent avoir eu pendant ces deux mois de confinement au moins une parole ou un geste envers leur enfant handicapé qu’ils regrettent. »
Dans ce contexte sanitaire exceptionnel, Ahmed Zouad, président du Grath (Groupe de réflexion et réseau pour l’accueil temporaire des personnes en situation de handicap), reconnaît que la mise en œuvre d’une offre de répit pour les aidants a été très difficile. « Tout le monde devait rester à domicile et il y avait un antagonisme à accueillir de façon temporaire des personnes en hébergement et en accueil de jour avec le risque de faire circuler le virus. Avec l’annonce soudaine du confinement, il a été compliqué d’assurer la continuité de l’accompagnement. Le répit, il faut le penser, le structurer, l’organiser. »
Pour évaluer la situation au cœur de la crise, le Grath a réalisé, fin avril, un sondage auprès des structures disposant de places d’accueil temporaire, qu’elles soient ou non dédiées à cette modalité d’accueil. Conclusions ? « Deux tiers des structures étaient fermées, et surtout des unités dédiées. La priorité a été maintenue sur des équipes mobiles qui interviennent à domicile, avec un accompagnement à distance et des cellules d’écoute pour assurer l’activité. Mais pour certaines personnes en situation de handicap cela ne suffisait pas », note Ahmed Zouad.
Le recours aux dispositifs de répit est depuis longtemps un parcours du combattant pour les proches aidants. Comme le souligne Bénédicte Kail, le confinement a été « le révélateur » de faiblesses déjà existantes des dispositifs. « Si le répit a des effets bénéfiques à trois niveaux (pour les aidants, pour les aidés et pour la relation aidant/aidé) », le groupement de coopération sociale et médico-sociale « Action pour l’information, le développement et les études sur le relais des aidants »(GCSMS Aider) déplorait, déjà, dans une étude publiée en novembre dernier, « que de nombreux aidants n’y aient jamais accès ou alors trop tardivement, lorsque surviennent les situations de surmenage ou d’indisponibilité ». Au-delà des obstacles financiers et administratifs, l’étude listait une série de raisons à l’origine des diverses situations de non-recours ou de recours tardifs au répit : difficultés pour l’aidant de reconnaître ses besoins, et de faire confiance d’emblée ; une attention et un accompagnement insuffisants de la relation aidant/aidé ; des pratiques des professionnels centrées davantage sur l’aidé ; une insuffisance du repérage des signes d’épuisement des aidants ; un manque de connaissance générale des solutions et de solutions adaptées sur les territoires.
« L’ouverture simplifiée des droits – qui a été mise en place pour la durée de la crise – était au menu du projet de décret sur l’accueil temporaire qui a circulé à la fin 2019. La revendication est forte sur ce point et il faut espérer que la question sera traitée définitivement très prochainement », insiste le Grath. Il réclame donc la facilitation du recours par les familles en publiant le projet de décret supprimant la notification de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) préalable à l’accès à un accueil temporaire médico-social, ainsi que la suppression de la demande préalable d’aide sociale départementale pour les personnes déjà titulaires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) ou bénéficiaires d’une aide humaine dans la prestation de compensation. Ahmed Zouad souligne l’urgence de régler l’épineuse question de la prise en charge des transports, qui demeure de longue date un frein au recours à l’accueil temporaire. « Le financement du transport peut être traité dans le cadre de la prestation de compensation du handicap ou dans celui d’une prescription médicale avec l’édition de bons de transport pris en charge par l’assurance maladie, notamment pour les personnes lourdement handicapées », explique-t-il.
Pour développer la diversification de l’offre de répit pour les aidants, le président du Grath considère que le secteur peut s’appuyer sur la nouvelle nomenclature des établissements sociaux et médico-sociaux « qui permet de bouger les lignes et d’être dans une logique de réponse “parcours” et non plus dans une logique de réponse “place” ».
S’agissant du volet « information et coordination » des acteurs sur les dispositifs de répit, les espoirs sont de mise avec le déploiement en cours des communautés 360, composées des acteurs locaux impliqués dans l’accompagnement des personnes handicapées, réunis autour des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) : associations gestionnaires d’établissements et services pour personnes handicapées, associations de personnes, hôpitaux, médecins de ville, réseaux de solidarité, etc. « A suivre de près, car durant la crise, on était quand même le plus souvent dans la “débrouille” et dans un grand manque d’informations. Les outils mis en place doivent encore être affutés… », met en garde le Grath. « Les communautés 360 peuvent être intéressantes car on sera sur des réponses territoriales. Reste à savoir comment seront recensées les solutions de répit, et de quels moyens financiers elles disposeront », considère Bénédicte Kail, conseillère nationale éducation familles chez APF France handicap.
Le 23 octobre 2019, le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé la stratégie de mobilisation et de soutien en faveur des aidants, adossée à un financement supplémentaire de 105 millions d’euros sur la période 2020-2022. A la suite du confinement, les attentes des collectifs et associations d’aidants sont désormais très fortes concernant la mise en œuvre effective de ce plan. « L’enveloppe des montants proposés est très insuffisante. Diviser quelques centaines de millions d’euros par 11 millions d’aidants revient à montant de 10 à 20 € par personne », juge Olivier Morice. Et de poursuivre : « Très heureusement ce ne sont pas les 11 millions d’aidants qui ont besoin de répit. On estime globalement que 20 % des aidants sont à charge lourde, ce qui signifie concrètement qu’ils peuvent frôler le burn-out. En amont de cette population d’aidants à charge lourde, on a une population tangente à charge importante qui a besoin d’être accompagnée avec du soutien et du répit accessible. » Le collectif « Je t’Aide » a publié son troisième plaidoyer qui porte cette année sur le répit des aidants.
« Il faut changer de paradigme en réalisant que le répit est souvent aujourd’hui financé par l’assurance maladie, par les arrêts maladie. Quand un aidant est au bout du rouleau, il va voir son médecin traitant qui le met en arrêt maladie. Il sort d’une réponse médico-sociale parce que c’est trop compliqué », explique Olivier Morice. Et de poursuivre : « L’insuffisance des solutions de répit force les aidants à trouver des solutions ad hoc, qui sont souvent l’hospitalisation du proche, parfois pour de très longues durées. On sait qu’une journée d’hospitalisation peut coûter entre 1 500 et 5 000 €. Au-delà du coût délirant pour la sécurité sociale, il y a la saturation des services, l’impact sur la disponibilité des lits, le stress supplémentaire sur les soignants. Nous avançons donc l’hypothèse, que nous allons creuser avec une étude médico-économique appropriée, qu’il serait possible d’économiser de vastes sommes sur les caisses de la sécurité sociale qui pourraient servir à financer le développement du répit. »
Dans le cadre de la stratégie « Agir pour les aidants », lancée par le Premier ministre le 23 octobre 2019, le gouvernement souhaite « œuvrer au déploiement de solutions de répit, parmi lesquelles l’accueil temporaire sous toutes ses formes ». Selon l’instruction du 5 juin 2020 relative aux orientations de l’exercice 2020 pour la campagne budgétaire des ESMS accueillant des personnes en situation de handicap et des personnes âgées, 52,55 millions d’euros seront consacrés au développement de cette offre pour les personnes âgées et les personnes en situation de handicap, dont les personnes avec des troubles du spectre de l’autisme, tout au long de la stratégie (2020-2022). A savoir, 50 millions d’euros au titre de la stratégie « Agir pour les aidants » et 2,55 millions au titre de la « stratégie nationale de l’autisme au sein des troubles du neuro-développement ».