Les termes de « délinquance juvénile » sont apparus au XIXe siècle. Avant, dans les campagnes, les petits chenapans étaient réprimandés par leur famille ou le voisinage et échappaient à la police. Tout change avec l’industrialisation et l’urbanisation : le jeune délinquant devient « un déviant des milieux populaires urbains ». C’est le portrait craché d’Oliver Twist ou Gavroche, des enfants de l’immigration rurale ou étrangère, abandonnés par leurs parents ou orphelins, errant dans les villes et volant pour survivre. Progressivement, l’Etat va les surveiller de plus en plus et mettre en place des moyens pour y parvenir. Le premier tribunal pour enfants et adolescents, la Cook County Juvenile Court, voit le jour en 1899 à Chicago. L’idée est de supprimer la prison pour enfants en les laissant dans leur famille et en chargeant un agent de probation de les remettre dans le droit chemin. En 1912, la France vote une loi sur ces tribunaux spécialisés à vocation socio-éducative et sur la liberté surveillée. Enseignant et chercheur à l’Ecole nationale de protection judiciaire de la jeunesse, Guillaume Périssol analyse cette mutation de la justice des mineurs en comparant les modèles américains et français du milieu du XXe siècle. Des systèmes qui, dans les années 1950, ne désignent plus simplement des « voleurs », des « vagabonds » ou des « prostitués » mais des « cas », analysés, évalués, individualisés, en vue de leur rééducation. La jeunesse devient un problème, des métiers d’assistante sociale, de psychologue émergent. « Il s’agit désormais de connaître pour redresser, réadapter ou encore punir », affirme l’auteur, suggérant au passage qu’une justice pénale « constitutive d’une justice de classe » se met en place. Mais les conditions sociales dans lesquelles évolue le jeune délinquant sont sous-estimées : « Le résultat est politiquement moins dangereux, voire utile aux classes dominantes, puisque les problèmes de personnalité prennent le pas sur les problèmes sociaux et qu’un jugement moral peut se travestir en fait psychiquement établi. »
« Le droit chemin. Jeunes délinquants en France et aux Etats-Unis au milieu du XXe siècle » – Guillaume Périssol – Ed. PUF, 25 €.