« L’identité est, pour Nell Irvin Painter(1), une construction sociale, politique, idéologique. Elle induit possiblement le racisme, qui découle d’un conflit de classe. Je partage. En tant que professionnelle du social (assistante sociale, psychologue ethnoclinicienne), j’ai travaillé, durant vingt-cinq ans, avec les valeurs éducatives sous-tendues par les identités multiples, fabriquées mais bien réelles, que j’ai rencontrées. Ceci, à partir d’un danger(1) supposé ou avéré sur enfant. Parmi les familles suivies, 80 % avaient pour origine l’ailleurs. Elles venaient, pour la plupart, de systèmes de parenté traditionnels(2).
Après des erreurs d’évaluation non négligeables en début de carrière, j’ai repris le chemin de l’école, celle que le peuple enseigne, au contact de la vie(3). Quand, humilié, ce père malien soninké a voulu donner son enfant à la France, je me suis interrogée sur le “vivre ensemble”, dans le respect de la dignité. Il ne comprenait pas que l’école impose à son fils de poser des questions en valorisant la compétition avec ses frères. Omar, adolescent tranquille, a pourtant agressé un jeune de milieu favorisé, sans raison apparente. La question de l’esclavage transgénérationnel a fourni des tentatives de réponses.
Les troubles de comportement de Clégi, dans l’établissement médico-pédagogique qui l’accueillait, ont nécessité le détour de la représentation parentale pour négocier le soin. Albinos, enfant sorcier dans son pays d’origine, le Congo, il a fallu saisir la teneur de son identité perturbée.
Décalage de pensées, de cultures héritées dans l’inconscient collectif, touchant à l’aspect philosophique et moral de l’existence.
J’ai fait un voyage d’études au Mali. Aux villageois, j’ai parlé de mon désir d’apprendre à leur contact. J’ai donné à voir des éléments de ma vie : “Ta fille est partie habiter seule dans un studio ? Quelle tristesse cette fâcherie entre vous !” J’ai expliqué que, chez moi, on encourageait les jeunes à prendre leur autonomie. Rires intenses. J’ai ramené une valise pleine d’histoires vraies, à faire vivre ici. J’ai pu nommer la construction de ma propre identité, celle avec laquelle je travaille.
Au retour, une méthodologie d’approche a été construite. J’ai réfléchi à une posture d’écoute(4), découlant du transfert culturel(5). L’héritage colonial, susceptible de laisser des traces dans la relation présente, a été mis en mots entre les pays concernés. Le cadre d’action a toujours été clairement défini, et posé en tant que règle du pays d’accueil.
La construction identitaire est toujours en mouvement. Je propose actuellement, tant aux institutions qu’aux écoles de travail social, de la mettre en mots, pour la travailler avec l’autre. Au bout du chemin, le métissage assumé et fraternel. »
(1) Histoire des Blancs, Nell Irvin Painter – Ed. Max Millo (2019).
(2) Article 375 du code civil.
(3) Qui se réfère à la transmission culturelle des ancêtres.
(4) Complété par des apports en clinique transculturelle de Marie-Rose Moro, professeure à la Maison de Solenn (maison des adolescents de Cochin-Paris).
(5) De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, Georges Devereux – Ed. Flammarion (1980-2012).
(6) En évoquant mes propres objets culturels, ils ont pu parler des leurs.
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