Un tiers des Français, dont 3 millions d’enfants, ne partent habituellement pas en vacances, rappelait début juin le ministre de la Ville et du Logement, Julien Denormandie, à l’occasion du lancement d’une opération de communication autour des vacances apprenantes (voir ce numéro, page 12). La proportion devrait croître cette année. D’abord à cause des difficultés économiques rencontrées par nombre de familles. Mais aussi du fait de la fermeture, partielle encore dans les mois à venir, des frontières extérieures à l’espace Schengen : cela privera nombre d’entre elles des séjours dans un pays d’origine où le coût de la vie leur permet d’espérer pouvoir s’offrir des congés.
Car bien souvent, le fait de ne pas partir relève moins d’un choix que d’une contrainte, en bonne partie financière. Ainsi, en 2014, une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc) pointait que 40 % des ménages percevant moins de 1 200 € mensuels n’avaient pas quitté leur domicile, tandis que 86 % des personnes vivant avec plus de 3 000 € l’avaient fait. Pourtant, l’article 140 de la loi à la lutte contre les exclusions de 1998 prévoit : « L’égal accès de tous, tout au long de la vie, à la culture, à la pratique sportive, aux vacances et aux loisirs constitue un objectif national. » Et il détaille : « L’Etat, les collectivités territoriales, les organismes de protection sociale, les entreprises et les associations contribuent à la réalisation de cet objectif. » Et, en effet, sur le terrain, travailleurs sociaux, bénévoles, associations, administrations, communes… s’unissent pour réaliser cet accompagnement à l’accès aux vacances.
Ils s’attèlent d’abord au montage financier. Nombre d’associations (Secours populaire, Secours catholique, ATD quart-monde…) ont noué des partenariats avec l’Agence nationale des chèques-vacances (ANCV) qui, avec les marges réalisées sur les commissions prises lors de la vente des titres, mène une politique sociale en faveur des plus démunis en leur octroyant des chèques. Par ailleurs, les caisses d’allocations familiales disposent, elles aussi, de budgets, mais inégaux d’une caisse à l’autre. Mieux vaut, sous peine d’arriver trop tard, ne pas être le dernier à solliciter cette aide. Les centres communaux d’action sociale comptent aussi parmi les interlocuteurs mobilisés. Et toutes les associations soulignent que, même de manière très modeste, les bénéficiaires doivent apporter une part du coût. Une façon de les associer pleinement au projet, généralement dès le cœur de l’hiver, pour qu’ils se l’approprient.
Mais cette année, la crise sanitaire a modifié nombre de paramètres. D’abord, analyse Houria Tareb, secrétaire nationale du Secours populaire, il convient de ne pas oublier ceux qui, ce printemps, ont compté parmi les nouveaux bénéficiaires des aides distribuées : « Je n’ai jamais vu tant d’auto-entrepreneurs, par exemple, ou d’intérimaires. Ils ont tendance à ne pas s’autoriser à partir en vacances. Notre rôle consiste à leur expliquer que partir leur permettra de revenir plus forts pour affronter leurs difficultés. »
Bien sûr, pour tous, l’anticipation et la projection dans un séjour estival ont été compliquées ce printemps, même si les bénévoles des associations ont maintenu un lien au moins téléphonique avec les bénéficiaires. Pour qu’ils ne renoncent pas à de telles échappées, mais aussi, parfois, simplement pour les aider à lutter contre les peurs. « Le climat anxiogène a conduit certaines familles à ne pas laisser leur enfant sortir du tout pendant deux mois, ou même à leur interdire l’accès au balcon », rapporte Franck Dubois, responsable des solidarités familiales au Secours catholique. Dans ce contexte, certaines demeurent frileuses à laisser leur enfant partir, ou à se déplacer elles-mêmes.
Autre crainte, celle de certains bénévoles, qui ont préféré ne pas accueillir en vacances un jeune enfant. Aussi le Secours catholique compte-t-il davantage en 2020 sur l’accueil en colonie de vacances.
Malgré les inquiétudes, nombreuses sont les familles qui, observe Jean-Sébastien Deston, chargé de développement de l’accès aux vacances pour les personnes en situation de précarité à la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), expriment le besoin de changer d’environnement, en particulier après avoir vécu le confinement dans un centre d’hébergement. Quitte, note-t-il, à préférer partir pour un séjour court et de proximité. Le Secours populaire, qui accompagne chaque année 185 000 personnes, proposera lui aussi des activités à la journée et de nombreux déplacements intra-départementaux ou intra-régionaux.
Les mesures prises cette année, notamment par l’ANCV, vont en ce sens. Elle a réduit l’obligation du nombre de nuitées requises pour participer au financement, de 4 à 1. Tout en augmentant, mentionne Jacqueline Doneddu, responsable du département « vacances » à ATD quart-monde, le montant maximal de sa participation à 200 € par jour et par personne, contre, habituellement, 120 € pour les personnes valides et 170 € pour celles en situation de handicap.
Ces coups de pouce sont bien sûr salués par les associations. Mais à condition que certaines mesures, la réduction du nombre de nuitées par exemple, demeurent l’exception. Et ne deviennent pas une règle pour les années à venir : « Tout le monde se mobilise pour que personne ne soit laissé au bord du chemin et c’est très bien, se félicite Franck Dubois. Mais n’oublions pas que les déplacements à la journée ne sont pas des vacances, qui impliquent de se déplacer, de s’éloigner du quotidien et du domicile. Il ne faudrait pas qu’à l’avenir, un chèque-vacances se transforme en repas au McDo ! »
A n’en pas douter, la vigilance de ceux qui accompagnent les personnes en situation de précarité restera de mise sur ce sujet. D’autant que toutes les associations soulignent les bienfaits de leurs départs en vacances : « C’est un très puissant outil de l’accompagnement social, indique Laura Slimani, responsable du programme « respirations » à la FAS. Cela permet de se projeter dans l’avenir, de travailler un budget. Bref, d’acquérir des compétences sociales. » « Cela redonne confiance en soi, complète Jacqueline Doneddu. Des parents nous ont par exemple dit être rassurés : ils avaient pu s’occuper de leurs enfants. Cela crée des déclics, et je me souviens en particulier du témoignage d’un couple parti avec ses deux enfants. Au retour, il avait pu trouver un meilleur logement et décrocher un emploi. » Même écho auprès de Franck Dubois, qui mentionne l’histoire d’une maman partie seule avec sa fille et qui, à peine rentrée, commençait à épargner pour partir à nouveau l’année suivante. Dès lors, rien d’étonnant à ce que Jacqueline Doneddu invite à considérer les départs en vacances comme un outil de prévention.
« Nous ne souhaitons pas seulement proposer des animations et loisirs, de l’occupationnel, explique Fatima Khallouk, adjointe à la jeunesse d’Alfortville, ville du Val-de-Marne qui compte 42 % de logements sociaux. Nous espérons aussi bâtir des projets autour de la citoyenneté, de l’environnement, avec de petits budgets que les jeunes, accompagnés par des adultes bien sûr, géreraient eux-mêmes. »
Sans doute la forte communauté algérienne présente dans la ville ne pourra-t-elle pas, cette année, prévoit la toute récente élue, se rendre outre-Méditerranée. Alors, dans cette ville de banlieue comme dans nombre d’autres du même type, l’enjeu est de proposer des solutions aux jeunes de différents âges. Un outil de prévention, pour éviter que le climat social ne se tende.
Le gouvernement communique d’ailleurs sur un dispositif dit de « vacances apprenantes » (voir page 12) et promet que 200 000 enfants se verront proposer des colonies de ce type pendant que des écoles doivent rester ouvertes pour accueillir 400 000 jeunes.