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Les vacances d’été des enfants placés

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Après trois mois de confinement imposé face à l’épidémie de Covid-19, le déconfinement progressif porte l’espoir d’un été apaisé pour les 60 000 enfants placés. Pourtant, à deux semaines des vacances, les équipes épuisées de l’aide sociale à l’enfance ne savent toujours pas comment se passera la période estivale.

L’été, pour un enfant placé qui ne retourne pas dans sa famille, est souvent l’occasion de vivre d’autres expériences, avec son éducateur référent (camping, séjour nature) ou sa famille d’accueil (vacances de style familial), ou encore de partir en colonie. Car si les foyers d’urgence restent ouverts, de nombreux foyers associatifs ferment pendant plusieurs semaines.

Pour Hélène Romano, psychologue spécialisée dans la prise en charge des blessés psychiques, la détente est d’autant plus nécessaire que les derniers mois ont été éprouvants : « En famille d’accueil ou en foyer de la protection de l’enfance, il a fallu vivre en vase clos 24 heures sur 24, assurer la continuité pédagogique et se passer des intervenants habituels, la plupart du temps en télétravail. Pour les enfants dont la situation l’autorisait, plus de visites médiatisées et une relation avec leurs parents limitée à un appel en visio. Le stress dû au virus, à l’enfermement, à l’impossibilité de se projeter à court terme, a parfois suscité des résurgences traumatiques chez les enfants et un épuisement psychique majeur chez les éducateurs. »

Problème : à seulement deux semaines des vacances, professionnels comme enfants restent dans l’incertitude. Si la limite de déplacement de 100 km est levée depuis le 2 juin, les responsables des foyers de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et des associations attendent toujours les détails de l’allègement du protocole sanitaire, pour savoir quel type de vacances sera possible pour les enfants dont ils s’occupent. Par respect des consignes sanitaires, leurs partenaires habituels ont limité le nombre d’enfants inscrits ou tout simplement annulé leurs séjours cette année. « On attend. On navigue à vue. Personne ne sait comment ça va se passer », lâche un éducateur.

De plus, selon les départements et les types d’accueil (foyers de l’enfance départementaux, familles d’accueil, foyers associatifs dépendant plus ou moins des financements départementaux), les situations s’avèrent très hétérogènes.

Tous ont cependant tenté d’anticiper. « Au 11 mai, personne ne savait si les enfants pourraient quitter le territoire départemental, déclare Stéphane Audrouing, directeur du centre départemental de l’enfance et de la famille du Maine-et-Loire. Nous nous sommes donc interrogés pour savoir comment organiser au mieux l’offre de vacances des enfants confiés, et avons posé toutes les hypothèses. Nous avons suspendu notre collaboration avec les organismes grâce auxquels les enfants partaient plus loin les années précédentes, et échangé avec les opérateurs d’éducation populaire à proximité, pour des interventions dans l’établissement ou sur site externe. On a fait des préinscriptions la dernière semaine de mai, mais, pour l’instant, les opérateurs avancent à pas comptés. »

« Réadapter les protocoles sanitaires »

Du côté du secrétariat d’Etat à la protection de l’enfance, on se veut rassurant : « A la suite de la déclaration du président Macron, il nous faut réadapter les protocoles sanitaires à un déconfinement plus marqué, autorisant plus de souplesse dans la gestion des sites d’accueil des enfants. Nous travaillons en collaboration avec l’Education nationale et le secrétariat d’Etat à la jeunesse et aux sports, et attendons le nouveau protocole de M. Blanquer pour adapter les choses. Si l’accueil des écoles est assoupli, il n’y a pas de raison que ça n’évolue pas également pour les colonies. »

A deux semaines des vacances scolaires, sur le terrain, l’incertitude est plus difficile à gérer pour les opérationnels.

Responsable de l’unité des 6-14 ans au centre départemental de l’enfance et de la famille (CDEF) du Maine-et-Loire, Patricia Pugliese précise : « On attend de savoir comment les choses vont s’articuler, quelles seront les places disponibles, si les enfants pourront aller en camping ou en CLSH [centre de loisirs sans hébergement]… A mon niveau, le plus compliqué depuis le Covid, c’est de maintenir le moral des professionnels, qui étaient pendant la crise des éducateurs, mais aussi des instituteurs, des professeurs… Il est aussi difficile de sécuriser les équipes pour qu’elles continuent à être au plus près des besoins des enfants, en leur disant : “On n’est pas en manque d’idées, on va orchestrer les choses, comme on l’a fait pendant le confinement.” Mais il faut que les choses bougent : pas de rassemblement de plus de dix, pas de piscine, un ticket pour se baigner à la mer… Il semble difficile de partir dans ces conditions. »

De son côté, Catherine Bottero, chef de service de l’ASE et adjointe du directeur de l’enfance et de la famille du département des Vosges, reste philosophe : « Cela fait trois mois qu’on vit au jour le jour. Nous n’avons pas beaucoup d’autre choix que d’attendre. Jeudi, nous rappellerons nos centres de vacances habituels. Mais on sait que tout ne rouvrira pas. S’il faut plus d’animateurs pour moins d’enfants, comment vont-ils faire ? Il faut un protocole pour la nuit aussi. Nous avons réfléchi à de petits séjours dans notre département. Et il ne faudrait pas que les enfants soient trop loin si l’on doit les rapatrier pour cause de contamination au Covid-19. »

Son inquiétude majeure, aujourd’hui, concerne les assistantes familiales : « Elles ont beaucoup donné et sont épuisées par les trois derniers mois, en huis clos à domicile avec les enfants qui leur sont confiés et leurs propres enfants. J’aimerais savoir comment on pourra les soulager, sinon ça va être compliqué. »

Du côté des organisateurs traditionnels de séjours, le timing semble serré et le défi délicat à relever, comme l’explique Bruno Colin, directeur général de l’ODCVL, organisme d’éducation populaire : « Habituellement, nous préparons nos projets quatre mois avant l’été. La situation est acrobatique mais nous avons choisi d’ouvrir nos centres avec une capacité d’accueil de 80 %, et on fera les 3 x 8, s’il le faut, pour adapter les séjours aux dernières conditions sanitaires. Mais ça n’est pas simple, on a perdu de la demande potentielle et les réservations de dernière minute occasionnent des coûts importants. Beaucoup d’autres organismes ont jeté l’éponge et décidé de rester fermés. Ce qu’on espère, c’est que les animateurs ne seront pas obligés de porter le masque et que les contraintes de nettoyage seront allégées. »

Interpellé, l’entourage du secrétaire d’Etat à la protection de l’enfance souligne que la question de l’été des enfants placés a été anticipée : « Pour les enfants placés en foyer et porteurs de handicap (instituts médico-éducatifs, instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques, structures adaptées…), avec Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, nous avons contribué à donner des lignes directrices gestionnaires pour que les enfants qui relèvent de l’ASE puissent avoir des accueils prolongés, en autorisant l’ouverture d’établissements habituellement fermés une partie de l’été. Avec parfois des regroupements d’établissements et une mutualisation des personnels pour une meilleure prise en charge. L’idée est de créer de la souplesse. »

Une initiative notable, sachant que 30 % des enfants de l’ASE sont porteurs d’un handicap.

« Identifier les différents sites d’accueil potentiels »

« Pour les autres enfants, nous avions anticipé le sujet des vacances mi-mai, par la diffusion de recommandations encourageant les services de l’Etat et ceux des départements à échanger et à travailler ensemble. L’idée étant, pour les vacances, de se coordonner pour identifier les différents sites d’accueil potentiels, selon les règles sanitaires en vigueur. Nous avons également incité, au niveau local, au rapprochement avec des mouvements d’éducation populaire pour voir ce qu’ils pouvaient proposer. »

Une méthode appréciée par Stéphane Audrouing : « L’opportunité que nous offre cette crise, c’est d’avoir appris, pour organiser le confinement, le déconfinement et projeter l’été, à mettre autour de la table des acteurs qui peuvent travailler ensemble d’une façon plus agile, au lieu de fonctionner en silos. »

Enfin, les associations de protection de l’enfance, qui dépendent uniquement des financements départementaux, s’inquiètent que leur budget « vacances » soit réduit à la suite de la crise du Covid-19. A ce propos, le gouvernement a présenté le 10 juin dernier un projet de loi de finances rectificative, dans lequel est inscrit un plan d’urgence pour les collectivités locales qui prévoit, pour les départements, la possibilité d’avances de recettes afin de faciliter leur fonctionnement. Un dispositif pouvant atteindre un montant de 2,7 milliards d’euros.

Des incitations bienvenues, mais dont l’impact ne peut être mesuré.

Les services de l’aide sociale à l’enfance dépendent de la compétence des départements. Dès lors, comment s’assurer que ces derniers appliquent les recommandations gouvernementales et portent une attention particulière aux plus vulnérables, les enfants de l’ASE et les personnes en situation de handicap ?

Sur le terrain, le flou persiste.

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