« Depuis quatre ans et demi, je vis en Ehpad. Tout y était bien rodé. Et ce, jusqu’au lundi 16 mars. Ensuite, tout a changé avec l’arrivée de mots inconnus jusque-là : Covid-19, confinement, distanciation sociale, gestes-barrières. Dès le 17 mars, nous étions confinés dans nos chambres. Adieu la vie d’avant. C’est là que j’ai attrapé : mal à la gorge, fièvre… Le diagnostic est tombé. Fin d’un monde. Cependant, je n’ai pas été hospitalisée. Je ne le voulais pas. J’ai commencé à vivre au rythme des visites du personnel soignant. Ma température était prise trois fois par jour et on vérifiait la saturation en oxygène. J’ai aussi eu la perte du goût et de l’odorat. Cela revient seulement maintenant. Au bout de 15 jours, on m’a dit que je n’étais plus contagieuse. On a refait une prise de sang. Tout était revenu à la normale. Je n’avais plus de fièvre. Je ne toussais plus. On en a conclu que l’épisode était terminé.
Même s’il y a eu 16 décès dans l’établissement [sur 85 résidents, ndlr], j’estime que les personnels n’ont pas failli. Je pense même que c’est tout le contraire. Les aides-soignantes passaient au minimum trois fois par jour pour s’occuper de moi. Elles ont eu un surcroît de travail et certainement du stress car elles pouvaient potentiellement être elles aussi infectées. C’est devenu un métier à risques. Il y a un manque de reconnaissance de leur profession et surtout un manque de salaire. La formation, elles l’ont, ce n’est pas le problème. En tout cas, ici, elles ont une mise à jour régulière de leurs compétences. Mais elles ne sont pas reconnues financièrement pour le travail qu’elles fournissent. Alors même qu’elles ont parfois des tâches ingrates à effectuer. Elles n’ont pas beaucoup de week-ends, de temps libre, car elles s’occupent sans cesse de nous.
Il m’arrive d’échanger avec elles sur des sujets personnels. Les unes et les autres me disent qu’elles n’ont plus la possibilité de rester plus longtemps. Elles le regrettent et moi aussi. Leur présence est indispensable car quand on vit en Ehpad, on n’a plus de contact avec l’extérieur. On ne peut pas sortir faire ses courses ou aller au restaurant avec des amis. L’extérieur ne nous parvient qu’au travers de la télévision. Quand on échange avec les soignants, c’est de l’humain qui se transmet, qui vient à nous. C’est absolument nécessaire. Il faudrait donc qu’elles aient le temps de discuter un peu plus plutôt que de vivre sur les chapeaux de roues, d’avoir toujours quelque chose à faire. J’entends toujours le téléphone sonner, que ce soit pour les veilleuses de nuit ou les aides-soignantes. Elles ont à peine terminé leur passage, qu’elles doivent repartir. Elles sont vraiment minutées dans leur contact avec les résidents. Il faut que cela change. Il faut que la future loi “grand âge et autonomie” prenne en compte cette situation. »