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Pourquoi le handicap psychique est-il le parent pauvre des handicaps ?

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En février 2005, la France a fait – enfin – entrer le handicap psychique dans la loi. Mais, dans les faits, les personnes concernées et leurs familles restent condamnées à une double peine : celle qu’imposent la maladie et le handicap, et celle qu’impose la société en refusant de considérer et de compenser ce handicap, qui concerne près de 3 millions de Français.

« L’idée que la maladie mentale dans toutes ses composantes aurait un retentissement social, qui appelle nécessairement une réponse spécifique, a profondément marqué l’émergence de la pensée psychiatrique au XIXe siècle. Et ce, jusqu’à la conception et la création des secteurs en psychiatrie, conçus pour prendre en charge l’intégralité de la vie des personnes malades. Cette empreinte historique explique la réticence, encore très présente dans le corps médical, à se mobiliser autour du handicap d’origine psychique. Les psychiatres ne voulaient pas voir leur échapper « leurs patients », pour un champ du handicap qu’ils percevaient comme un stigmate figeant le devenir de la personne.

Depuis le milieu des années 1970, l’Unafam (Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques) agit pour rendre visibles les personnes vivant avec des troubles psychiques, afin qu’elles soient prises en compte par les politiques d’action sociale et médico-sociale. Dans les années 2000, l’association a œuvré pour que soit enfin reconnu un autre statut que celui de « patients » à toute une population dont les troubles psychiques sont objectivement handicapants, car invalidants, que ce soit dans la mobilisation de leurs capacités cognitives ou métacognitives, dans les capacités d’attention et de mémoire, dans celles à entreprendre, à mobiliser les fonctions exécutives, ou tout simplement dans celle à demander de l’aide.

Aussi, quand la loi de 2005 a reconnu ce handicap psychique, qu’elle différenciait bien du handicap mental, un immense espoir est né : celui de voir enfin les personnes malades bénéficier de réponses à leurs besoins spécifiques, de l’effectivité d’une compensation des conséquences de leur handicap et de leur intégration pleine et entière à la vie de la cité. Force est pourtant de constater aujourd’hui que le « citoyen vivant avec des troubles psychiques » n’a pas réussi à supplanter le « sujet usager patient », et que sans cette nécessaire bascule, aucune réponse ne sera apportée à la problématique de l’accès aux droits dans leur globalité : soins, oui, mais aussi logement, emploi, ressources, participation sociale et exercice de la citoyenneté.

Lutter contre les stigmatisations

Les préjugés ont la peau dure : les troubles psychiques font peur, c’est un fait. Ils restent un sujet tabou dans notre société, qui n’en retient que leur imprévisibilité, les manifestations spectaculaires et parfois tristement violentes. Au-delà de la peur qu’ils suscitent, persiste l’idée, diffuse et délétère, que derrière ce que l’on appelle « troubles psychiques » se cacherait peut-être simplement l’inadaptation ou la vulnérabilité sociale, supposant une part de mauvaise volonté, de renoncement à l’effort, au collectif, tout simplement à la société.

Cette conception des maladies et du handicap psychiques grève évidemment nos capacités à bâtir des politiques publiques dédiées. Elle pèse également sur les personnes elles-mêmes, qui hésitent et tardent souvent à demander de l’aide, à entrer dans une démarche de soins et à entamer le parcours du combattant que constitue le recours aux droits.

La réticence à accéder au droit à compensation du handicap est très partagée par nombre d’usagers et de familles. Cette réticence s’étend aux professionnels du sanitaire qui, n’ayant pas les outils et les méthodes permettant d’évaluer les conséquences des troubles sur la vie quotidienne de la personne, peinent à les reconnaître. Sans reconnaissance du handicap, pas de compensation possible, pas de réponses adaptées pour favoriser l’accès à l’autonomie des personnes. La stigmatisation est un frein puissant à l’accès aux droits et à l’exercice de la citoyenneté.

La lutte contre la stigmatisation est l’affaire de tous, et notamment des médias, qui ont un rôle à jouer dans la juste information à diffuser comme dans la prise en compte de ce public. En effet, la méconnaissance des troubles psychiques engendre des représentations négatives qui contribuent à la négation du handicap, à la stigmatisation et la discrimination des personnes.

Un handicap impensé

Difficile pour elles, dès lors, de faire valoir leurs droits.

De demander de l’aide, d’abord. Puisque cela commence par la difficulté pour la personne à accepter qu’elle en a besoin, et à savoir la demander elle-même. C’est une composante du handicap psychique lui-même : au-delà d’un certain niveau d’exclusion, quand l’entourage n’est plus présent, quand les personnes se retrouvent sans accompagnement et sans soins, elles ne demandent plus rien. Si elles parviennent à passer cette première étape, elles font ensuite face au déficit de l’action publique. Les équipes chargées de l’évaluation du handicap au sein des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ne sont pas formées au handicap psychique. Le certificat médical imposé pour les demandes n’est pas adapté. Et quand bien même le handicap est-il reconnu, les textes règlementaires d’éligibilité aux prestations ne sont pas adaptés : ainsi, le référentiel d’accès à la prestation de compensation du handicap (PCH) et le guide-barème n’ont pas été revus, ce qui nuit à l’élaboration des réponses à apporter dans un plan personnalisé de compensation.

Enfin, dernière étape : l’insuffisance de l’offre sociale et médico-sociale, les inégalités de traitement et d’accès sur les territoires conduisent à une prise en charge erratique et globalement insatisfaisante des besoins, sans solutions d’accompagnement au long cours, d’hébergement. La compensation peine donc à être effective. Alors qu’il faudrait une palette d’offres de proximité, pour l’accès au logement, à l’aide humaine, à l’emploi, aux activités… à la citoyenneté, tout simplement.

Et si on prenait enfin en compte le handicap psychique ?

Il est urgent de conduire une rénovation de la réponse effective aux besoins des personnes vivant avec des troubles psychiques sévères et persistants, afin d’améliorer leurs conditions de vie et d’inclusion sociale, pour un plein exercice de leur citoyenneté.

Elaborons une juste évaluation :

– en mettant en place des centres d’évaluation construits autour d’équipes pluridisciplinaires connaissant la clinique du handicap psychique et reconnaissant les différentes expertises – celle de la personne elle-même, celle de son entourage et celle des professionnels du sanitaire, du social et du médicosocial qui l’accompagnent ;

– en constituant des équipes en capacité d’élaborer avec la personne et son entourage un plan de compensation en adéquation avec les besoins de la personne et qui prenne en compte sa réhabilitation psychosociale.

Et proposons une juste compensation :

– en conduisant une stratégie de transformation du système de santé en même temps que la construction d’une offre adéquate dans le social et le médico-social, pour une réponse effective au handicap d’origine psychique ;

– en favorisant les interventions précoces et coordonnées, afin de mettre en place des accompagnements et des soins dédiés à la reconquête de l’autonomie ;

– en rendant effective l’éligibilité à la PCH et au volet « aide humaine » pour le maintien à domicile, ainsi que la mise en place de dispositifs d’habitats inclusifs, de logements regroupés et accompagnés. Et ce, en parallèle de la création de places pour l’accompagnement dans les services d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (Samsah), ceux d’accompagnement à la vie sociale(SAVS), etc. ;

– en favorisant une insertion sociale et professionnelle au moyen d’un accompagnement dans la durée ;

– en initiant une politique de prévention des situations de non-recours initiales ou après une rupture de parcours ;

– en rendant disponibles des données fiables sur les besoins par territoire pour adapter l’offre.

L’arrivée des concepts de rétablissement et de pair-aidance ne doit pas occulter la nécessité d’apporter des réponses sociales et médico-sociales aux besoins de vie des personnes vivant avec des troubles psychiques, car de telles réponses sont indispensables pour leur permettre de se rétablir.

Un réel engagement de tous et une volonté politique forte sont nécessaires pour construire des réponses à la hauteur des besoins, afin que les personnes vivant avec des troubles psychiques ne soient plus considérées comme des objets de soins, mais – enfin – comme des sujets de droits. »

Contact : www.unafam.org.

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