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“La profession peine à se développer”

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Depuis plus de quarante ans, Nicole Pogut héberge des adultes vulnérables handicapés ou âgés dans sa maison de Saint-Nazaire, dans la Loire-Atlantique. Cette accueillante familiale, comme il en existe 9 142 en France, vient de publier un livre pour faire sortir son métier de l’ombre.

Au beau milieu d’un jardinet couvert de parterres fleuris trône une table en forme de fer à cheval. Au-delà de son aspect pour le moins original, cette table symbolise tout ce qui fait vibrer Nicole Pogut, 72 ans : les grands repas en famille, la générosité et la convivialité d’un foyer chaleureux. « Je suis très famille, confirme cette Nazairienne d’adoption, mère de quatre enfants et grand-mère de sept petits-enfants. J’aime être chez moi, avec du monde et de la vie autour de moi. » Un mode de vie qui lui permet, depuis quarante ans, de concilier vies personnelle et professionnelle. C’est en effet dans sa grande maison de Saint-Nazaire que l’ex-tenancière d’un bar-restaurant-dancing exerce son métier d’accueillante familiale. A ce titre, elle reçoit des personnes majeures âgées ou en situation de handicap, pour une durée plus ou moins longue. « Lorsque j’ai commencé, mon petit dernier avait à peine 3 ans. Je venais de perdre ma grand-mère dont je m’étais occupée pendant quatre ans, et sa présence me manquait, raconte-elle. Quand j’ai vu dans le journal qu’on recherchait des familles d’accueil, je me suis lancée… » A l’époque, elle travaille pour l’hôpital Saint-Jacques, à Nantes, l’un des premiers à développer ce type d’accueil. Aujourd’hui, le département de Loire-Atlantique compte 161 familles (dont 98 femmes) qui reçoivent au total 256 personnes, majoritairement en situation de handicap. Si cette forme d’accueil, à mi-chemin entre le maintien à domicile et l’hébergement collectif en établissement, suscite un intérêt croissant des pouvoirs publics, elle se heurte à une pénurie de familles d’accueil. En cause : une certaine précarité du métier. « Contrairement aux assistants familiaux de la protection de l’enfance, qui sont salariés, nous sommes directement rémunérés par les personnes hébergées, qui paient aussi un loyer et des frais d’entretien. L’accueillant familial doit trouver lui-même des personnes à accueillir, et des difficultés financières peuvent survenir à la suite du départ ou du décès de celles-ci. C’est sans doute pour cette raison que la profession peine à se développer », déplore Nicole Pogut.

Professionnalisation

Le statut d’accueillant familial a pourtant profité, ces quinze dernières années, d’une série de réformes qui ont participé à sa professionnalisation. S’il n’existe pas de diplôme préparant à ce métier, une formation initiale de 54 heures (dont 12 heures préalables au premier accueil), organisée par le département, est obligatoire. Réalisée au plus tard dans les six mois qui suivent l’obtention de l’agrément, elle doit permettre aux accueillants familiaux d’acquérir les compétences nécessaires pour accompagner des personnes vulnérables dans les actes essentiels de la vie quotidienne et les activités ordinaires et sociales. Des connaissances dont Nicole Pogut aurait aimé profiter plus tôt, mais qu’elle n’a pu acquérir qu’après son troisième agrément. « Au début de ma carrière, la formation n’existait pas encore. Elle est pourtant essentielle pour savoir dans quoi on s’embarque. De mon côté, je ne m’attendais pas à ce que cela soit si difficile lors de mon premier placement. Dans ma tête, j’aurais voulu que ma pensionnaire ressemble à ma grand-mère, et accepter que cela ne soit pas le cas m’a beaucoup coûté », avoue la sexagénaire. Désormais beaucoup mieux préparés, les accueillants familiaux bénéficient d’un accompagnement social et d’un travail en réseau qui leur permettent d’éviter ce type d’écueils. A travers des groupes de paroles et des points mensuels au domicile avec un travailleur social du département, ils peuvent partager leurs expériences et leurs questionnements. Ils sont aussi épaulés dans les démarches administratives par les tuteurs ou curateurs. « Lorsqu’on se lance dans le métier, il y a un certain nombre de situations délicates auxquelles on n’a jamais été confronté, comme la fin de vie ou la sexualité d’une personne en situation de handicap, poursuit-elle. Ces espaces d’écoute et d’échanges sont des outils essentiels pour aborder ce type de problématiques. »

Un don de soi

Après le départ de Catherine, hospitalisée à la suite d’un accident vasculaire cérébral qui l’a laissée tétraplégique, Nicole Pogut a enchaîné avec deux autres placements, dont l’un n’a duré que quelques mois jusqu’au décès accidentel de l’accueilli. Aujourd’hui, elle héberge trois hommes âgés de 69 à 75 ans, dont deux depuis vingt-cinq ans. Le premier a grandi dans une famille nombreuse maltraitante. Le deuxième, un ancien journaliste, a tout perdu après un accident. Quant au troisième pensionnaire, il souffre de troubles psychiques et se déplace en fauteuil roulant depuis une dizaine d’années. « Tous trois seraient incapables de vivre seuls. Chez nous, ils ont retrouvé une famille. Une famille à part entière, où le mot “accueil” disparaît pour faire place aux habitudes du quotidien, aux valeurs et aux joies que nous avons », décrypte-t-elle. Au-delà d’assurer la prise en charge matérielle des pensionnaires – hormis les soins et la toilette dispensés par un infirmier –, le rôle des accueillants familiaux est de se mettre au diapason des personnes accueillies pour leur offrir les meilleures conditions de bien-être et d’épanouissement personnel. Ce qui n’est pas sans exiger un certain don de soi. « Etre famille d’accueil n’est pas donné à tout le monde, avertit Nicole Pogut. Même si on reçoit beaucoup, c’est un travail très prenant au quotidien, avec parfois des journées qui n’en finissent pas. »

Susciter des vocations ?

Pour souffler, les accueillants familiaux ont droit à cinq semaines de vacances par an. A eux, en revanche, de s’organiser pour trouver un accueil-relais lorsqu’ils s’absentent. Une démarche qui peut s’avérer compliquée, en raison notamment du manque de familles d’accueil temporaires. « A mon sens, c’est la principale difficulté de notre fonction, reconnaît Nicole Pogut. Maintenant que mes pensionnaires ont vieilli, ce n’est plus possible de les emmener avec nous. Il faut donc jongler avec les solutions existantes : Ehpad, autre assistante familiale, proches, structure médico-sociale… » Malgré ces contraintes, l’accueillante familiale estime que ce métier « a révélé sa place », elle qui pensait « ne pas être capable de donner autant aux autres ». Une révélation qui l’a poussée à prendre la plume pour raconter son expérience dans un livre. « Je voulais témoigner de cette expérience singulière que je vis au quotidien, confesse-t-elle. Les gens me posent des questions sur mon travail. Ce récit est une réponse à toutes ces questions, à la frustration inhérente que je ressens quant au traitement réservé aux malades psychiatriques, aux adultes handicapés et aux personnes qui travaillent avec eux. »

« Il est où le bonheur ? »,

son livre publié cette année aux éditions Edicop et sous-titré Les accueillantes familiales dans leur quotidien, a été coécrit avec Karine Huet, accompagnatrice en écriture, et trois autres familles d’accueil.

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