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Quand la finance s’implante dans le secteur social

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Importés du Royaume-Uni, les contrats à impact social (CIS) existent en France depuis 2016. L’objectif : faire financer par des acteurs privés des projets « innovants » et expérimentaux dans le champ du secteur social. En cas de réussite, charge à l’Etat de rembourser. Quatre ans après leur lancement, malgré un bilan en demi-teinte, le gouvernement réitère sa volonté de faire fructifier ce mariage entre la finance et le social, et lance un fonds de paiement au résultat.

« Gagnant, gagnant, gagnant. » La promesse des contrats à impact social est séduisante. D’inspiration anglo-saxonne, les CIS ont pour visée de faire financer des programmes sociaux et médico-sociaux par des investisseurs privés – principalement des banques. En cas de « succès » du programme, la puissance publique s’engage à rembourser, avec intérêts, l’investisseur. L’argumentaire du « win-win » est le suivant : l’Etat ne paie qu’en cas de réussite et économise à terme grâce au principe des coûts évités (placement en institution, décrochage scolaire, chômage…) ; les associations, elles, ont enfin les moyens pour déployer leurs actions.

Du côté des détracteurs, les appellations ne manquent pas. « Partenariat public-privé (PPP) du social », « cheval de Troie du paiement au résultat », le contrat à impact social est perçu comme un nouvel outil de financiarisation du social. Et pour cause. Si l’autorité publique ne prend pas de risque au départ, elle assume in fine le remboursement du projet, des intermédiaires et l’intéressement de l’investisseur privé. Lancés au Royaume-Uni en 2010, les « Social Impact Bonds » (SIB) ont essaimé à grande vitesse à travers le monde, en réponse à la raréfaction de l’argent public. En Angleterre, ils explosent dans les domaines du sans-abrisme et de la protection de l’enfance, où les subventions publiques ne sont plus qu’un lointain souvenir ; les taux d’intérêt de certains SIB peuvent alors atteindre 15 %. C’est dans cette lignée que les premiers CIS voient le jour en France en 2016 à titre expérimental, à la suite d’un appel à projets initié par Martine Pinville, à l’époque secrétaire d’Etat chargée de l’économie sociale et solidaire (ESS). Sur le papier, les partisans de l’alliance entre la finance et le social ont trouvé l’outil de leurs rêves.

« Le CIS n’a pas vocation à remplacer tous les modes de financement, il est adapté pour certaines actions innovantes dont l’impact des opérations est mesurable. Il peut alors devenir un outil très puissant », s’extasie le haut-commissaire à l’ESS, Christophe Itier. « Surtout, il doit permettre de changer le logiciel des politiques publiques pour passer à une logique de prévention et de long terme. » Le message n’est pas antinomique avec la mouvance libérale. « Le gros changement institutionnel induit par les CIS, c’est qu’ils importent le paiement au résultat en France », décrypte Nicolas Chochoy, de l’Institut Godin. L’aide publique devient alors conditionnée à la mesure de l’impact (voir page 14).

Relance économique et fonds de paiement au résultat

Pourtant, depuis la signature des premiers contrats en 2016, leur nombre n’a pas explosé. Le premier contrat, passé avec l’Adie (Association pour le droit à l’initiative économique), vise l’insertion économique de 172 à 320 personnes installées dans des zones rurales ou montagneuses. Article 1 s’est donné l’objectif d’accompagner 1 000 jeunes ruraux boursiers dans la poursuite de leurs études, Wimoov propose de suivre 10 000 personnes en situation de précarité en matière de mobilité, et la Cravate Solidaire, elle, vise à former 900 bénéficiaires éloignés de l’emploi aux codes du recrutement. Dans le secteur de la protection de l’enfance, les Apprentis d’Auteuil ont également signé un contrat pour prévenir le placement d’enfants en institutions (voir page 11). Enfin, le petit dernier, signé en janvier 2020, concerne Réseau Eco-Habitat, qui projette de réaliser 200 chantiers de rénovation énergétique des bâtiments. Dans l’ensemble, les CIS passés en France représentent moins de 10 millions d’euros, et concernent des dispositifs très ciblés. Les taux de rémunération versés aux investisseurs s’échelonnent quant à eux entre 3 et 6 %.

Le faible déploiement de ces contrats tiendrait à plusieurs problèmes, listés dans la mission « Lavenir », du nom du président de l’Adie, consacrée au bilan des premiers CIS(1). Trop complexes sur le plan juridique, trop coûteux en termes de structuration administrative et financière. L’Adie et Article 1 expliquent ainsi avoir respectivement consacré un temps plein pendant 12 et 18 mois pour la seule élaboration du contrat. Chaque projet nécessite en effet près d’une dizaine d’acteurs : investisseurs – plusieurs banques et fonds d’investissement –, évaluateur de l’impact, ministères (jusqu’à cinq pour un projet) ou collectivités locales, structureur du projet et prestataire. Un projet porté par Médecins du monde (alternative à l’incarcération par le logement et le suivi intensif, à destination de personnes souffrant de troubles psychiatriques) est en cours de contractualisation depuis plusieurs années, sans avoir vu le jour.

Ces freins auraient pu signer l’arrêt de mort des CIS. L’actualité immédiate nous prouve l’inverse et témoigne de l’attachement du gouvernement à faire fleurir ce type de financements public-privé. Prévu initialement au premier trimestre 2020, un fonds de paiement au résultat créé par le haut-commissariat à l’économie sociale et solidaire devrait voir le jour ces prochaines semaines. « Tout est prêt, les deux premiers appels à projet portant sur l’insertion et l’économie circulaire seront lancés avant l’été », confirme Christophe Itier. « Je pense que les défis sont suffisamment nombreux et vastes, encore plus dans cette période de sortie de crise, pour qu’on puisse aller chercher tous les moyens possibles afin d’être à la hauteur », ajoute le haut-commissaire.

Le premier fonds de paiement au résultat français s’inspire de ce qui existe aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Portugal ou encore au Danemark. Cet « outil de gouvernance » reposera sur deux piliers : un centre de compétence, qui sélectionne et accompagne les CIS, et un centre de service chargé de gérer les flux financiers et les montagnes juridiques des contrats en vue de simplifier les procédures pour les porteurs de projet. Incarnation parfaite de ce modèle hybride public-privé, la Caisse des dépôts et consignations sera chargée de ce second volet, en plus de son rôle d’investisseur dans les programmes sociaux, à travers sa Banque des territoires (entre 2016 et 2019, la Caisse des dépôts a investi 1,6 million d’euros dans cinq CIS). Pour démarrer, les ministères de la Transition écologique et solidaire, du Travail et de la Cohésion des territoires ont chacun promis d’investir 10 millions d’euros dans ce fonds.

Notes

(1) « Pour un développement du contrat à impact social au service des politiques publiques » – Juin 2019.

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