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L’investissement à impact : nouvelle panacée des banques

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Au cœur du dispositif, entre le prestataire chargé de la mise en place du programme social et la puissance publique qui rembourse l’action une fois terminée, se trouve l’investisseur. Si, en Angleterre, cette fonction est souvent remplie par de grosses fondations, en France, elle est occupée par les banques, désormais épaulées par des fonds d’investissement à impact. Telle la BNP, qui cofinance la totalité des contrats engagés dans l’Hexagone.

Sans investisseur, pas de contrat à impact social (CIS). C’est l’acteur central du dispositif. En France, depuis le premier appel à projet lancé en 2016 par le secrétariat d’Etat à l’économie sociale et solidaire (ESS), plusieurs banques se sont impliquées dans des CIS. Dans la majorité des contrats, BNP Paribas et la Caisse des dépôts et consignations font figure de tête d’affiche. Sur le papier, leur rôle est clairement défini : c’est à elles que revient la charge du risque, ôtée à l’Etat, en contrepartie d’une prime versée en cas de réussite du programme. « Notre intérêt pour les CIS a commencé très tôt, dès 2014, d’abord aux Etats-Unis, où la pratique est beaucoup plus développée, puis en France. Mais avant l’appel à projets de 2016, la puissance publique n’était pas convaincue de la valeur ajoutée de l’intervention d’acteurs privés dans l’action sociale », raconte Maha Keramane, responsable de la branche « entrepreneuriat social et microfinance Europe » chez BNP Paribas. Dit autrement, pourquoi une banque voudrait investir dans le social ?

La question mérite en effet d’être posée. Actuellement, BNP Paribas accompagne sept CIS en France (lancés ou en cours de contractualisation), deux aux Etats-Unis (sur la protection de l’enfance et sur l’inclusion des vétérans en syndrome post-traumatique) et un en Belgique (pour prévenir le sans-abrisme de jeunes désinsérés), portant à dix le nombre total de contrats dans lesquels la banque s’est engagée ces dernières années, et à 9 millions d’euros son investissement financier. Le 4 février dernier, la banque française a même lancé, avec le Fonds européen d’investissement, un fonds de co-investissement de 10 millions d’euros dans le but de fédérer autour de ces contrats de nouveaux acteurs bancaires à l’échelle européenne.

« En tant qu’acteur bancaire, nous sommes au centre de l’écosystème économique, et donc en capacité de faire la jonction entre les différentes parties prenantes du CIS. Cet outil nous permet de mettre notre savoir-faire financier au service d’un impact sociétal positif », abonde Maha Keramane. Et tant mieux si cet impact peut également rapporter. Bien que largement moins lucratifs que des placements financiers classiques, les contrats à impact social prévoient toujours, en cas de réussite du projet, le versement d’une « prime » fixée au moment de l’élaboration du contrat, en plus du remboursement des sommes investies. « On préfère parler d’une prime à la performance plutôt que d’un taux d’intérêt car elle n’est versée qu’en cas de dépassement des objectifs. En France, le TRI [taux de rentabilité interne] des investisseurs dépasse rarement 6 %. »

Délégation de l’intérêt général

Pour Nicole Alix, présidente de l’association La Coop des communs, le danger réside précisément dans ce transfert de la prise de risque. « L’idée que l’Etat n’est plus là pour prendre des risques a une force de récit extrêmement puissante. Avec les CIS, j’ai peur qu’on soit face à une nouvelle arnaque, au motif qu’il y a aurait un dû à l’égard du financeur qu’est l’Etat. Or la puissance publique doit prendre des risques pour que la cohésion sociale soit maintenue. » Une idée partagée par Bernard Horenbeek, président de la banque coopérative La Nef. « Les financiers ne sont pas des sots, ils vont là ou ils savent qu’ils peuvent a minima récupérer leurs billes et retirer des bénéfices. Car les bénéfices, ça peut aussi être de la communication. »

Un premier gage est assuré par le choix de prestataires reconnus et identifiés sur le territoire – en confèrent les structures actuellement financées par un CIS – et la nature même des projets portés, dont le caractère « innovant » semble davantage signifier « coûteux » que « risqué ». Des garde-fous assurent aussi aux investisseurs de ne pas tout perdre : mise en place de paliers dans les objectifs, permettant de rembourser au compte-gouttes et plus vite ; séparation entre les indicateurs de moyens, de résultats et d’impact. « Les indicateurs de moyens peuvent jouer ce rôle de mitigation du risque, car il est moins probable de ne pas les atteindre. Toutefois, si l’association ne déploie pas correctement le programme ou si elle ne touche pas assez de bénéficiaires, les investisseurs peuvent tout perdre », précise Maha Keramane (voir page 15). Sans surprise, le haut-commissaire à l’ESS, Christophe Itier, se montre quant à lui pragmatique : « Je préfère qu’une banque investisse dans des actions sociales ou environnementales, surtout dans ce cadre régulé, plutôt que de faire de la spéculation. Arrimons la finance au réel, et je pense que le pays et le monde se porteront un peu mieux. »

Déploiement de fonds à impact

Pour sa part, Bernard Horenbeek établit un lien entre la financiarisation du social par le biais des CIS et le tournant pris par les banques après la crise de 2008. « A ce moment-là, elles ont découvert que les citoyens s’intéressaient à la finance éthique et se sont donc adaptées, notamment en créant des fonds d’investissement responsable ou à impact… »

Fonds à impact social, fonds durables, fonds 90-10, fonds de partage… Les propositions d’investissement thématiques « à impact » alliant retour financier et retour social se multiplient. Selon Novethic, centre de recherche financé par le groupe Caisse des dépôts et consignations, les encours des fonds durables ouverts aux particuliers ont été multipliés par deux en 2019, pour atteindre près de 280 milliards d’euros. Directrice de la recherche en investissement socialement responsable au sein de la société de gestion Meeschaert AM, Aurélie Baudhuin décrypte : « Ce n’est pas à la finance de tout résoudre, mais elle a aussi une vraie part de responsabilité. Le financement, c’est le nerf de la guerre, donc c’est intéressant de pouvoir rediriger l’investissement vers une croissance qu’on appelle “transition” “justice”, “croissance verte”. Et c’est une demande de plus en plus forte des clients, une demande citoyenne impulsée par les investisseurs institutionnels, les mutuelles, les fonds de pensions, les caisses de retraites, qui ont cette politique de critères ESG [environnementaux, sociaux et de gouvernance]. » Ainsi, les CIS font bien partie de cet investissement à impact, en tant qu’émissions obligataires. « C’est encore une niche en France, mais c’est dans le sens de l’histoire, donc je pense que les CIS vont vraiment augmenter dans les prochaines années, et encore plus dans le contexte que l’on vit actuellement », complète Aurélie Baudhuin.

Au-delà des débats sur la diversité des fonds et des labels, cette recrudescence pose une autre question, démocratique et sociétale. « Désormais, ce sont des financeurs privés qui vont choisir sur quelles actions et quelles politiques sociales ils vont investir, et non plus les élus », analyse Yannick Martell, de l’Institut Godin. Selon la priorité du moment, estimée par des banques, des entreprises voulant valoriser un tournant vert ou des particuliers souhaitant investir dans une thématique spécifique, le privé se substitue au public et à l’intérêt général. Certains CIS poussent même la logique de l’enchevêtrement public-privé encore plus loin. Dans le cas du contrat signé par l’association Article 1, l’Etat n’est pas le seul tiers payeur. A la fin du programme, en cas de réussite, il coremboursera avec le Fonds B(1). Sur un budget de 1 million d’euros, le Fonds B injectera 200 000 €.

Notes

(1) Fonds de dotation d’Emmanuel Faber, directeur général de Danone, spécialisé dans le paiement au résultat.

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