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Dystopie

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« Flobert, dépêche-toi un peu, la réunion va commencer ! Et n’oublie pas d’amener le café ! » La voix autoritaire de la directrice me surprend en plein travail inintéressant. Je me lève docilement et me dirige d’un pas fatigué vers la kitchenette. Laure et Kenza y finissent justement leur pause. Gêné, je sens leurs regards s’attarder sur moi. Je baisse les yeux et tire un peu sur ma chemise. J’ai bien conscience que ce pantalon est un peu moulant, mais il y a un « dress code » ici, et la patronne a été très claire en m’embauchant. « Vous êtes un peu la vitrine de l’entreprise, Flobert, vous devez être impeccable. »

Je ne suis ni standardiste ni secrétaire. Je suis une vitrine.

La réunion a déjà commencé quand j’arrive, et je prends place discrètement en bout de table. Mon rôle est simple : servir le café et prendre des notes, le tout avec le sourire. On n’attend rien de plus de moi. Sois beau et tais-toi.

Pause déjeuner. Kenza allume la radio, et Dan Ar Braz égrène ses notes. « Hé ! Flobert, c’est la musique de ton pays, ça ! » Non, pas franchement. Je suis parisien, pas breton. Je ne me donne même plus la peine de préciser ; pour elle, tous les Blancs sont forcément bretons. Parce que bon, breton, vosgien ou basque, tout ça c’est pareil, hein… De toute façon, les Blancs se ressemblent tous un peu, c’est bien connu. La dernière fois que j’ai répondu, agacé, que c’était méprisant pour nous, la discussion s’est conclue par un : « Vous, les Blancs, vous ne faites vraiment aucun effort pour vous intégrer. » Depuis, je me tais, c’est préférable.

Ce midi, la discussion tourne autour du masculinisme. Laure et Kenza se moquent allègrement de ce mouvement qui ne fait pourtant que demander les mêmes droits que ceux des femmes : égalité salariale, partage des tâches domestiques, fin des violences faites aux hommes. Je tente d’expliquer en quoi ces revendications sont importantes et parle des différents courants existants, de Garrett White à Julien Rochedy, en passant par Gabriel Morin. « Non mais, Flobert, je sais de quoi je parle… » Je n’écoute pas la suite, je sais que Laure aura le dernier mot de toute façon, même sur un sujet que je maîtrise mieux qu’elle. J’ai l’habitude de me faire « womansplainer » dans cette boîte.

Dix-huit heures, la journée se termine enfin. Je me hâte de rentrer. Florette rentrera tard, elle a une réunion importante suivie d’une sortie entre collègues dans un bar branchouille. Il faut que j’aille récupérer les enfants à la garderie, puis j’enchaînerai avec les devoirs, le bain, le repas… La double journée des hommes, et la charge mentale qui incombe encore et toujours aux pères…

« Hé… psssst… mon mignon ! T’as un zéro six ? » Je presse le pas. Je ne me sens pas en sécurité dans cette rue. Toutes ces femmes en grappes qui déshabillent les hommes du regard, se permettant même parfois des gestes déplacés… Elles ne sont pas toutes comme ça, oui, je sais. « Not all women », comme elles disent. La femme insiste. « Hé, mec, réponds-moi ! On peut discuter un peu, non ? Allez, fais pas ton timide ! De toute façon, vu comment t’es sapé, t’attends que ça, hein ! »

Le ministère du Droit des hommes avait promis des amendes pour le harcèlement de rue, mais ici, aucune présence policière. De toute façon, ça restera toujours la parole des hommes contre celle des femmes. Les opprimés contre les oppresseuses. Elle ne lâche pas l’affaire. Je ne marche plus, je cours. J’ai peur, je cours, et elle rit, elle rit de sa puissance et de ma faiblesse. Je cours sans me retourner, je cours et je tombe, lourdement, sous les rires des grappes de femmes agglutinées autour de moi. Ma tête a heurté quelque chose. Le silence et la pénombre. J’ouvre les yeux. Je viens de tomber du lit. C’était un rêve. Un mauvais rêve. Un horrible cauchemar.

Je suis Flobert, homme blanc CSP+, tout est sous contrôle.

La minute Flo

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