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Isolement des aînés : les conséquences dévastatrices du confinement

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L’association Les Petits Frères des pauvres vient de publier son quatrième rapport sur l’isolement et la solitude des seniors, consacré cette année aux effets du confinement sur les personnes de plus de 60 ans. Principal constat : 720 000 personnes âgées n’ont eu aucun contact avec leur famille durant le confinement.

« L’isolement social est la situation dans laquelle se trouve la personne qui, du fait de relations durablement insuffisantes dans leur nombre ou leur qualité, est en situation de souffrance et de danger. Les relations d’une qualité insuffisante sont celles qui produisent un déni de reconnaissance, un déficit de sécurité et une participation empêchée. » Telle est la définition donnée par le Conseil économique, social et environnemental (Cese) dans son avis Combattre l’isolement social pour plus de cohésion et de fraternité, publié en 2017. En France, ce phénomène touche 1,5 million de personnes de plus de 75 ans. Pire, selon un rapport des Petits Frères des pauvres de 2017, 300 000 personnes âgées de plus de 60 ans sont en situation de mort sociale en ne rencontrant jamais ou très rarement d’autres personnes (réseau familial, amical, voisins, réseau associatif). C’est l’équivalent de la population de Nantes, sixième ville de France par le nombre d’habitants…

La crise sanitaire que nous venons de traverser a aggravé la situation. C’est en tout cas ce que démontre la nouvelle enquête annuelle des Petits Frères des pauvres, publiée le 4 juin. Selon ce rapport, le confinement a engendré « une profonde modification des relations sociales, avec une intensification des relations familiales et une baisse d’intensité des relations amicales et de voisinage ». Selon l’association, 720 000 personnes âgées de plus de 60 ans n’ont eu aucun contact avec leur famille durant le confinement, soit 4 % de cette tranche d’âge, contre seulement 1 % avant l’épidémie.

Un impact sur la santé

« C’est comme si la crise donnait un coup de projecteur sur quelque chose qui était déjà présent et vécu mais qui est désormais connu de tous, estime Jean-Louis Wathy, délégué général adjoint des Petits Frères des pauvres. Cette situation est non seulement réelle mais elle peut même devenir dangereuse. » Référent national de Monalisa (Mobilisation nationale contre l’isolement des personnes âgées), Jean-François Serres insiste : « Cette crise a contraint l’ensemble des Français à rester chez eux et mis en danger les personnes fragiles et isolées. C’est une évidence. Elle a mis en exergue le fait que maintenir le lien social et la solidarité de proximité est une mission vitale pour le pays. Il ne faudra pas l’oublier. » Le rapport révèle que, pour 41 % des personnes âgées de 60 ans et plus, le confinement a généré un impact négatif sur leur santé morale et, pour 31 %, sur leur santé physique. « Ce sont des chiffres non négligeables, poursuit Jean-Louis Wathy. Tous les témoignages recueillis au cours de cette enquête montrent que beaucoup de personnes âgées, même après le confinement, ont du mal à sortir dans la rue. Certains ont peur, estiment qu’il y a encore un risque. Pour d’autres, c’est un manque de motivation. Il y a un vrai glissement. » Là encore, les chiffres sont plus forts que les mots : selon l’enquête des Petits Frères des pauvres, 5 % des 60 ans et plus envisagent de ne pas sortir, soit 830 000 personnes. Dès lors que ces dernières vont poursuivre le confinement, elles auront besoin que l’élan de solidarité dont elles ont bénéficié depuis le début de la crise sanitaire se poursuive.

Car il s’agit, selon Les Petits Frères des pauvres, de l’un des enseignements majeurs de cette crise : les Français ont fait preuve d’une très grande solidarité à l’égard de leurs aînés. Très tôt, il est apparu que les personnes âgées étaient les plus vulnérables face au Covid-19 (comme le prouve le nombre de décès). Or, dès les premières interdictions de visites en établissements et l’annonce du confinement, des initiatives de solidarité ont émergé afin de rompre l’isolement des seniors : appels téléphoniques ou en visioconférence, envois de cartes postales, de courriers, de dessins d’enfants, portage de courses ou de repas… « Je crois que le regard sur le grand âge, sur nos aînés, a été un peu transformé. Ils ont fait l’objet de toutes les solidarités possibles et imaginables, confirme Jean-Pierre Riso, président de la Fnadepa. D’abord par les équipes, puis par les bénévoles et la population générale. Les salariés ont mis en place des animations individualisées, ont eu le temps, la possibilité d’individualiser davantage les accompagnements, alors qu’auparavant on pensait que ce n’était pas possible. Mais il y a aussi eu une solidarité entre les équipes, avec des dépassements de fonction. Cela a créé une forme de transversalité entre soignants et non-soignants. Il faudra que cela perdure. »

« L’avis de la personne âgée est trop rarement pris en compte »

Benoît Calmels, délégué général de l’Unccas, se montre plus nuancé : « Il y a eu quelques initiatives de terrain durant le confinement, mais on ne sait pas encore si elles sont idéales. Pour l’instant, c’est embryonnaire. Nous n’avons pas assez de recul sur ce qui a été mis en place pour savoir si les bonnes idées fonctionnent. Après l’été, une fois que la canicule sera passée, on verra si celles-ci peuvent perdurer. La question principale est de savoir si cela a permis aux aînés de rencontrer d’autres personnes. »

En 2003, déjà, la canicule avait révélé cette problématique. Alors que la grande majorité des décès a concerné des personnes âgées isolées à domicile, un certain nombre de recommandations avaient été formulées, visant à intégrer davantage le sujet du vieillissement de la population. L’isolement extrême de nombreuses personnes âgées décédées avait agi comme un électrochoc, mais les réponses publiques se sont avérées insuffisantes.

Dix-sept ans après, la situation perdure et s’est même aggravée. Pour Benoît Calmels, le fait est lié à un « échec du repérage ». « Nous avons des services à domicile, des résidences services seniors, des Ehpad, des médecins, du portage de repas, des bénévoles… Et pourtant, nous avons encore des personnes isolées socialement, déplore-t-il. Le problème ne vient donc pas des services en tant que tels, mais du repérage, du dépistage de ces personnes isolées. Ce sont des invisibles de la société. »

Pour que ce repérage soit le plus efficient possible, une coordination plus poussée de tous les acteurs sur le terrain est nécessaire, afin que chacun remonte les informations. Il faut arriver à créer un environnement (le boulanger, la pharmacienne, le postier…) en capacité de repérer les fragilités et d’avertir les spécialistes, et les services sociaux le cas échéant. Mais tout ceci sera vain si la société ne prend pas mieux en considération la parole des aînés. « La personne âgée a une parole et aimerait que l’on se réfère à celle-ci plutôt que de tout décider pour elle, sous des prétextes de protection, affirme Marie-Françoise Fuchs, 88 ans, fondatrice et présidente de l’association Old’Up. On ne prend que trop rarement en compte l’avis de la personne âgée. Il faut que nous soyons plus écoutés, et pas seulement pour décorer l’arbre de Noël dans un Ehpad. Le Premier ministre et le ministre de la Santé doivent recevoir plus régulièrement des personnes âgées. » Et Jean-Pierre Riso de conclure : « Un regard différent sur nos aînés est nécessaire. Une reconnaissance du grand âge aussi. Au-delà de toutes les campagnes de communication, valoriser nos aînés passe avant tout par une politique de l’autonomie réformée et rénovée. Il va donc falloir que l’isolement des personnes âgées soit au cœur de la future loi. »

Le rapport « Guedj » pose les jalons de l’après-crise

En mars dernier, Jérôme Guedj, ancien député socialiste, alertait sur le risque pour les personnes âgées de « mourir d’ennui et de solitude ». Dans la foulée, le ministre de la Santé, Olivier Véran, lui confiait la mission « d’identifier les leviers qui sont aujourd’hui à la main des pouvoirs publics, des acteurs de terrain et de la société civile pour combattre l’isolement des aînés, pour le temps de crise mais aussi pour la période qui suivra ». Dans un rapport remis le 6 avril, Jérôme Guedj élabore un plan de mobilisation nationale d’urgence autour de 10 orientations et 42 mesures. Des réponses amenées à perdurer après la crise.

Un ministre pour changer les choses ?

Alors qu’un remaniement ministériel est évoqué pour les semaines à venir, la question se pose de rétablir un ministère ou un secrétariat d’Etat aux personnes âgées. Un moyen de s’assurer de l’élaboration de la future loi « grand âge » et d’une réelle prise en considération de la parole de la personne âgée. « Je ne suis pas convaincu qu’un poste de ministre ou de secrétaire d’Etat suffise, assure Jean-Pierre Riso, président de la Fnadepa. Les politiques d’autonomie doivent être transversales. Elles empruntent au sanitaire, au médico-social, au logement, au transport… » Avant de continuer : « Je crois plus que l’on peut construire une politique de l’autonomie beaucoup plus ambitieuse et plus large si l’on va chercher au-delà d’un simple ministère des personnes âgées. Il faut que l’on arrive à faire comprendre que c’est l’affaire de tous. Pas seulement celle d’un ministre ou des acteurs du secteur ».

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