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Confinement et liens familiaux : un couple plus complexe qu’il n’y paraît

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Les deux mois de confinement n’ont pas rimé avec absence de lien. Au contraire. Il y a parfois eu excès de relations. Certains s’en sont accommodés, d’autres moins. Il n’existe pas de vécu universel de cette expérience inédite, comme l’affirme le psychologue clinicien et psychanalyste Daniel Coum(1).

« Le confinement, décrété mesure princeps de la lutte contre la pandémie, a assigné à résidence la population quasi entière du pays dans le déni de ce que sa réussite supposa l’engagement obligé des parents, sommés de rester à la maison et d’y maintenir leurs enfants. Etre “tout” pour son enfant, voilà ce à quoi ils ont été unanimement convoqués, de fait, sans que leur avis leur soit demandé, et dans la méconnaissance des effets de ce confinement sur la parentalité elle-même. Comme si cela allait de soi !

Or le confinement contrevient à la loi humaine qui préside à l’avènement et au développement des liens familiaux tout au long de la vie dont le principe structurel est éminemment centrifuge. En effet, la fonction parentale structure le rapport des parents à l’enfant sur le mode de l’ouverture au monde sur fond d’attachement. En cela, ce dernier est, pour l’enfant, un moyen d’émancipation et non un but en soi. Telle est donc l’essence même de la parentalité : non pas avoir un enfant mais former un citoyen ! L’investissement parental dont l’enfant est l’objet n’a pas pour fonction de maintenir l’enfant attaché à ses parents mais de créer les conditions de possibilité de son “aller vers” le monde. A défaut de quoi la famille dont on vante tant les mérites n’est plus une ressource mais un handicap !

Dès lors, le confinement a été dans son principe antinomique avec la fonction fondamentale des parents. D’aucuns s’en sont accommodés. D’autres ont payé cher le prix de la contrainte d’une promiscuité transgressive d’un besoin fondamental de se séparer : violences conjugales, mauvais traitements sur les enfants, révoltes adolescentes en ont été les symptômes saillants… Si la mise à distance physique de l’autre a été la règle, elle n’a concerné que l’autre de l’extérieur, celui qui seul rend pourtant possible une émancipation à laquelle tout un chacun aspire comme moyen d’échapper aux liens familiaux nécessaires un temps mais possiblement aliénants s’ils persistent outre mesure.

Pour autant, ce serait une erreur de faire de ces excès une généralité. La diversité des expériences a été la règle qui empêche toute généralité, inévitablement abusive, sur ce que les parents et leurs enfants ont vécu.

Le traumatisme pour tous ?

Le confinement ne fut pas l’occasion d’un “vécu de sidération traumatique” généralisé comme le soutient notre illustre collègue, Serge Tisseron(2). Le catastrophisme ambiant et ostentatoire a été de bon ton pour justifier la floraison de multiples dispositifs d’écoute téléphonique (sic) d’aide psychologique (parfois même bénévole et gratuite !) prétendant traiter, sinon prévenir, le pire annoncé(3). Mais l’annonce du pire n’en crée-t-elle pas les conditions d’apparition ? Sur quelle réalité observée s’appuie-t-on pour affirmer qu’il faudra lors du déconfinement, recréer du lien, comme s’il n’y en avait pas eu le temps du confinement ? Et quand les psys de tout crin se précipitent, non sans opportunisme, au chevet des familles confinées avec comme seul et unique argument leur conviction d’être nécessaires, ne dit-on pas implicitement aux parents qu’ils sont incapables de faire face ? Qui a besoin de qui ?

Pour ce que nous avons pu observer, les difficultés parentales n’ont jamais été que celles qui étaient déjà là avant la crise sanitaire et que le confinement n’a fait qu’exacerber.

User, voire abuser, de la référence au vécu traumatique est, pour le moins, méconnaître ce qu’est le traumatisme : il n’est pas fonction de l’événement mais de la manière dont cet événement est éprouvé, d’une part, et interprété, d’autre part, par le sujet. Ce qui est, l’on en conviendra, aussi variable qu’il y a de personnes concernées. La crise sanitaire aura donc été, pour une partie de la population, une crise salutaire.

Dès lors, l’enjeu du déconfinement n’est pas, selon nous, tant de “créer” du lien que d’étendre à nouveau, de manière volontaire et avec soulagement, ou au contraire sous contrainte et non sans quelques angoisses supplémentaires, le réseau relationnel de chacun. Il s’est agi, dès le 11 mai, de sortir de l’étroitesse des liens vécus, entretenus et devenus à ce point familiers que le déconfinement aura été et est encore au jour où nous écrivons, pour certains, une nouvelle épreuve de séparation. Alors même que pour d’autres (les adolescents particulièrement, mais pas tous) le déconfinement aura sonné le glas, avec soulagement, d’un trop plein de liens familiaux. C’est selon !

Le déconfinement comme échappatoire

Quant à ceux pour qui cette promiscuité relationnelle et affective a été insupportable, ils portent témoignage des effets délétères d’un excès – et non d’une absence – de liens. Ceux-là apprécieront l’échappatoire que leur offre le déconfinement. Enfin seul ! Et toutes les personnes âgées n’ont pas souffert de l’absence de “sollicitations” parfois ordinairement pressantes (pour ne pas dire violentes) de leur descendance désormais nommés “aidants” familiaux. Et réciproquement ! Tous les liens ne sont pas aidants…

De la même manière, nous doutons de la justesse de l’affirmation, lue ailleurs, selon laquelle le “collectif a été brisé” et qu’il faudra le réparer. De quel “collectif” parle-t-on ? Celui de l’entreprise ? De la nation ? De la famille ? En ces temps d’individualisme forcené, ces collectifs n’existent plus depuis longtemps, quoiqu’ils renaissent de leurs cendres lorsqu’il s’agit de s’unir pour faire face à un ennemi commun. Cela aura été le cas, pour faire front à la menace de la contagion, dans certains milieux. Doit-on rappeler ici que de belles solidarités se sont, à cette occasion, créées et/ou manifestées de manière admirables ? Elles furent spontanées (ainsi les mouvements de foule de 20 h), organisées (les concerts réunissant par la magie de la télévision des centaines d’artistes professionnels ou amateurs à travers le monde) ou instituées (la mobilisation des soignants). Notons à cet égard que les professionnels des institutions éducatives et médico-sociales – dont on parle trop peu – ont fait preuve d’une exemplarité remarquable en matière de mobilisation collective ! Rien de “cassé” en l’occurrence dans ces collectifs-là. Au contraire, des inventions sociales à préserver et à prolonger comme alternatives aux erreurs que l’on gagnerait à ne pas reproduire.

Une réalité plus complexe qu’il n’y paraît

Donc, pour avoir travaillé ardemment ces deux derniers mois à essayer de comprendre ce dont les familles, et les professionnels qui les accompagnent, ont fait l’expérience à l’occasion de cette crise sanitaire qui a été, pour tous, une épreuve diversement appréhendée, nous ne pouvons qu’insister sur la complexité, la diversité et la singularité des expériences vécues. Et donc sur la difficulté, voire l’impossibilité, de prévoir la trace que ce confinement va laisser dans le psychisme des enfants, des adolescents et de leurs parents. Aussi est-il hasardeux de prétendre extraire de cette période traversée et encore active quelque vérité que ce soit quant à la conduite à tenir, surtout en présupposant l’existence d’un traumatisme généralisé. Le faire pose inévitablement question. Car il n’est pas impossible que le confinement s’avère avoir été, pour certains enfants et certains adultes, et malgré tout, une expérience enrichissante que le déconfinement leur permettra de mettre à profit à la condition qu’il ne soit pas méconnu. L’avenir nous le dira. Et si nous y pouvons quelque chose, il s’agira moins de prescrire que d’accompagner !

Notes

(1) Daniel Coum est directeur des services de l’association Parentel et maître de conférences associé en psychopathologie au département de psychologie de l’université de Bretagne occidentale. Dernier ouvrage : Faire famille au temps du confinement. Quelques points de repère – Yapaka, 2020.

(2) Voir l’interview du psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron sur ash.tm.fr : https://bit.ly/2MjjNJd et la version feuilletable ASH n° 3159 du 8-05-20, p. 20.

(3) Voir « l’Appel des appels » : https://bit.ly/2Mrc0ZT. »

Contact : www.parentel.org

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