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« Là-bas, les LGBT n’existent pas »

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Implantée à Angers, dans le Maine-et-Loire, l’association Le Refuge a ouvert depuis octobre dernier un lieu inédit en France dédié à l’hébergement et à l’accompagnement des personnes réfugiées victimes d’homophobie ou de transphobie. Cette structure expérimentale leur offre un abri et un tremplin pour s’insérer dans la société.

Au dernier étage d’un immeuble d’Angers, la pluie frappe les grandes fenêtres de la pièce à vivre de l’association Le Refuge. Malgré le temps morose, dans ce coin salon et salle informatique, où des canapés modernes côtoient une télévision et un espace cuisine, le sentiment qui se dégage est d’avoir atteint un petit havre de paix. « L’idée est de créer un cocon, un lieu où les jeunes puissent poser les valises. Certains ont subi de gros traumatismes. Ici, on cherche à leur dire : “Maintenant vous pouvez lâcher” », explique Anne Méaux, cheffe de service de cette antenne dédiée aux réfugiés LGBT+.

« 4 m2 qui nous séparent »

Parmi eux, Mory. Emmitouflé dans son écharpe noire, le Guinéen de 23 ans est mince et porte des lunettes. Malade, il plaisante en se mouchant : « J’ai vraiment hésité à appeler une ambulance en pleine nuit à cause de mon rhume. » Aurélien Guillot, conseiller en insertion professionnelle, pour qui l’accompagnement des jeunes prend des formes aussi variées que leurs besoins, le rassure : « Sur le frigo, tu as un Post-it avec le numéro de SOS Médecins. » Mais, ces derniers mois, les projets de ces jeunes réfugiés ont connu un coup d’arrêt avec la pandémie de Covid-19 et le confinement. « La plupart d’entre eux ont fait preuve de patience, mais cela a beaucoup joué sur leur moral, explique Anne Méaux. Depuis le départ de leur pays d’origine, ils sont toujours dans des parcours du combattant et les moments d’attente sont toujours pour eux des moments de frustration. » Depuis le déconfinement, les activités reprennent, « même si, avec les 4 m2 d’espace qui nous séparent les uns des autres, c’est un peu particulier, plaisante la cheffe de service. La priorité, maintenant, est de reprendre un rythme et de relancer la dynamique d’insertion. »

Persécutés pour homophobie

Mory est le deuxième à avoir intégré le dispositif, quelques jours après Adam, Syrien transgenre de 21 ans accueilli ici voici sept mois. A son arrivée, celui-ci maîtrisait très mal le français, contrairement à l’anglais. Petit, les cheveux coupés en brosse, il a un sourire timide mais chaleureux. Le jeune réfugié raconte l’enfer traversé : son pays défiguré par la guerre, sa fuite au Liban pendant neuf mois, puis son arrivée en France, en avril 2019, loin de tout ce qu’il connaît, sans solution ni soutien. « La vie en Syrie est horrible, vraiment très dure. Là-bas, les LGBT n’existent pas, on n’a même pas le droit d’en parler. Et sur Internet, quand je faisais des recherches, je tombais sur des sites qui disaient : “Il faut les tuer”. Donc je culpabilisais en me demandant pourquoi j’étais comme ça. » Ce n’est qu’ici, en exprimant ce qu’il ressentait, qu’Adam a compris qu’il n’est pas lesbienne mais transgenre, pas né dans le bon corps. « Je ne peux pas le dire à mes parents, ça les tuerait. »

Orienté dans cette structure par des bénévoles du Refuge, Adam le reconnaît, sans ce dispositif, il serait sûrement à la rue. Les jeunes accueillis ont particulièrement besoin de bienveillance : à leurs parcours d’exil souvent compliqués s’ajoutent violences et agressions homophobes ou transphobes subies dans leurs pays, et parfois à nouveau dans le pays d’accueil. Ouvert en octobre 2019, le dispositif compte six appartements équipés et peut accueillir jusqu’à 30 jeunes répartis dans plusieurs colocations. Les bénéficiaires sont suivis régulièrement par une équipe à taille humaine, composée de trois personnes.

A l’origine de ce projet, un constat : la part des demandeurs d’asile dans le public accompagné par Le Refuge a bondi, passant de 7 % en 2015 à 44 % en 2019. « C’est devenu une vraie problématique, explique Nicolas Noguier, président et fondateur du Refuge. J’ai découvert qu’il existait en Allemagne un dispositif similaire, et j’ai pensé qu’il serait utile en France. » Et pour cause : jusqu’alors, il n’existait sur le territoire aucun hébergement spécifique pour des réfugiés de moins de 30 ans, et encore moins pour des jeunes venant chercher une protection à la suite de persécutions et de menaces de mort pour homophobie ou transphobie.

Aujourd’hui, Aurélien Guillot organise un atelier sur l’emploi. Contrats à durée déterminée (CDI) ou indéterminée (CDD), autoentreprise… Face aux jeunes installés dans la salle de vie, il présente les multiples types de contrats de travail, en prenant le temps d’expliquer les acronymes et en répétant pour que tout le monde comprenne. Le jeune Adam réagit : « On n’a pas tout ça en Syrie. Chez nous, tu vas voir quelqu’un et tu te mets d’accord directement, ça suffit. » L’atelier est dynamique, ludique. Le conseiller en insertion lance des devinettes, tout en transmettant des informations essentielles : « Il est important de connaître le nombre d’heures maximal de travail par semaine, car vous allez tous travailler », rappelle-t-il aux jeunes bénéficiaires.

Quelques semaines après son arrivée, Mory a dégoté son premier job sur un marché de Noël, où il a aidé un commerçant. Il y a cinq ans, tout juste majeur, il s’est retrouvé contraint de fuir la Guinée quand ses parents ont appris par des voisins qu’il était gay. Les coups et les menaces de le brûler vif l’ont poussé à traverser le Mali, le Niger et la Libye, où il a été emprisonné pendant des mois. Il a finalement réussi à s’échapper, a traversé la Méditerranée et s’est réfugié en Italie. Là, dans un centre d’hébergement, il a de nouveau dû faire face à des comportements homophobes et racistes. A présent, un an et demi après avoir franchi à pied la frontière française, il poursuit sa nouvelle vie à Angers. Un endroit dont il est « tombé amoureux », même s’il raconte des débuts de cohabitation difficiles : « Mon coloc n’aime pas l’odeur du poisson que je cuisine. C’est bien la première fois que j’entends ça ! » Car c’est une des conditions d’hébergement du dispositif : les jeunes vivent obligatoirement en colocation. « C’est important, ça apprend à vivre ensemble, à s’entraider, à partager les problèmes. Et même s’il y a des conflits, ça permet d’avancer, de se mettre à la place de l’autre », explique Anne Méaux.

Le colocataire qui n’aime pas le poisson s’appelle Andria. Ce Géorgien de 23 ans a des allures de mannequin, avec ses cheveux teints en blond et sa silhouette élancée. Comme les autres, Andria décrit l’horreur. Pour lui aussi, la violence est arrivée par la famille. Ses parents l’ont envoyé dans un presbytère pour tenter de changer son orientation sexuelle, puis son propre frère l’a poignardé. A l’âge de 16 ans, il s’est enfui pour s’installer à Tbilissi, la capitale géorgienne, avec ses amis d’infortune. Arrivé en France en 2017, pour lui, la violence ne s’est pas arrêtée là. En juillet 2019, à Paris, il se fait insulter, cracher dessus et rouer de coups en pleine gare de Lyon. Il fait alors appel au Refuge et intègre à Angers le dispositif début décembre. « J’aime cette ville, c’est plus petit, plus calme, je me sens mieux. Ici, les gens sont très gentils. A Paris, je ne m’étais pas fait autant d’amis. » Andria est souriant, mais les violences subies ont laissé des traces qui prennent parfois le dessus quand il s’exprime, dans un français très convenable. « J’ai pleins de rêves, je voudrais être vendeur professionnel, mais mon premier objectif, c’est d’apprendre le français », annonce le jeune homme, passionné de littérature.

La prise en charge proposée par Le Refuge dure neuf mois et est reconductible trois mois, soit au maximum un an. Une durée qui tiendra compte de la période de confinement. En effet, depuis le 17 mars, toutes les démarches d’insertion se sont retrouvées gelées. Or l’idée de ce nouveau dispositif est bien de proposer aux jeunes un tremplin. « S’ils peuvent s’en sortir plus vite, il faut qu’ils s’en saisissent. Nous voulons les accompagner dans leurs désirs », précise Anne Méaux. Chaque mois la cheffe de service prend le temps de dresser le bilan de l’évolution sur les semaines écoulées avec le bénéficiaire : formalités administratives, procédures vers l’emploi, apprentissage de la langue… Tout est passé à la loupe pour leur permettre de constater le chemin parcouru et d’établir les objectifs du mois suivant. « On cherche à les rendre suffisamment autonomes et en confiance pour aller vers d’autres jeunes », renchérit Aurélien Guillot.

Une insertion en douceur

C’est ce qui s’est passé pour Adam. Comme chaque mardi, l’association organise en fin de journée une permanence, moment où l’équipe et les bénéficiaires se réunissent pour un temps de loisirs. Visites de la ville, sorties culturelles. Ce soir, c’est jeux de société. Adam sort tout juste du travail pour les rejoindre, et c’est désormais dans un français très correct qu’il raconte avoir signé un CDDI (contrat à durée déterminée d’insertion) pour deux ans dans une entreprise de tri textile. Il est content mais fatigué par de grosses journées de travail et les difficultés auxquelles il est confronté : « Mes collègues sont très gentilles, mais je ne peux pas être totalement moi-même », lâche-t-il. Adam a été placé dans l’équipe des femmes et subit les questions sur sa coupe de cheveux, sur son look. « Chez nous, ou dans leurs appartements, c’est une soupape, les jeunes se sentent bien. Mais le problème est toujours présent à l’extérieur, dans la rue, au travail… Il faut encore faire de la sensibilisation », pointe Anne Méaux. En moins de six mois, le jeune Syrien a réussi à apprendre le français, à décrocher un emploi et cherche maintenant son propre appartement pour quitter l’association. Des progrès conséquents, que le jeune a encore un peu de mal à mesurer.

De son côté, Mory, arrivé en novembre, a intégré une formation préparatoire à l’apprentissage. Il y suit des cours de maths, de français et doit trouver un stage. Son objectif est de travailler dans le secteur de l’aide à la personne. « Ça avance, j’évolue. Rien à voir avec ma vie d’avant. La seule chose que je demande, c’est de me sentir en sécurité et respecté, dans la convivialité », détaille le jeune homme. D’ailleurs, pour des raisons pratiques, Mory a aménagé avec Mamadou, un nouveau jeune accueilli également originaire de Guinée. Pour autant, le dispositif ne convient pas à tout le monde : deux jeunes ont préféré le quitter après un bref passage. « Ça nous a fait prendre la mesure de la nécessité de bien expliquer les conditions d’accueil en amont », souligne la coordinatrice du projet.

Unique en France, la structure bénéficie à hauteur de 80 % du soutien financier du ministère de l’Intérieur car il intègre la « stratégie nationale pour l’accueil et l’intégration des personnes réfugiées », présentée en juin 2018. La municipalité d’Angers et la région Pays de la Loire ont aussi donné un véritable coup de pouce à sa mise en place. Mais si les conditions de réussite du projet sont réunies, certains jeunes sont encore anxieux, en proie aux doutes ou à la colère. « Ils ont des problématiques qui se juxtaposent. Etre réfugié dans un autre pays que le sien et subir ou avoir subi des violences ou des agressions en lien avec leur homosexualité ou au fait qu’ils sont transgenres. Ça ajoute une fragilité supplémentaire. En général, il y a une grande difficulté à libérer la parole », note Nicolas Noguier.

Les permanences, où les jeunes se rejoignent et partagent un quatre-quarts et des moments de rigolade, ponctuent agréablement leur semaine. Ce soir, ils se réunissent autour d’un jeu de devinettes dessinées. L’occasion de revenir dans la bonne humeur sur certains mots de vocabulaire. Sur un des canapés, Stéphane Bremaud a quitté son bureau de comptable pour venir couper le gâteau. Pour lui aussi, Le Refuge est un tremplin. Licencié en 2016 d’un géant de la grande distribution, il s’est reconverti en suivant des cours au Greta (structure de l’Education nationale qui organise des formations pour adultes) et a saisi l’opportunité de ce poste pour démarrer une nouvelle vie professionnelle. Recherche d’appartements, devis pour le mobilier, contrats de bail… Pour les jeunes, il est un intermédiaire clé. « Ici, je suis une personne, pas un numéro. L’équipe est très solidaire et je me sens utile », se réjouit l’agent administratif, tout en tentant péniblement de représenter le mot « entorse » pour remporter la partie.

Envers et contre tout

Dans un coin de la salle, deux sacs de draps, de serviettes et de produits d’hygiène, constitués par Anne Méaux et son équipe, attendent d’être récupérés par Zein et Sam, les derniers arrivants. De quoi s’installer sans se préoccuper d’aller chercher le minimum nécessaire dans les magasins. Ce couple de Syriens de 23 et 27 ans a investi à la mi-février la colocation d’Andria et d’Adam. D’abord sur la réserve, les deux jeunes hommes finissent par relater leur exil. Un parcours marqué par une histoire d’amour née il y a six ans et qui a survécu à leur enfermement, à leur fuite en Irak puis à leur exploitation au Kurdistan irakien.

Ils décrivent leur sentiment d’impuissance face aux ambassades étrangères au Kurdistan qui, pour la plupart, ont refusé de les aider. Finalement, l’ambassade de France accepte leur dossier, car Sam a une tante installée dans le sud de la France. Une fois là-bas, ils vivent une cohabitation compliquée dans un appartement exigu, enchaînent les allers-retours entre Miramas et Marseille, où ils tentent d’obtenir un rendez-vous pour demander le statut de réfugiés. Puis ils racontent un nouvel événement traumatisant : un soir, sans raison apparente, des policiers armés les interpellent et les plaquent au sol. Avant de contrôler leurs papiers… Ils sont ressortis de l’épisode très marqués et désormais méfiants envers les autorités françaises. Malgré tout, ils apprennent le français, travaillent pendant dix mois pour les espaces verts de la ville. Jusqu’à décembre 2018, lorsqu’ils rencontrent les bénévoles du Refuge de Marseille.

Leur arrivée récente au sein de la colocation d’Angers leur apparaît comme une chance. « On a commencé à ressentir un esprit de famille », dit Zein. « Chaque soir on se retrouve, on rigole, c’est agréable », rajoute Sam. Tous les deux veulent trouver au plus vite du travail. Respectivement étudiants en design et en architecture, ils rêvent de monter un jour un cabinet commun, de travailler ensemble. « Je voudrais vivre dans un endroit où je serai libre, avec mon copain, un endroit en sécurité », voilà ce à quoi aspire Sam. Prochaine étape pour ces néo-Angevins : tenter d’obtenir la nationalité française et, pourquoi pas, se marier. Comme un pied de nez à tous les obstacles déjà surmontés.

Reportage

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