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Entre les lignes

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Nom. Prénom. Date et lieu de naissance. Profession. Situation familiale. Adresse.

Encore un dossier à remplir. Pour l’école, la garderie, la cantine, le sport, l’administration ou l’association des déconfinés déconfits qui font des confitures.

Encore un dossier qui dira tout et ne racontera rien. Des mots simples pour des histoires compliquées.

J’ai un nom très commun et un prénom peu commun. Le nom de mon père et le prénom choisi par ma mère. Florentine, c’est le souvenir d’un voyage à Florence, un lit qui grinçait dans un hôtel délabré, les économies d’un jeune couple claquées dans un voyage improvisé, et quelques mois plus tard, le bébé surprise qui s’invite à la maison. Alors elle s’appellera Florentine, cette petite fille aux yeux bleus comme un ciel d’Italie, et elle nous rappellera les jours heureux d’un joyeux périple.

J’ai 43 ans. Je suis entre deux âges, plus très jeune et pas très vieille. La fin du début ou le début de la fin. Mais ça ne dit rien de ma vie d’avant ni de celle d’après, de l’enfant que j’ai été, de l’adulte que je suis et de la vieille femme que je serai. Mon âge n’est qu’un nombre impair et impersonnel coincé entre deux autres nombres. Il dit juste que je suis une quadra, la fameuse ménagère de moins de 50 ans et la proie idéale des publicitaires en manque de temps de cerveau humain disponible(1).

Ma profession… C’est compliqué. Je suis aide à domicile, hôtesse de caisse, agent d’entretien, au gré des missions et des saisons… Je vais de poste en poste, de temps partiel en intérim, quelques heures ici et d’autres là, des journées trop pleines et des mois trop creux, et mon CV est un bric-à-brac de Smic et de black.

Ma situation familiale est administrativement simple et humainement compliquée. Officiellement célibataire. Mère célibataire plus précisément. Mère d’un enfant né de père inconnu. Et pourtant, il ne m’était pas inconnu, cet homme que j’ai aimé. Il était dans ma vie et dans mon lit, il était un peu fou et j’étais folle de lui, il est mort et je suis vivante, définitivement condamnée au titre peu glorieux de « maman solo ». Le père inconnu, c’est cet homme qui est parti avant le commencement, c’est ce grand lit qui reste vide de lui et cette sage-femme qui me demande gentiment si le papa est là. Non, le papa n’est plus là, il n’a pas eu le temps d’être père et je n’ai pas eu le temps d’être veuve.

J’habite la rue Simone-Veil. Une rue au nom d’une femme militante, ça claque ! Mais aussi un « quartier sensible », un « REP », anciennement « ZEP ». Mon adresse est une verrue sur mes formulaires, c’est la rue des maisons moches, le quartier miteux des populations en situation de précarité, c’qu’il est blême, mon HLM ! Mais c’est aussi le pianiste inconnu qui offre ses notes légères à qui veut les entendre, c’est le jardin fleuri de Florimonde et le sourire gracieux du petit jeune homme des pompes funèbres. C’est la rue des jolis bruits et des odeurs fleuries, mon immeuble plein de vie et mes voisins pleins d’envies.

Je repose mon stylo. Le formulaire que je viens de remplir est désespérément pessimiste. Mère célibataire actuellement sans emploi, habitant un quartier défavorisé. Le mauvais cas dans les mauvaises cases, la cassos de service abonnée aux services sociaux. Mais moi, je sais. Je suis le souvenir d’un ciel d’Italie, une femme qui a follement aimé et l’intrépide habitante d’une rue bien vivante. Une question de point de vue, une histoire de points de vie.

Notes

(1) « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible » : Patrick Le Lay, p-dg du groupe TF1 (2004), à propos de la disponibilité du cerveau humain face aux messages publicitaires.

La minute de Flo

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