La dislocation sociale des Etats-Unis, à laquelle nous assistons médusés de notre côté de l’Atlantique, vient de loin. La mort de Georges Floyd, un homme noir décédé après avoir été violemment interpellé par quatre policiers, a été l’étincelle qui a provoqué l’explosion de la poudrière. Les émeutes qui en résultent ne sont que le dernier soubresaut d’une révolte contre la vieille tradition raciste héritée du passé sanglant et esclavagiste du pays de l’oncle Sam. Mais aussi de trois ans et demi de présidence Trump, ce pyromane à qui les flammes ne semblent jamais assez chaudes.
Le brasier américain fait toutefois écho au sentiment de profond malaise qui anime notre pays depuis au moins dix-sept ans et l’arrivée en 2003 de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur. Personne n’a oublié le « karcher », les « racailles », ni le fait que, selon l’ancien chef de l’Etat, le rôle des policiers n’était pas de tisser du lien social avec une jeunesse qui avait déjà quelques raisons de se méfier de l’uniforme.
Si l’on meurt incomparablement moins entre les mains des forces de l’ordre françaises que dans celles de leurs homologues américaines, on meurt tout de même. C’est un fait que nous rappelle obstinément la mort récente de Cédric Chouviat ou celle d’Adama Traoré, pris d’un malaise mortel alors que trois gendarmes procédaient sur lui à une arrestation musclée. Comme George Floyd, Adama demandait seulement à respirer.
La répétition des mêmes situations, avec les mêmes conséquences tragiques, doit nous interdire de voir dans ces policiers ou ces gendarmes des brebis galeuses. Ils sont en réalité l’incarnation extrême d’une ambiance chaque jour plus délétère. Peut-être ne sont-ils pas consciemment racistes, mais ils démontrent par leurs attitudes que, non, décidément, le respect de la vie humaine n’est pas le même selon la couleur de peau.
Quand la police tue, ce n’est pas seulement son honneur qu’elle bafoue. Quand la justice refuse de passer, ce n’est pas seulement le camp de la honte qui l’emporte. C’est le creuset républicain qui se fracasse. De ce point de vue, les modèles français et américains s’apparentent. Théoriquement, la citoyenneté y efface la couleur de peau, l’origine, le genre ou la religion.
Il n’est jamais trop tard pour tenter de recoller les morceaux, de les fondre à nouveau dans le moule d’un contrat social bienveillant, juste et qui tend vers l’exemplarité. Mais à trop attendre, les démons du communautarisme, de l’émeute et de la soif de vengeance nous gagnent à bas bruit. Jusqu’à explosion.
A cette heure, aux Etats-Unis comme en France, la même question résonne : jusqu’où irons-nous dans la négation de nos valeurs et de notre histoire ?