Un interne sur trois présente des symptômes de stress post-traumatique depuis le début de la crise du covid-19, selon une étude publiée, le 22 mai, par l’Intersyndicale nationale des internes (Isni). « Cauchemars, impression de ne pas arriver à faire face, ne pas pouvoir en parler, irritabilité, colère, anxiété, tristesse… Cette étude montre que ces symptômes sont très présents », souligne l’Insi. Si la mobilisation en première ligne pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 engendre, dès à présent, des séquelles psychologiques importantes chez les personnels des hôpitaux, les professionnels du secteur social et médico-social ne seront pas épargné. « Avec tout ce que les professionnels ont vécu, il n’est pas possible qu’il n’y ait pas des conséquences psychologiques derrière. La décompensation peut être immédiate ou cela peut rester latent quinze jours, un mois, six mois… », avertit Roselyne Querrien, formatrice consultante en gérontologie et responsable Formaqualsanté, qui propose aux établissements un accompagnement de la gestion de l’anxiété et du stress des personnels à travers les outils de l’hypnose et du mindfulness (la méditation de pleine conscience).
Pour Sébastien Hof, psychologue du travail et psychothérapeute, le risque de stress post-traumatique est arrivé dès le début de la crise du coronavirus et va perdurer dans le temps. « Cet événement n’est pas nécessairement un trauma en tant que tel. Il y a des circonstances qui peuvent générer ces traumas mais ce n’est pas une nécessité absolue pour tout le monde. Toutefois, un certain nombre de professionnels, à l’hôpital comme en Ehpad ou à domicile, présentaient déjà des signes cliniques assez forts d’épuisement professionnel. Certains ont pu vivre des traumatismes avant cette période. Un trauma en appelle un autre », ajoute-t-il.
Comme le rappelle l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), cette situation de stress intense a impacté tous les échelons des organisations, de la direction aux opérationnels de terrain : « Les directeurs de structures, les cadres de proximité ont été confrontés à une situation exceptionnelle de gestion de crise à laquelle ils n’étaient pas préparés dans sa rapidité, sa quantité et sa dangerosité. Ils ont dû réorganiser les équipes (affecter des professionnels à des postes qui ne sont pas habituellement les leurs, accueillir des stagiaires, des internes en médecine, des professionnels de la réserve sanitaire), les former, revoir les plannings, réorganiser les lieux, revoir la façon de recevoir les personnes accueillies ou d’organiser les visites à domicile. »(1)
Magali Amrani, directrice et fondatrice d’Au Pays des Vermeilles, structure d’aide à domicile orléanaise de 35 salariés et présidente de la commission maintien à domicile de la Fédération au service des particuliers (FESP)en témoigne. « Chaque jour a été un travail de titan pour tenir compte des difficultés rencontrées sur le terrain par les auxiliaires de vie sociale (AVS). Il y a eu beaucoup d’inconnues, beaucoup d’angoisses à gérer. Nous avons été noyés sous des mesures législatives pas forcément complètes, qu’il fallait faire préciser par les décrets d’application, et les modéliser ensuite dans les logiciels métiers dans des délais contraints et réduits. Nous avons multiplié les nuits blanches. »
Afin de permettre aux professionnels de tenir bon, des plateformes et cellules d’écoute téléphoniques ont été déployées durant cette crise sanitaire. Les cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP) composées de professionnels spécialisés dans la prévention et la prise en charge du psychotrauma ont été réactivées dans presque chaque département. Des établissements publics et privés ont également mis en œuvre leurs propres initiatives.
Le réseau APA a mis en place une plateforme de soutien psychologique pour tous ses salariés et ses bénévoles. « Il y a eu très peu d’appels. Aller vers un psychologue reste une démarche encore difficile. Il y a encore des représentations autour de ce métier. Les professionnels de l’aide à la personne ne pensent pas toujours à leurs propres besoins. Les personnels de l’aide à domicile ou en Ehpad peuvent s’oublier dans la relation à l’autre », mentionne Rita Cano, l’une des cinq psychologues de la plateforme. Face à ce constat, l’association a alors changé de formule. « Toutes les personnes confinées chez elles ont été appelées par les psychologues, afin qu’ils prennent de leurs nouvelles. Les entretiens téléphoniques ont pu durer jusqu’à 40 minutes et d’autres ont été très courts », poursuit la spécialiste.
Si l’heure est désormais au déconfinement, la psychologue insiste sur l’importance de rester vigilant face à l’impact de cette épidémie sur la santé mentale des professionnels. « Il ne faut pas sous-estimer le risque de troubles à distance car toute l’énergie a été mise dans l’action immédiate et dans une certaine durée. Cette crise sanitaire a pour spécificité de s’inscrire dans le temps. Les cellules d’urgence médico-psychologique sont habituellement mises en place lorsqu’il y a un événement bien précis, comme un attentat par exemple. Dans le cas de cette crise, il y a eu un point de départ mais pas encore de date de fin. »
De son côté, l’INRS alerte également sur « le risque d’une grande fatigue physique et psychique, au sortir de la crise sanitaire » chez les salariés du secteur sanitaire et médico-social. Et d’insister sur le fait qu’un « contrecoup » pourrait survenir sous la forme de syndrome de stress post-traumatique chez certains. En effet, la confrontation fréquente à des cas sévères entre la vie et la mort et à un nombre important de décès, pourra affecter à moyen, voire à long terme, certains d’entre eux. Il est possible que certains personnels aient été confrontés à la nécessité de « prioriser » des patients, résidents, ou personnes visitées à domicile, par rapport aux autres, ce qui a pu mettre l’éthique du métier à mal.
Sébastien Hof attire l’attention sur les Ehpad. Les établissements pour personnes âgées ont, à ce jour, payé un lourd tribut avec plus de 10 000 décès durant cette crise sanitaire. « La colère des professionnels de ne pas avoir été équipés, la crainte d’avoir été vecteurs de contamination auprès des résidents, la culpabilité, le sentiment d’avoir failli à leurs missions peuvent être le nid de ce stress post-traumatique », met en garde le psychologue. « Les mesures sanitaires mises en place n’ont plus permis de créer des rituels dans l’accompagnement des décès dans ces structures. Les corps, même décédés, étaient des objets à risque. Les toilettes mortuaires ont été remplacées par des rituels de désinfection. Cela génère un sentiment de ne pas aller au bout de la démarche d’accompagnement des personnes, ce qui est violent pour les professionnels. »
La prévention des risques psychosociaux ne pourra se faire sans un diagnostic de cette crise. « Un retour d’expérience est à organiser au sein des équipes, afin de faire un bilan, reconnaître les difficultés rencontrées par le personnel mais aussi il faudra souligner, valoriser les nouvelles façons de faire mises en place, et qui se sont révélées vertueuses et seraient à conserver. Ce retour d’expériences pourra servir à actualiser le document unique d’évaluation des risques professionnels [Duerp] et à orienter les mesures organisationnelles à mettre en place, à les faire évoluer ou à les conserver. Il permettra également d’alimenter le dialogue social avec les instances représentatives du personnel sur la santé et la sécurité au travail », recommande l’INRS.
Au sein du réseau APA, Charline Knuchel, chef de projet, architecte de l’innovation sociale et du Care Management, est chargée de « mesurer le coût psychologique de la crise » et d’élaborer tous les outils pour « une aide et une assistance émotionnelle » des salariés et bénévoles de l’association : « Nous allons analyser les comportements qui ont émergé et voir ce que l’on peut travailler dans le pilotage, l’organisation, le management, les outils, les méthodes de travail, la prévention des risques psychosociaux. Dans les modalités de déconfinement, le document que l’on a créé pour les managers et les salariés prend en compte les difficultés de lien social, la charge de travail, l’organisation, la saturation numérique, le chevauchement vie privé-vie professionnelle. Nous allons sensibiliser les managers à être plus attentifs aux difficultés que les salariés expriment ou pas. Des nouveaux rituels seront mis en place pour aborder en individuel et en collectif la question de la qualité de vie au travail. »
De l’avis de Sébastien Hof, le collectif reste le principal moteur de la protection de l’intégralité des individus, et pour « qu’il soit protecteur, il faut qu’il soit suffisamment soudé, solidaire, fort et qu’il puisse y avoir des temps, des échanges à travers notamment des groupes de parole. Discuter de manière collective entre la direction, les chefs de service et l’ensemble des forces de terrain. » Le psychologue du travail déplore toutefois que les séances d’analyse de la pratique aient aujourd’hui disparu des établissements du fait de la crise et pour respecter les mesures sanitaires. « Jusqu’en septembre il n’y en a plus. Au cœur de la crise, au moment où les professionnels ont le plus besoin d’évoquer les difficultés qui sont les leurs, on leur enlève un outil nécessaire. »
« Il faut tirer des leçons de cette crise et voir ce à côté de quoi on est passé », reconnaît Magali Amrani. « Les professionnels du domicile ont prouvé qu’ils avaient les épaules et n’ont pas fait défaut. La loi Grand âge [toujours pas inscrite au calendrier législatif, ndlr] devra être l’occasion de remettre l’accent sur la valorisation et la reconnaissance de ces métiers, sur la qualité et sur le management », appelle de ses vœux la responsable de la commission Maintien à domicile de la Fesp. Et d’espérer : « Une réflexion collective sur la société que nous voulons demain devra être engagée. »
La Haute autorité de santé (HAS) a publié, le 13 mai, une « Réponse rapide » pour prévenir et repérer les souffrances des professionnels du monde de la santé et du secteur médico-social dans le cadre du Covid-19. « Les structures, les organisations et les pouvoirs publics ont un rôle à jouer dans la réduction du stress et dans la prévention de la souffrance des professionnels qui travaillent dans la saté. En cette période, une information claire, une formation et une adaptation des conditions de travail (en matière de sécurité et d’organisation du travail notamment) sont des préalables cruciaux. Sans oublier la mise à disposition d’un accompagnement et d’un soutien social et psychologique », souligne le texte.
« Souffrance des professionnels du monde de la santé : prévenir, repérer, orienter », disponible sur www.has-sante.fr.
(1) « Organiser la reprise d’activité en prévenant les risques psychosociaux. 9 points clés pour agir » -INRS, mai 2020.