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« Le décloisonnement doit être au cœur de notre système de santé »

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Dominique Libault est le président du Haut Conseil du financement de la protection sociale et l’auteur d’un rapport très attendu sur le grand âge. Pour lui, si la pandémie de Covid-19 a confirmé « les problèmes que le secteur pouvait rencontrer en raison du manque d’attractivité et de sa sous-valorisation », elle va largement impacter la future loi « grand âge et autonomie », promise par Emmanuel Macron, il y a près de deux ans.
Quels sont les principaux enseignements de cette crise ? Que nous oblige-t-elle à changer ?

Elle a été un miroir grossissant. La crise a exacerbé un certain nombre d’éléments. Elle a mis sur le devant le sujet des aînés et des professionnels qui les accompagnent. Le grand âge s’est retrouvé, encore plus qu’avant, sous les projecteurs. Cette pandémie a aussi souligné un manque d’anticipation du grand âge, du vieillissement de notre population. La crise a confirmé les problèmes que le secteur pouvait rencontrer en raison du manque d’attractivité, de sa sous-valorisation. Dans les zones les plus touchées, cela a ainsi été extrêmement compliqué de trouver des renforts. Mais cette période a aussi montré qu’un Ehpad, seul, ne pouvait pas faire face à une crise sanitaire. En effet, l’encadrement médical y est très limité, la présence médicale trop intermittente. D’autant que beaucoup d’établissements n’ont toujours pas de médecin coordonnateur. Or, si le virus pénètre dans l’établissement, il y a besoin d’une forte présence médicale. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que nous ne serons pas tout le temps en crise. S’il faut tirer les leçons de cette pandémie, il ne faut pas oublier tous les sujets du bien-vieillir, de l’espérance de vie en bonne santé… On commence à voir que si l’on néglige un certain nombre de sujets qui ne sont pas liés au virus, cela peut avoir des conséquences délétères sur les personnes âgées. Il faut donc laisser toute sa place à la lutte contre l’isolement social, au repérage de la fragilité. Tout ne doit pas être vu par le seul prisme du risque épidémique.

Pour contourner cette faible présence médicale en Ehpad, les filières gériatriques se sont largement développées. Faut-il les généraliser ?

Oui. Mais l’erreur serait de dire qu’il faut hospitaliser les Ehpad. Ce n’est pas parce que l’on manque cruellement d’encadrement médical en établissement que la solution doit être d’en faire un petit hôpital. Nous n’en avons pas les moyens. Et ce ne serait pas la bonne solution, parce qu’il faut aussi respecter l’aspect « lieu de vie, lieu social » de ces structures. Le sujet est plutôt – et c’est l’un des éléments de mon rapport – de savoir comment mieux coordonner les acteurs sur un territoire. Il faut insérer l’Ehpad dans une filière gérontologique. C’est donc tout ce décloisonnement qui doit être au cœur de la réfection de notre système de santé. Des solutions ont été trouvées par certains territoires durant cette crise. En effet, ce décloisonnement est souvent venu de la mise en place de coopération à l’initiative des acteurs, entre hôpital et Ehpad, parfois avec la participation des médecins libéraux. C’est par exemple l’hospitalisation à domicile, les soins palliatifs, les équipes d’hygiène… Ce sont donc des leçons pour l’avenir. Mais il ne faut pas que l’on retienne de cette crise qu’il faut transformer l’Ehpad en hôpital bis. En revanche, cette crise a aussi permis de se rendre compte qu’il y avait des populations très hétérogènes au sein même des établissements pour personnes âgées, entre celles ayant toute leur tête mais pas de motricité, celles atteintes de troubles cognitifs, celles avec une forte comorbidité et celles qui relèvent de cas psychiatriques vieillissants. Chacune appelle donc une solution particulière. Il va donc peut-être falloir réfléchir à une forme de graduation de l’accompagnement.

Cette crise ne révèle-t-elle pas aussi une problématique de gouvernance entre les départements et l’Etat ?

La question de la gouvernance est un sujet très compliqué. Il y a, là aussi, une très forte hétérogénéité entre les départements. L’Etat n’a pas été prévoyant, particulièrement sur les protections individuelles. On sait bien que, dans un certain nombre de cas, ce sont les collectivités locales qui ont pu palier les manques de masques, de surblouses, de gants. Beaucoup d’établissements se réjouissent donc d’avoir pu se tourner vers elles pour les aider. Cela a donc très bien fonctionné sur certains territoires, avec une très bonne coordination entre les départements et les agences régionales de santé (ARS), et bien moins sur d’autres. Je pense donc qu’il faut une concertation approfondie pour tirer toutes les leçons sur ce sujet. Mais je reste sur ce que je disais déjà dans mon rapport : je ne crois pas que la solution soit d’exclure un des deux acteurs. Cela ne me semble pas possible parce que le grand âge n’est pas simplement un sujet médico-social. C’est un sujet plus large et les collectivités locales ont leur rôle à jouer, surtout sur la question de la place de la personne âgée dans la vie de la commune. Pour autant, lorsqu’il s’agit de sujet sanitaire, il est évident que l’Etat et ses représentants sur les territoires ont la main. Il faut donc arriver à faire fonctionner cela ensemble. Et je dis bien ensemble. C’est ce que je disais déjà dans mon rapport : il ne faut pas découper le sanitaire et le social. Si chacun est de son côté, on n’a pas de politique efficace.

Un mot sur le domicile. Cette crise a accentué le manque de considération de la part des pouvoirs publics. Que faire pour changer la donne ?

C’est sans doute le défi le plus lourd de la politique du grand âge à venir. Je pense sincèrement que c’est par une approche globale et non pas par une ou deux mesures que cela doit se faire. Il y a par exemple la problématique du logement ou encore la politique des services à domicile et notamment de la valorisation des personnels. Ces professionnels restent encore très largement des invisibles. Il est certain aussi que la gouvernance, la relation entre les départements et l’Etat, est très sensible aussi sur ce sujet. Il y a, à la fois, toute la pertinence de la proximité que peuvent apporter les collectivités locales. Mais il y a aussi la question de l’hétérogénéité de l’offre qui serait contraire à une politique nationale de l’autonomie. Il y a toute la politique de la prévention à domicile, de l’accompagnement et de la lutte contre l’isolement social. Là encore, la crise a montré des capacités de solidarité évidente. Il faut les faire perdurer, les faire vivre et le plus possible dans la proximité. La grande difficulté sur cette problématique est d’articuler la politique de proximité et une politique nationale permettant de donner une visibilité à cette stratégie et assurer une réelle équité sur l’ensemble du territoire.

Tout ceci ne sera rendu possible que grâce à un important financement. Etes-vous satisfait des annonces d’Olivier Véran, le ministre de la Santé, évoquant une 5e branche de la sécurité sociale consacrée au financement de la dépendance et du grand âge ?

L’aspect positif de ces annonces, c’est que le dossier du grand âge est mis sur la table. Il semble même être l’une des priorités du gouvernement pour la sortie de crise sanitaire. Si cette nouvelle branche est mise en place, il s’agira d’une date importante dans l’histoire de notre protection sociale. Ensuite, il faut définir de quoi on parle exactement, ce que cela veut dire. Derrière cette symbolique, il y a donc encore du travail à fournir et une concertation à poursuivre avec les acteurs. Une première annonce financière liée à de la dette sociale été faite.

Mais elle n’est pas à la hauteur de ce qui est nécessaire. Evidemment, aujourd’hui, les finances publiques sont au plus bas, ce qui fait que la situation est bien moins évidente que lorsque j’avais rédigémon rapport où les finances sociales étaient supposées revenir à l’excédent rapidement. Cela va donc demander beaucoup d’efforts et d’imagination, peut-être même de lever certains tabous. Si les choses restent en l’état, la question d’un nouveau prélèvement devient un peu inéluctable : on ne voit pas très bien où sont les économies possibles. Mais tout ceci devrait être abordé, tranché dans la concertation à venir. Il n’y a pas de solution miracle. Il faut que chacun reconnaisse que la situation n’est plus la même que celle d’avant la crise. Si l’on souhaite porter cette priorité, et je pense sincèrement que c’est le cas du gouvernement, il va falloir être cohérent par rapport aux ressources financières. Ce qui demeure prioritaire, c’est l’amélioration du taux d’encadrement, la revalorisation des rémunérations des personnels et l’anticipation de l’évolution démographique.

Mieux prendre en compte la parole des aînés

Beaucoup d’observateurs ont souligné que, durant la crise, les personnes âgées ont eu du mal à se faire entendre. Alors même que des conseils de la vie sociale existent dans les établissements, ils n’ont été consultés qu’assez rarement. Un manque de considération déploré par Dominique Libault : « D’une manière générale, effectivement, on n’écoute pas assez les personnes âgées, on n’écoute pas assez leurs proches. Il faudrait plus les entendre. » Toutefois, il se réjouit de voir que « beaucoup d’initiatives ont été prises pour renouer le lien avec la personne âgée. Il faut capitaliser dessus. La survie n’est pas une fin en soi dans une politique du grand âge. Si on fait survivre des personnes au détriment de toute vie sociale et en les isolant de telle façon qu’elles aient une vie extrêmement restreinte, cela n’a pas grand intérêt. »

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