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« La protection de l’enfance est sinistrée, il faut réagir »

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Hélène Romano est docteur en psychopathologie, psychothérapeute, chercheuse, experte auprès des tribunaux et co-auteure du livre « Danger en protection de l’enfance : dénis et instrumentalisations perverses » (Dunod). Pour elle, la période traversée a mis en lumière le meilleur mais aussi le pire en matière de protection de l’enfance, et il faut réagir vite, pour « l’après ».
Pour vous, le premier enseignement à tirer de cette crise, c’est que l’enfant a été relégué. Pourquoi ?

De manière générale, l’enfant a été le grand oublié de la période de confinement. Une période pourtant inédite, où il a fallu réagir dans l’urgence. Mais aucun ministre n’a pris le temps d’expliquer publiquement aux plus jeunes, à la télévision par exemple, ce que nous étions en train de vivre, pourquoi il fallait se confiner, comme cela a été fait dans les pays nordiques. A l’avenir, il sera nécessaire de se mettre à hauteur d’enfant pour expliquer les décisions et ne pas laisser cette charge aux seuls parents. En protection de l’enfance, il y a eu des enfants particulièrement négligés. Ceux que l’on savait en danger mais vivant encore dans leur famille ont été totalement abandonnés du fait de l’arrêt des déplacements au domicile. C’est une catastrophe. On observe une perte totale de confiance de certains de ces enfants envers les adultes. Les conséquences sont terribles. On ne peut pas continuer ainsi à l’avenir : les interventions à domicile ne doivent pas être interdites en cas de confinement. Les protections ont manqué pour cela. Donc, dès maintenant, il faut constituer des stocks pour assurer le maintien de l’action de ces équipes, même en cas d’épidémie. Continuer, aussi, à agir lorsqu’il y a eu des signalements. Mettez-vous à la place d’un enfant victime d’inceste qui ose en parler avant le confinement mais pour qui il ne se passe plus rien pendant des mois. Ce n’est pas tolérable.

A l’inverse, certains professionnels décrivent des enfants placés, plus sereins, pendant le confinement…

Oui, pour ceux qui sont allés en maison d’enfants à caractère social (Mecs) ou en famille d’accueil, c’est quelque chose que l’on a constaté. Pour ces enfants, et grâce à l’implication sans faille des professionnels, il a pu y avoir une continuité, une sécurisation et une protection psychique qui ont pu conduire à l’apaisement. En temps normal, de nombreux intervenants gravitent autour d’eux, ils enchaînent les contacts avec les spécialistes. Au final, ils n’ont plus de vie ! Cela nous amène à réfléchir à notre manière d’articuler autrement l’organisation du quotidien de ces enfants placés. L’autre point notable, c’est que certains ont été apaisés car on ne leur a pas imposé de visites médiatisées avec leurs parents, ce qui peut parfois les angoisser. Ce n’est pas nouveau, nous sommes nombreux à alerter sur les droits de visites obligatoires. Ce qu’on a appris avec cette période, c’est donc que certains enfants vont mieux sans rencontrer leurs parents. Il faut s’en saisir et revoir d’urgence la politique du droit de visite.

Le monde de demain repose-t-il beaucoup sur les professionnels ?

Oui. Je pense qu’il faut renforcer les moyens en protection de l’enfance. En termes d’effectifs mais aussi en termes de formation. Car on voit des intervenants qui ont reçu des formations totalement déconnectées du terrain ; c’est un problème qu’il faut résoudre au plus vite. Ensuite, il faudrait créer un système à l’image de l’Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) qui déploie des renforts en cas de crises, mais avec des professionnels du médico-social : des retraités, des professionnels volontaires. J’appelle à éviter les bénévoles, car on parle d’enfants maltraités. Une expertise est nécessaire. Il faut aussi porter une attention particulière à l’état d’épuisement psychique des professionnels. Il est nécessaire de prendre soin d’eux pour qu’ils puissent se consacrer aux plus jeunes. Car il est très coûteux d’accompagner des enfants en danger. Cela passe notamment par l’organisation de débriefings réguliers et par la mise en place de supervisions où ils peuvent faire des retours d’expériences. La protection de l’enfance est sinistrée en France. Il faut réagir avant qu’il ne soit trop tard, pour les enfants et pour les professionnels.

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