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Insertion par l’emploi : un secteur qui ne manque pas de ressort

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Durement frappées par la crise en cours, de nombreuses entreprises adaptées, d’insertion ou de travail temporaire d’insertion ont déjà activé des dispositifs de rebond. Et poursuivre leur mission d’accompagnement. Une fonction qui s’avère d’autant plus précieuse que de nouveaux publics, pris dans l’actuelle tempête économique, pourraient bien devoir y recourir.

Entre 80 et 90 % de perte d’activité. Voilà ce qu’ont coûté la crise sanitaire et les deux mois de confinement au secteur de l’intérim d’insertion et aux associations intermédiaires, selon Luc de Gardelle, président de la Fédération des entreprises d’insertion (FEI). « La mise à disposition de salariés a été le secteur le plus touché », résume-t-il. Cette perte d’activité aura des conséquences sur l’accompagnement des personnes en insertion ou en situation de handicap. Du moins à en juger par l’enquête menée par l’Union nationale des entreprises adaptées (Unea). Elle pointe qu’au sein des 378 structures répondantes (soit près de la moitié des entreprises agréées en tant qu’entreprises adaptées), 79 % d’entre elles prévoient de geler leurs projets de recrutement, 44 % de ne pas renouveler les contrats à durée déterminée arrivés à terme. Pire : 17 % envisagent des licenciements économiques d’ici à l’été et plus de 7 sur 10 (72 %) devraient reporter leurs programmes d’investissement.

Ainsi, les publics en insertion ou travaillant, du fait de leur handicap, au sein d’une entreprise adaptée pourraient être en grande difficulté, plus fragiles encore qu’ils ne l’étaient avant la crise. En premier lieu les personnes qui faisaient l’objet d’expérimentations, comme les salariés recrutés en CDD tremplin par une entreprise adaptée avant de gagner le milieu ordinaire de travail. Jean-Louis Ribes, président fondateur de DSI (Direction services industriels, qui emploie un millier de personnes dans six régions de France, a suspendu les 100 CDD tremplin recrutés en 2019, qui œuvraient principalement dans le secteur de l’aéronautique. Patrick Choux, directeur général de Groupe Id’ées, a dû pour sa part renvoyer les personnes en intérim d’insertion au chômage classique : « C’est très compliqué en termes de dynamique de parcours, parce que certains n’ont pas encore de droits acquis », note-t-il. Retour, donc, à la case minima sociaux…

En deux jours, l’entreprise a perdu les trois quarts de son activité d’intérim, principalement tournée vers le BTP. Même coup dur au sein du groupe marseillais La Varappe dont le président, Laurent Laïk, explique : « En quelques jours, tous les indicateurs sont passés au rouge. Nous avons perdu 80 % de notre activité d’intérim en une journée. Nos activités dans le secteur de l’environnement ont été touchées, par exemple, par la fermeture des déchetteries. Et pour notre 3e pôle, de fabrication d’habitats à base de conteneurs, nous avons rencontré des problèmes d’approvisionnement. » DSI, elle, redoute qu’une menace ne pèse sur l’emploi de 40 % de ses salariés, tout particulièrement ceux qui travaillaient pour le compte du client Airbus. Quant à Serge Widawski, directeur d’APF Entreprises, celui-ci relève que nombre de leurs clients demandent « d’écluser les stocks, sans donner aucune visibilité sur la suite ».

Un choc violent mais inégal

La violence du choc apparaît indubitable, mais inégale, selon les secteurs. Serge Widawski s’étonne d’un renversement par rapport aux habitudes : les activités industrielles reprennent plus rapidement que celles liées aux services. Le secteur du développement informatique semble rester en berne, ce qui va rendre plus difficile le maintien de CDD tremplin. La partie entreprise d’insertion de Groupe Id’ées s’en sort nettement mieux que son entreprise de travail temporaire d’insertion, puisqu’elle propose des activités à forte intensité de main-d’œuvre : le nettoyage, la logistique, la gestion des déchets, l’agro-alimentaire ou la santé. « Cela nous a permis de maintenir les dynamiques de parcours pour ces salariés en entreprises d’insertion », se félicite Patrick Choux.

De surcroît, les mesures conjoncturelles prises pendant la crise sanitaire ont permis d’amoindrir la brutalité sociale du séisme économique. Le recours au chômage partiel a été massif dans le secteur, et autorisé y compris pour les CDD qui arrivaient à terme. Et les reports de charges comptent aussi parmi les mesures appréciées pour préserver l’emploi.

Mais le rempart le plus efficace pour les personnes en insertion réside dans les ressorts internes des structures qui les accompagnent. Dans leur combativité, d’abord. « Nos fondamentaux, revendique Laurent Laïk, c’est que lorsque quelqu’un commence un parcours d’insertion chez nous, on va jusqu’au bout ! » Et de raconter qu’il a créé quatre agences d’intérim pendant la période de confinement. Pour préparer l’avenir et la sortie de crise. Même volontarisme chez Patrick Choux, qui suppose que sans doute les effectifs de salariés permanents dans les agences d’intérim restés en activité ont été surdimensionnés, mais pour la bonne cause : « Nous devions maintenir le lien avec les intérimaires et aller de l’avant. Devancer la reprise. Si on se contentait d’attendre que nos clients reprennent leur rythme et nous repassent commande comme avant, on en aurait pour longtemps ! L’automne peut-être. » « On n’attend pas les appels d’offre, confirme Laurent Laïk. On fait du push ! »

Au sein de La Varappe, cela a consisté à investir près de 100 000 € dans l’achat d’équipements de protection individuelle pour que les salariés poursuivent leurs activités le plus possible. Il s’est agi également de se montrer créatifs, en réinventant les métiers : le développement de nouvelles prestations de nettoyage, la fabrication de thermomètres, la mise à disposition par la préfecture des Bouches-du-Rhône de logements d’urgence fabriqués dans les conteneurs… Une réactivité rendue possible par une trésorerie disponible avant la crise, ce dont toutes les entreprises d’insertion ne disposaient pas.

Mais, en bonne santé financière ou non au préalable, cette inventivité est inscrite dans l’ADN du secteur de l’insertion, selon Luc de Gardelle. Il note que ce secteur a embauché, pendant la crise, 2 000 personnes pour la fabrication de masques et qui dit réfléchir au montage d’une filière de conditionnement de gel hydroalcoolique. « Il nous faut répondre aux besoins de la société. » Mais également aux besoins des entreprises locales, ajoute Cyril Gayssot, président de l’Unea, qui voit dans l’ancrage territorial un atout pour les entreprises adaptées.

Plusieurs leviers d’action

Au risque de cantonner les personnes dans les secteurs d’activité dits « peu qualifiés » ? Alors que la tendance, ces dernières années, consistait, en tout cas pour les personnes handicapées, à développer leurs compétences via les CDD tremplin et quelques autres dispositifs. Une hypothèse que n’écarte pas Cyril Gayssot, même si à ses yeux, ces métiers devront se réinventer. S’il prévoit que le développement du télétravail risque de diminuer le nombre de bureaux à nettoyer, il estime aussi que de nouvelles prestations, de désinfection par exemple, vont être demandées par les entreprises clientes.

Voir apparaître de nouvelles prestations rassurerait les opérateurs, qui prévoient que nombre de personnes nouvelles vont se retrouver fragilisées et devront être accompagnées. Dès lors, à l’image de Luc de Gardelle, ils en appellent à faire de l’insertion par l’activité économique un point essentiel de la relance. Et dans ce cadre, les clauses d’insertion leur semblent représenter un important levier d’action. Tous en appellent à ce que les entreprises respectent leurs engagements en la matière. De même pour les commandes publiques : l’Etat avait annoncé réserver 20 % de ses marchés à ces entreprises d’insertion en 2020.

Autres attentes pour relancer le secteur ? La poursuite de l’indemnisation en chômage partiel jusqu’à la fin de l’année, demande Serge Widawski, au moins pour les personnes handicapées. La préservation de la souplesse dont ils ont su faire montre pendant la crise, pour réagir vite. Les relocalisations industrielles, en particulier du textile, en lien avec la fabrication de masques. L’investissement des sommes économisées par exemple sur les aides compensatoires de la moindre productivité des personnes handicapées mises au chômage partiel pour soutenir ces entreprises adaptées en matière d’investissement.

Les mesures espérées font consensus et la crise semble avoir rapproché les secteurs de l’insertion et du handicap. Tous reconnaissent avoir travaillé ensemble et entendent bien le faire également avec les entreprises ordinaires : « C’est la philosophie de Cap vers l’entreprise inclusive 2022 [qui portait notamment l’expérimentation des CDD tremplin, ndlr] », justifie Cyril Gayssot. « Nous prenons le pari que ce que nous faisons aujourd’hui avec nos clients renforcera nos liens avec eux et qu’ils deviendront nos partenaires », renchérit Laurent Laïk.

En dépit de la rudesse du choc, tous semblent conserver une part d’optimisme. « Nous ne sommes pas dans une posture défensive, nous voulons continuer à créer de l’emploi », affirme Serge Widawski. Pas non plus de changement dans les objectifs pour Laurent Laïk, qui envisage toujours, d’ici à cinq ans, d’atteindre les 12 000 salariés, contre 5 000 actuellement. « La dynamique d’emploi va se reconstruire, peut-être différemment, peut-être pas chez les mêmes acteurs, mais il y a plein de choses à faire, invite Patrick Choux. Cette crise peut représenter une opportunité économique, sociale et environnementale. » Et Laurent Laïk de s’interroger : « Si nous, entrepreneurs sociaux, on n’est pas capables de nous mettre dans une zone de danger pour renverser la table et proposer d’autres projets d’entreprise et de société, qui le fera ? »

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