On a vu, directement intégré au cadre de l’image, des interprètes en langue des signes aux côtés du président de la République lors de ses interventions télévisées. On peut lire, sur le site du secrétariat d’Etat aux personnes handicapées, des fiches en français facile à lire et à comprendre (Falc) sur le déconfinement, et notamment sur la façon, pour les personnes elles-mêmes, dévaluer leur vulnérabilité face au virus et donc de prendre en toute autonomie la décision de savoir si elles veulent ou non sortir à nouveau. La crise sanitaire semble avoir mis au premier rang des préoccupations de certains politiques de se faire comprendre, à l’opposé de ce qui s’était produit en 2015, lors de la vague d’attentats ayant touché la France, au cours de laquelle les personnes sourdes ou déficientes intellectuelles avaient été tenues à l’écart de l’information.
« La crise n’a rien inventé, nuance Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées, lui-même sourd. Mais elle a accéléré les choses. Les émetteurs de messages ont eu besoin de se faire comprendre de tous. »
Au point que l’Unapei, association qui accompagne les déficients intellectuels et leurs familles, note une demande croissante de traductions en Falc. Pour y répondre, elle a choisi de s’associer à un chercheur, Louis Martin, doctorant au sein de l’équipe ALMAnaCH de l’Inria et de Facebook AI Research. Le propos de sa thèse : développer un outil numérique qui permette de proposer des traductions en Falc. A la manière d’un correcteur automatique, qui fait des propositions mais a besoin d’une validation humaine pour les retenir. Pour y parvenir, les chercheurs entraînent le modèle à comprendre la langue française, en enlevant un mot dans une phrase, par exemple, que la machine doit retrouver toute seule. L’outil devrait être déployé à compter de 2021.
De nouveaux outils, c’est bien. Mais une réelle volonté de se faire comprendre, c’est mieux. Or, dans ce domaine, les marges de progrès sont importantes, malgré les avancées récentes : Emmanuel Macron et Sophie Cluzel veillent à être traduits simultanément mais pas les autres ministres (Intérieur, Education nationale…), qui pourtant s’adressent tout autant à l’ensemble des Français. « C’est une loterie, s’agace Jérémie Boroy. Il faut que l’intervention commence pour que l’on sache si elle sera accessible. Je ne comprends pas la logique. »
De son côté, Bruno Le Maire, vice-président de l’Unapei, dit ignorer si l’intérêt pour cette accessibilité va perdurer, « mais nous faisons tout pour qu’il en aille ainsi ! ». D’autant que, ajoute-t-il, sur la même ligne que Jérémie Boroy, ces traductions peuvent servir à d’autres, qui connaîtraient mal la langue française ou liraient difficilement.
Quoi qu’il arrive, les besoins des personnes, eux, ne disparaîtront pas. Ce qui pourrait donner naissance, espèrent ces deux porte-paroles associatifs, à de nouveaux métiers, de traducteur en langue des signes (à partir de textes sous-titrés) et de transcripteurs en Falc. Autant de professions, de plus, accessibles aux personnes concernées en premier lieu : « C’est toujours mieux quand un texte est traduit par une personne dont la langue des signes est la langue maternelle », note Jérémie Boroy.
Il fait par ailleurs observer que pour que la communication soit efficace, elle doit être spontanée. « S’il faut attendre deux semaines avant d’avoir un discours traduit en Falc, ça ne fonctionne pas ! » Aussi invite-t-il les communicants à intégrer cette préoccupation de se faire comprendre de tous, d’emblée, sans avoir besoin de recourir à des prestataires extérieurs. Son souhait ? Un décloisonnement ultime, qui conduirait à parler de français pour tous et non plus de Falc, réservé à une catégorie de personnes. Le chemin risque de s’avérer encore long…