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Touchée mais pas coulée

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Je ne suis pas morte.

Je peux encore voir, entendre, sentir, goûter et toucher. Mon corps est encore bien vivant, trop vivant.

Je peux voir le visage de l’homme que j’ai aimé. Ses yeux, son sourire… ses poings.

Je peux entendre. Entendre ses mots d’amour, ses insultes, ses cris. Entendre le fracas de la vaisselle, entendre les enfants qui pleurent, entendre la musique que les voisins mettent plus fort pour ne pas m’entendre crier. Parce que je fais trop de bruit quand je crie, ça les dérange.

Je peux sentir. Sentir son odeur, l’odeur masculine de sa colère, une odeur d’alcool et de tabac froid, une odeur de sueur et de violence.

Je peux goûter. Un goût de sel et de métal dans la bouche, mes larmes et mon sang. Toujours le même goût.

Je peux toucher. Du bout des doigts, j’effleure ma peau, ses éraflures, je touche tout doucement mon corps, en creux et en bosses, en chair et en os, plus d’os que de chair.

Du bout des doigts encore, je m’explore, et je me vois, je m’écoute, et je me sens. L’éveil des sens version Flobert et Florette(1).

Je ne suis pas encore morte. Il a cogné fort pourtant. A coups de pieds et de poings, tous les coups sont permis. Et je perds à tous les coups. Il a cogné tant qu’il a pu, coup après coup, calmement, méthodiquement. Il a cogné et je suis tombée, il a continué, des coups bas, partout, longtemps, jusqu’à épuisement, jusqu’à évanouissement.

Il est parti et m’a laissée là, par terre, plus bas que terre. Il est parti et je me suis relevée, parce que je me relève toujours, il n’y a que ça à faire.

Je ne suis toujours pas morte.

Il a serré fort pourtant. Le joli foulard qu’il m’avait offert, ce joli foulard de soie, douze ans de mariage, de soie rouge, rouge, toujours du rouge, il doit aimer ça le rouge. Le rouge de mes joues, le rouge sang de ma bouche. Ce joli foulard qu’il a serré autour de mon cou, calmement, trop calmement, ses yeux sans âme dans mes yeux au bord de l’abîme, tandis que je suppliais du regard, que je suffoquais, que je tombais comme une poupée de chiffon, toute molle, presque morte. Presque.

Je suis presque morte. Un jour il me tuera. Un jour il y arrivera, il est fort, il a le temps, et moi je suis tellement faible, tellement maigre, je ne suis rien, rien qu’une poupée de chiffon, déjà morte à l’intérieur. Je ne suis plus qu’un corps, un corps qui maigrit, qui s’efface, un corps qui ne prend pas de place, une poupée de cire, quatre ans de mariage, poupée de son. Je ne vois plus la vie en rose bonbon, rose, dix-sept ans de mariage.

Je suis de creux et de bosses, les bleus de mes noces, de la cire et de la soie.

Je ne veux pas mourir. Pas comme ça, pas sous ses coups, pas avec le goût du sang dans la bouche. Je ne veux pas être cette poupée de chiffon jetée sur le lit ou par la fenêtre, ce corps tout mou, tout doux, brisé en mille éclats de voix. Je ne veux pas fêter mes noces de satin dans le capiton d’un cercueil.

Je ne veux pas mourir. Je veux voir les sourires de mes enfants, entendre la mélodie de leurs rires, sentir les prochains printemps, goûter les cerises de l’été et toucher mon corps retrouvé.

Notes

(1) Voir ASH n° 3153 du 27-03-20, p. 21.

La minute de Flo

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