Il ne marche pas, il court presque. Et il rayonne. Mathieu est le premier jeune à entrer, ce 18 mai au matin, dans les locaux de l’institut d’éducation motrice La Clarté de l’association APF France handicap, à Redon (Morbihan), qui rouvre ses portes après deux mois de confinement. Accompagné d’une éducatrice, il traverse le grand hall clair encore étrangement sous-peuplé de l’établissement. Direction la salle des éducateurs, lieu où, habituellement, les jeunes n’ont pas le droit de pénétrer. Mais c’est là que, pour cause de crise sanitaire, se pratique le premier geste à accomplir en gagnant l’établissement : le lavage minutieux des mains.
Sur son chemin, le jeune garçon à la voix encore toute fluette répond aux « Bonjour Mathieu ! » des professionnels, qui ne manquent pas de se signaler à lui en indiquant leur prénom : l’adolescent est, entre autres, déficient visuel. Il compte parmi les 11 jeunes qui seront accueillis cette première semaine par une vingtaine de professionnels, représentant tous les corps de métiers de l’institut : ergothérapeutes, enseignants, éducateurs, infirmiers, mais aussi personnel d’entretien.
Les jeunes arrivent cette fois de façon échelonnée, entre 10 h et 11 h 15, amenés là par une entreprise de transports spécialisée, avec qui tout a été minutieusement calé en amont. Ceux attendus pour le jour de la réouverture sont âgés de 9 à 21 ans. « L’enjeu va aussi consister à ce que chacun retrouve sa place dans un groupe, explique Marc Guelfucci, adjoint de direction. Habituellement, les jeunes ont plusieurs camarades de leur âge. Cette semaine, ce ne sera pas le cas, et il s’agit donc de construire un nouveau collectif. Outre la question sanitaire, nous devons avoir une approche humaine. »
Comme pour illustrer la variété des profils attendus, arrive alors Antoine, 21 ans, qui file tout droit et à belle allure vers l’entrée dans son fauteuil roulant électrique. Peu de temps après, se présente, debout, Tom, 12 ans, qui fait joyeusement le pitre lorsqu’il apprend qu’il va devoir laisser ses affaires à l’entrée quelques heures avant de pouvoir les déposer dans sa chambre, comme il le fait habituellement à son arrivée : « Ma valiiiiiiiiiiiiiise, ma pauvre valiiiiiiiiiise », fait-il mine de pleurnicher.
La mise en quarantaine des bagages compte parmi les directives imposées par la crise sanitaire, et donc parmi les premières étapes du parcours que doivent suivre les arrivants. On y trouve les effets personnels des jeunes, mais aussi les équipements prêtés par l’établissement à quelques-uns d’entre eux pendant la période du confinement pour leur faciliter la vie dans leur famille. Ainsi l’arrivée de Maxime, 9 ans, infirme moteur cérébral, a-t-elle un petit parfum de réemménagement : avec lui reviennent des adaptations nécessaires à sa prise de repas ou de sa toilette, un dispositif pour la nuit…
Deuxième étape du parcours pour les jeunes de retour : une fois leurs mains lavées, ils sont accompagnés à l’infirmerie pour vérifier qu’ils sont bien asymptomatiques, par le biais d’un questionnaire et d’une prise de température.
Enfin, une fois qu’un groupe de quatre peut être constitué, vient le temps d’une première réunion d’information sur les changements intervenus dans l’établissement pour se protéger du coronavirus tout en reprenant des activités. Elle regroupe Antoine, Mathieu, Eloïse et Maxime dans une salle qui, hors temps de crise sanitaire, peut accueillir jusqu’à 20 personnes. Marc Guelfucci en est l’animateur et les premières questions que lui posent les jeunes ont trait à leur quotidien. Pourquoi certains ont-ils dû changer de chambre ? Parce que, pour un temps, seules celles du premier étage sont utilisées.
Katy Lecommandoux, éducatrice, intervient ici pour aider la prise de parole des plus timides. Claude, lui, canalise celle de jeunes dont on perçoit qu’ils présentent des troubles du comportement. En fond sonore, des cliquetis dans la salle à manger voisine, où le couvert commence à être dressé.
Marc Guelfucci explique les nouvelles règles mises en place – par exemple, l’interdiction, pour l’heure, d’utiliser le babyfoot. Mais aussitôt il précise : « Nous devons réimaginer des règles ensemble. Vous pouvez faire des propositions. Et peut-être que nous pourrions autoriser le babyfoot, mais à deux et pas à quatre, et avec une désinfection systématique des poignées… » Avant de souligner : « Nous ne sommes pas devenus un hôpital, et nous ne sommes pas là pour vous reconfiner au sein de l’établissement. »
Les trente minutes d’échange entre ce premier groupe de jeunes et les encadrants se passent paisiblement et, manifestement, les adolescents ont intégré les changements ou les règles pour savoir quand il leur faudra ou non porter un masque.
Le point d’information terminé, commencent des accompagnements individuels. Avec Katy Lecommandoux, éducatrice référente pour les jeunes en primaire, Maxime se rend dans la salle de Camille Jego, ergothérapeute. En attendant de recevoir les aides techniques nouvelles qui pourront permettre au petit garçon de retrouver une bonne position sur les cale-pieds de son fauteuil, mais qui ne devraient pas arriver avant deux semaines, Camille bricole des sangles. « Je ne me suis pas aventurée à trop bidouiller pendant le confinement », lui explique Katy, qui n’a jamais cessé ses visites au domicile des grands-parents de Maxime.
Dans la salle voisine, une jeune fille hurle qu’elle veut rester chez elle, alors qu’elle va faire l’objet dans quelques jours d’un placement d’office… « Ça craquait déjà avant le confinement… », commente Denis Langlet, le directeur. Et une visite à domicile, faite pendant ces deux mois, a accéléré la décision.
Maxime et Marie ont compté parmi les premiers à être réaccueillis. Puisque l’IEM ne pouvait pas faire revenir d’un seul coup l’ensemble de ces jeunes. Il a fallu faire des choix, déterminer quels étaient les jeunes prioritaires. Théoriquement, il était ouvert aux seuls internes. Mais sur les 11 jeunes présents, l’un d’entre eux est externe. Une exception qui permet d’accompagner ce jeune homme qui vient de perdre sa mère. « Nous avons proposé ce retour à des jeunes asymptomatiques et qui ne présentent pas de facteurs de risques de développer une forme grave de la maladie, explique Denis Langlet. Le deuxième critère a tenu à des situations familiales complexes. Et puis, bien entendu, les familles sont restées libres d’accepter ou de refuser. D’ailleurs, nous devions accueillir 12 jeunes ce matin et, vendredi soir, une maman m’a appelé pour me dire que finalement elle changeait d’avis. » Des choix qui n’ont pas toujours été simples à assumer : « Evidemment, dans ce genre de situation, on se pose des questions. Par exemple, quel risque prendre pour un jeune ? Le risque sanitaire ou celui d’une situation familiale ? Par exemple, fin janvier, nous avions dû signaler une situation préoccupante et nous avons dû renvoyer en mars le jeune à domicile… Alors, pour ce retour, nous avons pris en compte en premier lieu le risque familial, partant du principe que nous pourrions assumer celui de la santé. Cette semaine, avec ce petit groupe, nous testons nos critères, nos directives, pour voir ensuite comment nous pourrons monter en charge et accueillir davantage de jeunes. »
Au départ, la direction avait prévu de rouvrir dès le 11 mai, mais l’agence régionale de santé de Bretagne a reçu trop tardivement les consignes nationales pour la réouverture des internats. « Nous nous préparons depuis deux semaines, explique Denis Langlet. Nos collègues en charge de l’entretien ont réalisé un ménage de fond. Nous avons déjà affronté antérieurement des épisodes de grippe ou de gastro, donc nous savons gérer les désinfections. Nous avons préparé, à la direction, les plannings des professionnels qui seraient présents et de ceux qui poursuivraient les accompagnements à distance. La semaine du 11 mai, nous avons réuni les équipes par petits groupes en présentiel pour faire le point sur la nouvelle organisation et les procédures. »
En somme, explique le directeur, il a fallu faire le chemin inverse du confinement, reprendre les accompagnements au sein de l’établissement. Parfois plus facile à formuler qu’à faire, tant les consignes nationales venant du siège de l’association ou des ministères ont pu évoluer et donner lieu à d’innombrables versions des feuilles de route. Pas toujours simple de s’assurer de bien utiliser la dernière version en date.
Pour autant, avant l’arrivée des premiers jeunes, Denis Langlet affichait une grande sérénité : « Compte tenu de nos capacités d’adaptation, nous trouverons les solutions. Tout ne sera sans doute pas parfait, mais notre établissement a déjà su se montrer imaginatif et travailler autrement. »
A la sérénité de l’équipe répond la joie des jeunes attablés, à bonne distance les uns des autres, pour ce premier déjeuner commun. Entre deux bouchées, Tom, qui va retrouver l’après-midi même ses camarades de sixième dans le collège voisin, claironne : « J’ai entendu la cloche du collège. Ça fait du bien aux oreilles ! »
Le repas terminé, les jeunes s’égaient dans couloirs et salles avant de reprendre, à 14 h, des activités encadrées. Comme pour Sacha et Gabin, un premier temps avec Marie-Claire Leduc, enseignante. Normalement, tous deux suivent leurs cours dans l’unité d’enseignement externalisée dans le collège voisin, et chacun participe à deux cours de langues et de musique en classe ordinaire. Mais, pour l’heure, ils restent dans l’établissement et leur enseignante reprend les gestes-barrière. Ce qui ne parvient pas à captiver Jonathan, 13 ans, directement inclus, quant à lui, en quatrième au sein du collège et arrivé au milieu d’un cours : « Moi, je ne peux pas reprendre cool ! tempête-t-il. Après, je prends du retard par rapport aux autres et je stresse. » Alors, quitte à ne pas trouver son compte en salle de classe, et même s’il n’a pas plus envie que ça de marcher, il saute sur la proposition de Céline Aubine, aide médico-psychologique, qui entreprend d’organiser une promenade à l’extérieur. Il part chercher son walker, la professionnelle se défait de sa blouse pour retrouver sa tenue utilisable à l’extérieur, et Swane, 11 ans, trépigne d’impatience pour sortir elle aussi prendre l’air.
Le soleil brille. Swane gambade et fait mine de ne pas comprendre la question des distances de sécurité pour se faire câliner par Céline. Celle-ci tente à plusieurs reprises de lui expliquer et enduit parfois, de guerre lasse, les mains de la jeune fille de gel hydroalcoolique. Lorsque sonne l’heure du retour à l’établissement, la professionnelle accompagne les enfants à leur entrée, puis passe par celle réservée aux professionnels pas encore en tenue. Elle réenfile blouse et pantalon, dons d’une entreprise voisine qui donnent des allures amusantes à la cohorte des intervenants, habillés de couleurs diverses et de vêtements pas forcément ajustés… Une bonne façon de dédramatiser l’instant, en somme.
L’institut d’éducation motrice La Clarté emploie 75 professionnels et accueille 72 jeunes – 56 à l’IEM proprement dit (dont 38 en internat et 18 en demi-pension) et 16 au Sessad (service d’éducation spécialisée et de soins à domicile). Certains jeunes viennent de loin, de la Vendée au Finistère, en passant par la Mayenne. Ouverte sur l’extérieur, la structure a mis en place de longue date des unités d’enseignement externalisées : en 2004 au sein de l’école primaire voisine et en 2016 dans le collège tout proche. L’établissement est géré depuis 1978 par APF France handicap, après avoir été fondé en 1963 par une communauté de religieuses, pour accueillir à l’époque des personnes atteintes de poliomyélite.