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Aide à domicile pour les personnes âgées : la grande oubliée de la crise

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En première ligne au contact des plus vulnérables face au Covid-19, les professionnels de l’aide à domicile ne se sentent pourtant pas reconnus à leur juste valeur. Entre la pénurie de protections individuelles, le manque de tests, la polémique sur les primes, ils ont le sentiment que le gouvernement ne les a pas suffisamment considérés. Certains évoquent un « fiasco ».

La pandémie de coronavirus a agi comme un révélateur, comme un miroir grossissant. Les vérités d’hier se sont exacerbées. Ce qui passait pour n’être qu’un phénomène minime est parfois devenu une problématique majeure. Il en va par exemple de la reconnaissance du secteur de l’aide à domicile. Si les hôpitaux et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ont régulièrement été au cœur de l’actualité, les services à la personne ont été relégués. Une situation que les acteurs du secteur déploraient déjà avant la pandémie. Et que ce virus a donc amplifiée.

Pourtant, la très grande majorité (94,5 %) des personnes âgées vivent à domicile. Et que le confinement n’y a pas toujours été facile. Ainsi, selon le récent observatoire Ergocall, réalisé en partenariat avec AG2R La Mondiale, si les trois quarts des personnes âgées de 65 ans et plus affirment avoir respecté les consignes de confinement, plus des deux tiers d’entre elles (68 %) indiquent être sorties plusieurs fois par semaine notamment pour faire leurs courses (55 %) mais aussi pour se changer les idées et sortir de l’enfermement (13 %). « Une situation qui peut s’expliquer par le fait que 85 % des personnes âgées interrogées vivent seules, que 50 % ont reçu moins de visites qu’avant le confinement et que 41 % ne voient plus personne », renseigne le rapport. Entre isolement social, risques aggravés de chute, dégradation de la santé psychique liée au confinement prolongé… le domicile est bel et bien le lieu de tous les dangers. Dès lors, les professionnels de ce secteur ont un rôle majeur à jouer durant cette crise. Pourtant, ils font face à un manque de reconnaissance flagrant.

« Ils ont pris de gros risques »

Ainsi, dès le début de la pandémie, les salariés de l’aide à domicile ont dû composer avec de très importantes difficultés d’approvisionnement en masques. Partout sur le territoire, ils n’étaient pas reconnus comme prioritaires par les distributeurs officiels. Alors même que le pays faisait face à une pénurie, les acteurs du domicile ont été les derniers à en obtenir. Une problématique qui s’est répétée pour l’ensemble des équipements de protection individuelle. « Le manque de matériel mis à disposition des salariés du secteur de l’aide à domicile a été encore plus criant que pour les autres professionnels », confirme Jean-Paul Zerbib, médecin en Ehpad et président de l’Union nationale des médecins salariés CFE-CGC (UNMS). Et ce, alors même que les acteurs du domicile sont de gros consommateurs de ces équipements. En effet, à chaque passage à domicile, voire à l’intérieur d’un même domicile, le professionnel doit changer de matériel de protection pour respecter au maximum les obligations de sécurité sanitaire. Ce qui n’est pas sans conséquence. « Au niveau hygiène, l’accompagnement des personnes âgées à domicile a été mal géré. Ça a été un fiasco, déplore ainsi Sylvie Guillemot, présidente de l’Association pour les professionnels du maintien à domicile (APMD). Quand une auxiliaire de vie n’a que deux heures d’accompagnement et qu’elle fait les courses pour l’usager, comment voulez-vous qu’elle lave ensuite tous les produits, désinfecte sa voiture, remette des sur-chaussures, une blouse, des gants… Cela prend du temps et elle n’en a pas. Etant donné que l’on a été en manque de tout, cela a été une catastrophe en termes de sécurité sanitaire et d’hygiène. » Et d’ajouter, très remontée : « En allant travailler, ces professionnels ont pris un gros risque pour leur vie, celle des bénéficiaires et celle de leurs familles. Nous avons été de la chair à canon. »

« Après près de trois mois de pandémie, nous n’avons pas encore suffisamment de réponses sur les blouses, les surblouses, les masques, les gants…, se désole Hugues Vidor, directeur général de l’Adédom, l’une des fédérations majeures du secteur. Il y a toujours des manques, de sacrées pénuries. » « Pour éviter un nouveau fiasco, il faut que les professionnels disposent rapidement de tout le matériel nécessaire. Or ce n’est pas encore le cas à l’heure actuelle, tance Sylvie Guillemot. Certaines auxiliaires de vie n’ont qu’un masque pour trois jours. » Et de poursuivre : « Il faut aussi et surtout sensibiliser les familles afin qu’elles respectent les gestes-barrières et les mesures de distanciation. Ce qui n’est pas encore le cas partout. Des règles élémentaires que certains ont oubliées. » D’autant que ces carences ne sont plus les seules. En effet, au manque d’équipements de protection individuelle s’ajoute désormais le manque de tests, pourtant au cœur de la stratégie de déconfinement du gouvernement. « Nous n’en avons pas suffisamment. Nous ne pouvons donc pas généraliser le dépistage », critique Hugues Vidor. « Le problème du secteur à domicile est de savoir qui fait quoi ? Qui est habilité à faire les tests ? Car il s’agit tout de même d’un professionnalisme assez particulier. La tâche est confiée aux infirmiers, aux médecins traitants et aux médecins généralistes. Mais il n’existe pas de stratégie globale sur cette question-là. Alors même que 500 000 personnes âgées dépendantes sont traitées à domicile, nous n’avons pas d’information, regrette pour sa part Jean-Paul Zerbib. Nous sommes dans une zone d’ombre totale. »

« Le parent pauvre de cette crise »

Dès lors, pour Hugues Vidor, « on reproduit en quelque sorte le même schéma, les mêmes erreurs qu’avec les masques. Encore une fois, le domicile passe en dernier. Alors qu’il s’agit d’un secteur où il faudrait investir massivement pour sécuriser les bénéficiaires, public le plus vulnérable, et les salariés ». De nouveaux manques, de nouvelles problématiques qui font dire à Guillaume Quercy, président de l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA) : « A chaque étape de la crise, nous avons l’impression que le secteur du domicile a été la dernière roue du carrosse. » Une impression confirmée par la polémique actuelle autour des primes. En effet, alors que le gouvernement a précisé, le 7 mai, le montant des primes pour les professionnels des Ehpad [de 500 à 1 500 € selon que le département a été fortement touché ou non, ndlr], les salariés du domicile ont, dans un premier temps, été oubliés. Si un communiqué du 11 mai a rappelé qu’ils bénéficieront bien d’une prime, les conditions de son attribution demeurent, à l’heure actuelle, encore floues. De quoi profondément agacer les représentants du secteur.

« Nous avons l’impression d’être le parent pauvre de cette crise. Les professionnels ont un peu le sentiment qu’au-delà des applaudissements de 20 h 00, ils ne sont pas reconnus, critique Jean-Paul Zerbib. Preuve en est la prime où nous sommes toujours dans l’attente. » Et le représentant syndical CFE-CGC de mettre en garde : « Les collègues sont épuisés. Il y a d’importants risques psycho-sociaux, beaucoup de fatigue, beaucoup d’arrêts de travail. Il ne faudrait pas que les salariés soient déçus et qu’ils aient l’impression que tout est à géométrie variable. Les pouvoirs publics doivent prendre conscience de la gravité de la situation et les salariés être honorés à la hauteur de leur engagement. On leur demande donc d’agir vite et fort. On a le sentiment que l’on tergiverse encore. Et cela devient difficile à supporter. »

Si Guillaume Quercy se félicite que « la digue du domicile n’ait pas craqué », pour autant, le président de l’UNA n’en demeure pas moins vindicatif : « L’Etat a été en retard de plusieurs semaines dans la prise de décision. Les pouvoirs publics n’ont pas su remettre en cause leurs schémas d’organisation et leurs représentations des acteurs du secteur. L’Etat n’a pas su remettre en cause les cloisonnements. »

Quid du nombre de morts à domicile ?

Après la polémique sur le nombre de morts en Ehpad, celle sur le nombre de décès à domicile. Fin avril, le syndicat de médecins généralistes MG France estimait que 9 000 personnes seraient mortes à leur domicile à cause du Covid-19, sans être comptabilisées dans les bilans officiels communiqués chaque jour par le gouvernement. « Nous estimons qu’il y a entre 8 000 et 10 000 morts, avance pour sa part Jean-Paul Zerbib. Mais ce ne sont que des approximations basées sur les écarts de mortalité par rapport aux années précédentes, à semaine équivalente, et sur les remontées de terrain qui nous viennent des services à domicile pour les personnes âgées dépendantes, mais aussi des médecins généralistes. » Pour l’heure, aucune donnée officielle ne corrobore ces chiffres. Le gouvernement assure qu’il communiquera à ce sujet courant juin. Une attente incompréhensible pour le représentant CFE-CGC : « Ce qui nous dérange, ce qui nous choque, c’est que, à ce jour, nous sommes encore dans l’incapacité d’avoir des chiffres sur une partie de la mortalité liée au Covid-19. Comment l’Etat peut-il accepter cela ? C’est inadmissible ! On est à trois mois de crise, c’est anormal ! Mais c’est à l’image de ce que l’on connaît depuis des années : quand cela concerne les personnes âgées, cela peut toujours attendre. Nous ne le comprenons plus. »

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