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“La France reste un modèle de solidarité, de lien social et d’entraide”

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Depuis 17 ans, l’Observatoire des inégalités se penche sur les écarts français en matière économique et sociale. Louis Maurin revient sur les inégalités qui marquent la crise du coronavirus et risquent de s’aggraver. Mais aussi sur la solidarité qui s’est mise en œuvre pour aider les plus défavorisés.
La crise sanitaire à laquelle nous sommes confrontés va-t-elle creuser les inégalités ?

Cette question inonde le débat public à tel point que l’on ne sait plus très bien où on en est. Il faut garder un regard critique et ne pas considérer que tout se vaut. Il est certain que, dans les périodes difficiles, il y a une augmentation des inégalités. Et, de manière générale, les plus faibles en subissent toujours davantage les conséquences. Le département de Seine-Saint-Denis, qui rassemble de nombreuses familles de catégories populaires, a connu une forte surmortalité. Néanmoins, on ne peut pas mettre sur le même plan le danger de mourir et le risque d’être confiné dans un espace étroit. La première des inégalités dans l’épidémie de coronavirus est l’âge. Les personnes âgées sont les plus affectées. Après, il est évident que, à âge équivalent, on est plus ou moins exposé. On sait par exemple que l’obésité, qui est un facteur de risque, est inégalement répartie et touche surtout les milieux sociaux défavorisés. La deuxième inégalité concerne l’emploi, qui conditionne le revenu et les conditions de vie. Il est difficile de prévoir l’ampleur de la crise à long terme mais on peut s’attendre à des dégâts très importants, particulièrement chez les salariés les moins qualifiés.

Et chez les non-salariés ?

Il va y avoir une baisse de l’activité chez eux aussi, mais, là encore, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Certains sont aisés et ont assez d’épargne pour voir venir les effets de la crise. D’autres, à qui on a fait miroiter le rêve de l’auto-entreprenariat, vont se retrouver, en partie, en grandes difficultés. Là encore, il faut hiérarchiser : la situation d’un architecte libéral bien installé n’est pas comparable à celle d’un jeune architecte qui débute. De même entre les grands restaurateurs et les petits. Idem dans le domaine culturel et artistique, qui revêt des aspects très différents, avec des écarts énormes entre intermittents. Les non-salariés seront peut-être les plus touchés alors que c’est déjà là que les inégalités sont les plus grandes. Globalement, plus la précarité est élevée (comme avec les CDD, l’intérim), plus elle va se diffuser rapidement. Des entreprises risquent de bloquer les embauches face aux incertitudes. Une partie du monde du travail ne s’en rend pas bien compte. Beaucoup de salariés continuant à être payés n’arrivent pas à penser que des personnes puissent ne pas avoir d’argent à la fin du mois. C’est pourtant le cas des demandeurs d’emploi non indemnisés ou des jeunes de moins de 25 ans ne bénéficiant d’aucun minimum social. S’ils ne sont pas aidés par leur famille ou leurs proches, ils n’ont rien du tout. C’est, entre autres, le cas des étudiants pauvres, que la crise a révélés.

Le logement apparaît-il à la lumière de cette crise comme un facteur inégalitaire ?

Avant, je placerais l’éducation. Sans dramatiser, et tout en sachant que les enfants ont des facultés de rattrapage phénoménales, les répercussions pour les jeunes en difficultés scolaires peuvent être graves et augmenter les disparités puisque ce sont les élèves les moins bien lotis qui vont pâtir de ce décrochage. En matière de logement, la crise a mis en lumière le surpeuplement, qui tend inévitablement les conditions de vie. Or, sur les 10 % de ménages les plus pauvres, presque un tiers vit dans une habitation surpeuplée. On en parle peu, mais il ne faut pas oublier non plus que, dans les grandes agglomérations telles que Paris, des foyers, sans être misérables, vivent dans des appartements très étroits à cause de prix immobiliers exorbitants. A l’opposé certains logements spacieux sont occupés par des personnes âgées seules. La pandémie sera, je l’espère, l’occasion de mettre à plat l’état et les inégalités du logement en France, sans ignorer le problème du sans-abrisme, qui a explosé pendant le confinement.

Justement, la solidarité a-t-elle bien joué son rôle ?

Contrairement à ce que l’on dit de notre pays soi-disant individualiste, la France reste un modèle relativement protecteur où il y a de la solidarité, du lien social, de l’entraide. Cela a été vrai dès le début, quand l’Etat a annoncé qu’il allait payer 84 % du salaire des personnes en chômage partiel. C’est tout de même un effort colossal de solidarité publique. Sur le plan privé, on l’a vu et les acteurs associatifs le savent bien, il y a eu beaucoup d’actions solidaires, de bénévoles pour aider les autres. Cela dépasse très largement les clivages politiques. On trouve vraiment des gens de tout bord quand on observe les initiatives à l’égard des personnes à la rue, des migrants, des plus démunis… La solidarité est vraiment inscrite dans nos valeurs. Parfois, plus le contexte devient difficile, plus les citoyens se mobilisent sur le terrain. La chasse aux sans-papiers, qui s’est accentuée sous la présidence de Nicolas Sarkozy, a donné lieu à plein d’associations, le Réseau éducation sans frontières est né de ça. Il faudra s’en rappeler après la crise. Si ces gens n’avaient pas été là, la situation aurait été encore plus dramatique pour une part de la population.

La création d’un revenu universel peut-elle représenter une solution en cas de crise comme celle-ci ?

Il y a une confusion entre un revenu universel et un revenu minimum unique. Autant je suis défavorable à l’idée de donner une somme d’argent identique à tout le monde, y compris aux plus aisés, ce qui serait absurde et injuste, autant je suis favorable à l’idée de garantir un niveau de vie en dessous duquel personne ne puisse sombrer. Cela existe en partie avec le revenu de solidarité active (RSA), l’allocation de soutien familial (ASF) et d’autres minima sociaux. L’objectif serait de les rassembler et d’atteindre un niveau qui soit moins indigent que ce qu’il est aujourd’hui. Le point vraiment central serait de l’étendre aux plus jeunes. Car le trou dans la raquette des politiques sociales, c’est qu’ils ne puissent pas percevoir le RSA avant 25 ans. C’est le moment de relancer le débat et de passer à une étape supérieure. Reste à se mettre d’accord sur la somme minimale à accorder à tous les plus de 18 ans qui en ont besoin. A l’Observatoire des inégalités, on propose l’équivalent du seuil de pauvreté à 50 %, soit autour de 900 € mensuels par personne. Le coût d’une telle mesure représenterait 7 milliards d’euros, c’est l’équivalent d’un tiers de la baisse de la taxe d’habitation ou du prêt à Air France. Eu égard à son utilité sociale et à son rapport coût-efficacité, cela pourrait s’envisager. C’est une question de choix politique. La pauvreté n’étant pas qu’une question d’argent, cela ne réglera pas tout, mais pourrait élever le niveau de vie de cinq millions de personnes. C’est loin d’être négligeable.

Directeur

de l’Observatoire des inégalités, Louis Maurin est l’auteur de Comprendre les inégalités, publié en 2019 par cet organisme indépendant dont le prochain rapport, à paraître en juin, portera sur les riches.

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