En 2018, les forces de sécurité ont enregistré 122 mineurs victimes d’infanticide, dont 80 cas où l’auteur est un parent. Mais on doit attendre l’année prochaine pour voir s’il s’agit réellement d’une tendance ou non. Notre hypothèse est que nous avons une meilleure reconnaissance de ces situations d’infanticides. Cela ne veut pas forcément dire qu’il y a plus d’enfants tués au sein de leur famille qu’en 2017, mais bien que ces décès sont davantage identifiés comme des infanticides. Cela peut être lié à une meilleure formation des professionnels, par exemple pour la détection des cas de bébés secoués ou de faux accidents domestiques. C’est exactement le même problème avec les appels au 119 pendant la période du confinement [ils ont augmenté de 36 % en moyenne par rapport à l’an dernier, ndlr]. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il y a une augmentation des violences mais que les gens alertent davantage. De même, on enregistre 306 800 mesures et prestations relevant de la protection de l’enfance fin 2018, soit environ mille de plus qu’en 2017. C’est une augmentation qui se poursuit, mais on peut se poser la question d’une meilleure action en protection de l’enfance. Car plus on améliore les pratiques, notamment le repérage, plus on fera augmenter le nombre de prestations en réponse.
En 2019, la protection de l’enfance a fait l’actualité, que ce soit politiquement ou médiatiquement, avec des livres, des films ou des émissions de télévision. Nous avons écrit ce rapport notamment avec l’idée de répondre à certains reportages parfois négatifs et à charge. S’ils ont eu le mérite de sortir la protection de l’enfance de l’invisibilité, il n’y a pas que des problèmes – que l’on ne nie pas, d’ailleurs – et il existe aussi des pratiques positives. Des jeunes qui expliquent avoir été sauvés par la protection de l’enfance. L’idée est de remettre un peu d’objectivité dans tout ça. Avec la nomination d’un secrétaire d’Etat à la protection de l’enfance, il y a aussi eu une action politique qui était attendue. L’année 2019 a aussi été marquée par une démarche de consensus publiée par l’Igas [inspection générale des affaires sociales] sur les interventions de protection de l’enfance à domicile. C’est important car cela concerne la moitié des mesures de protection. L’action de ces professionnels n’était pas assez étudiée ni mise en lumière. Cette démarche de consensus, qui est scientifique, permet de changer cet état de fait. Il est intéressant de constater que la crise pandémique actuelle a permis une réorganisation des services de l’intervention à domicile. La question du maintien des liens avec les familles et les enfants a été primordiale. Ce sont des points que nous relevions dans le rapport.
Déjà, l’appropriation de la connaissance est problématique dans tous les secteurs, cela ne nous est pas propre. En travaillant avec nos réseaux en départements, nous avons constaté que la connaissance existe. Mais la question est : comment la trouve-t-on, et sous quelle forme ? Car lire un rapport de recherches n’est pas évident. Il y a la formation, mais ça ne suffit pas. Il faut créer une culture de la connaissance et identifier des moyens pour donner du temps aux professionnels qui sont dans l’« agir ». En lien avec les services, on veut recenser des connaissances et qu’elles arrivent jusqu’aux professionnels. On envisage pour cela d’autres supports : des vidéos, des webinaires, des conférences. Nous avons engagé un travail en ce sens, en lien avec les ODPE [observatoires départementaux de la protection de l’enfance] et les organismes de formations, afin d’identifier des outils permettant une meilleure appropriation. Car si les fiches sur notre site, qui présentent des dispositifs qui fonctionnent, sont intéressants, elles ne sont pas assez connues des acteurs. Donc on regarde comment présenter nos travaux autrement. L’enjeu est de vulgariser la connaissance sans pour autant la brader. Il faut garder le temps de la réflexion. Sur l’appropriation, il y a aussi cette question de pilotage des services. A chaque fois que des dispositifs sont concluants, c’est dû en partie à des accompagnements de services ou à une participation des équipes, qui deviennent ainsi actrices de la recherche. Cela permet évidemment une meilleure appropriation. On peut aussi accompagner des recherches en lien avec les départements. Nous finançons par exemple des études qui associent des chercheurs et des praticiens et débouchent sur des applications pratiques. On s’engage pour renforcer les liens entre outils et recherches.
C’est trop tôt pour le dire. Je l’espère. On entend partout cette volonté de tirer des enseignements. Un point qui interpelle énormément et qui nous est fréquemment remonté, c’est que l’on nous décrit des enfants plus apaisés pendant le confinement. Il va falloir travailler là-dessus, pour voir s’ils étaient vraiment apaisés ou si c’est simplement une impression d’adulte. Et, si ce point est avéré, sur ce que cela interroge dans nos pratiques. Parmi les hypothèses, il y a le fait que les enfants étaient très accompagnés, même à distance. L’autre piste consiste à questionner les agendas des enfants confiés : ne sont-ils pas trop chargés, trop anxiogènes ? Rendez-vous chez le pédopsy, le juge, le parent… Peut-être que, pour ces enfants, c’est trop. Il nous est aussi revenu que des familles ont réinvesti leurs rôles parentaux pendant cette période. Il va falloir vérifier si cela tient dans la durée. A l’Onpe, notre travail, c’est d’observer. Nous essayons donc de ne pas tirer de conclusions hâtives. On va participer à une recherche des effets du confinement sur les enfants de 9 à 16 ans en protection de l’enfance. Recueillir leurs paroles est important. En tout cas, cette période de confinement a montré l’engagement des professionnels, que ce soient les assistantes familiales ou les éducateurs et éducatrices dans les structures ou dans l’accompagnement à domicile. Tout le secteur a répondu présent et mérite d’être soutenu et reconnu.