« Quand le confinement démarre le 17 mars, ce n’est pas tant le spectre de la contagion qui effraie l’équipe éducative du service de placement à domicile “Adophe” (accompagnement à domicile avec possibilité d’hébergement) que les possibles conséquences du confinement sur les enfants qui nous sont confiés par le département. Qu’adviendra-t-il en Seine-Saint-Denis, territoire qui compte déjà un concentré de toutes les difficultés sociales ? Les services de droit commun qui accompagnent d’ordinaire le public sont fermés ou au ralenti. Comment pourrons-nous, petite association de protection de l’enfance, pallier l’absence des écoles (et de la cantine qui contribue à nourrir de nombreux enfants), d’assistantes sociales, de soignants des centres médico-psychologiques, d’éducateurs et d’éducatrices de l’aide sociale à l’enfance ? Qu’à cela ne tienne. Notre service se fera Shiva et réinventera ses pratiques pour contenir l’explosion des inégalités sociales.
L’engagement de nos équipes, à l’instar de celui du personnel hospitalier ou des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, impressionne. Couvertes par quelques masques fournis par le département, elles se rendent chaque jour au domicile des familles avec des kits éducatifs (coloriages, jeux, recettes), du matériel de puériculture chiné sur les réseaux sociaux, des ordinateurs récupérés auprès d’associations locales, pour soutenir les parents dans leur mission d’éducation bien singulière pendant le confinement. Les éducateurs et éducatrices accompagnent les femmes enceintes à l’hôpital, les parents au supermarché et l’association ira jusqu’à avancer l’argent du loyer de certaines familles, de nouvelles missions qui s’ajoutent à nos missions ordinaires.
Pendant le confinement, plus de la moitié de notre équipe est tombée malade. Pourtant, certains se réjouissent de l’effet d’aubaine suscité par le confinement et redoutent le déconfinement. La pandémie a temporairement levé le paradigme difficile de l’aide contrainte en permettant une autre rencontre entre professionnels et usagers. Nous sommes rappelés à l’essence même de notre mission de service public, enracinée dans un impératif de justice sociale dont la nécessité n’a jamais été aussi criante que ces dernières semaines. Une justice sociale qui devrait être l’unique étendard de nos dirigeants. »