« Je n’aurais jamais imaginé être confrontée à une telle crise sanitaire durant ma carrière. Oui, “nous étions et nous sommes toujours en guerre” contre ce virus, afin qu’il ne puisse pas entrer dans l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Cela implique d’écrire et réécrire des procédures, de les mettre en place, de passer beaucoup de temps à les faire respecter, parfois avec vigueur, par des proches, des résidents que ces proches nous ont confiés. Un étrange paradoxe, donc. J’ai dû me transformer “en flic” pour protéger résidents et salariés : une facette du métier que je ne connaissais pas. Cela implique de repenser chaque geste soignant et non soignant. Nous avons dû en un temps record prendre des mesures qui peuvent parfois aller à l’encontre de notre projet d’établissement, de nos valeurs, comme par exemple restreindre une certaine liberté d’aller à venir pour protéger, mettre une distanciation sociale alors que l’établissement est labellisé à la philosophie de soins de l’“Humanitude”.
Impression de jour sans fin : faire et refaire en fonction de la réglementation, désinfecter plus que de raison, restreindre, rassurer, expliquer, passer du temps à trouver du matériel, organiser et réorganiser les services au regard des ressources humaines présentes, souffrir de ne pas pouvoir donner en temps et en heure l’ensemble du matériel nécessaire pour la protection des salariés et des résidents. Penser qu’en cas de décès liés au Covid-19, des plaintes pourraient être déposées contre l’établissement nullement responsable pourtant d’une crise sanitaire mondiale. Judiciarisation, quand tu nous tiens ! En tant que directrice, et en coordination avec les équipes, j’ai pris la décision – risquée peut-être – de ne pas confiner les résidents dans leurs logements mais dans l’Ehpad, leur laissant ainsi la liberté d’aller et venir, notamment dans le parc. Seuls les repas étaient pris dans les appartements. Dans le même temps, nous avons su improviser, nous adapter, créer pour le maintien du lien social, sentir la victoire de chaque jour en se disant le soir en rentrant du travail que la bataille contre le virus était gagnée pour cette journée-là, que demain serait un autre jour et que la victoire de ce jour serait à remporter le jour suivant. Tout ça depuis le 26 février 2020, date à laquelle j’ai pris les premières mesures face au Covid-19. A ce jour, nous sommes fatigués mais extrêmement fiers de mener à bien quotidiennement notre mission. »