Recevoir la newsletter

Le début de l’éternité

Article réservé aux abonnés

Il y a du bruit dehors.

Du bruit comme avant. Des bruits de vie et de ville.

J’ai ouvert grand la fenêtre pour faire entrer les odeurs du jardin, mais je la referme aussitôt. Je ne veux pas faire entrer le bruit. Pas encore, pas maintenant.

Il est trop tôt. Trop tôt pour le bruit vibrionnant de la vie. Je lui préfère le silence forcé du confinement.

Florimonde dort encore. Elle a laissé son livre ouvert sur la table du salon. Je l’imaginais relire du Proust et du Zola, je la découvre dévorant Mona Chollet et Margaret Atwood.

« Mon cher Floyd, la vie est trop courte pour perdre son temps à la vivre deux fois, et à mon âge, il faut même la vivre deux fois plus vite », m’a-t-elle dit très sérieusement il y a quelques jours.

Elle avait raison… comme toujours.

Vivre deux fois plus vite, c’est trop pour moi. Ces dernières semaines, j’ai plutôt eu l’impression que le temps s’étirait à l’infini. Une heure après l’autre, un jour après l’autre, un vide après l’autre.

Journées vides, rayons vides, esprit vide.

Finis les petits boulots et terminées les petites balades, je suis confiné à la maison avec Florimonde, juste elle et moi, à l’abri du monde. Parce qu’elle est âgée et fragile, elle doit se protéger, de moi, des autres, du virus menaçant et du dehors inquiétant.

Confinés, isolés, loin de Georges dans son Ehpad, loin d’Elina dans son hôtel, loin de tout et de tous, il n’y a que nous.

Confinés, désœuvrés… Une, puis dix, puis cent parties de Scrabble, Florimonde place des mots improbables et je fais des scores lamentables.

Confinés, protégés, la maison est notre forteresse et le jardin notre royaume.

Dehors, le jour d’après a succédé au monde d’avant. La vie reprend son cours, comme avant, ou presque. Ici et là, on peut lire les aventures des confinés et les mésaventures des covidés.

Autour de nous, tout s’affole calmement. Le virus, les masques, la peur, les places en réa, l’Ehpad, Georges, la peur du virus et le virus masqué.

Dedans, c’est doux, c’est lent. C’est angoissant aussi. C’est la vie qui s’étire et s’étiole. La vie de Georges qui oublie et celle de Florimonde qui se languit de lui.

« Il faut protéger les personnes vulnérables. » Le discours est entendu, mais qu’il est long ce temps hors du temps, qu’ils sont loin les yeux de l’époux et le sourire du fils ! Loin derrière les masques et les gestes-barrières, tellement loin de Florimonde, trop loin et trop incertains.

Dehors, dedans, c’est la vie en sursis, l’étreinte espérée, c’est la pendule d’argent qui ronronne au salon, qui dit « oui » qui dit « non » qui dit « je vous attends ».

« Je suis dans l’antichambre de la dernière chambre », m’a tristement dit Florimonde hier soir. J’ai mis quelques minutes à comprendre. Ce calme éphémère qui s’éternise, c’est trop long, trop vide. Trop mort.

Le café est prêt et Florimonde est réveillée. La journée peut commencer. La même qu’hier et que demain. Quelques parties de Scrabble, un peu de musique, un peu de lecture, un petit tour dans le jardin… La journée sera longue, et vide. Comme un avant-goût d’éternité.

La minute de Flo

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur