« Le refus d’une discrimination du handicap au regard d’une vulnérabilité supposée », voilà le principe affiché par le secrétariat d’Etat chargé des personnes handicapées, dans l’établissement de ses directives en matière de déconfinement. Et d’ajouter : « Les personnes en situation de handicap sont sujets de droits avant d’être objets de soins. » La formule claque. Mais parallèlement, le même communiqué ministériel affiche dans les lignes qui suivent sa préoccupation de proposer un accompagnement renforcé en raison d’une vulnérabilité liée au confinement et de la fragilité de certaines de ces personnes face au virus.
L’enjeu de l’après-11 mai apparaît alors en majesté : il va falloir conjuguer le respect des droits individuels tout en protégeant ceux qui en ont besoin, et en édictant des protocoles de déconfinement souples, mais aussi clairs et assez précis. Un jeu d’équilibriste à mener dans les cabinets ministériels, certes, mais plus encore sur le terrain : « Le déconfinement est 100 fois plus compliqué que le confinement », constate Ghyslaine Wanwanscappel, directrice générale de la fondation des Amis de l’atelier, qui accompagne 3 000 usagers, enfants et adultes, principalement atteints de troubles psychiques, autistiques et de déficiences intellectuelles, dans 80 établissements et services, majoritairement franciliens. « Nous sommes devant une injonction paradoxale renforcée d’accompagner les personnes handicapées, tout en prenant soin de la santé de nos salariés. »
Même sentiment de complexité posée par le déconfinement au sein de l’Unapei, gestionnaire d’établissements pour personnes déficientes intellectuelles : « Dans l’urgence du confinement, nous avons fait montre d’une capacité d’adaptation folle, se félicite sa directrice générale, Marie-Aude Torres Maguedano. Nous avons dû répondre aux besoins de façon rapide et pragmatique. Maintenant, nous allons devoir gérer les effets du confinement, sur les personnes, et sur nos pratiques, dont certaines pourront perdurer au-delà de l’urgence initiale, d’autres non. »
Pour résoudre les dilemmes posés par le déconfinement, la concertation entre ministère et instances représentatives a été de mise. Et il semble qu’elle n’ait pas été que de façade. C’est elle qui a permis de poser l’affirmation de la non-discrimination en raison du handicap. Et au-delà, souligne Jérémie Boroy, le président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), « nous verrons si cela dure, mais pour le moment, le cabinet, le ministère, l’administration se montrent très disponibles pour échanger avec le CNCPH ».
Il en profite pour veiller à l’accessibilité de l’information sur les règles du jeu du déconfinement, pour qu’il soit réussi. Fiches en français facile à lire et à comprendre, mention du handicap dans toutes les fiches métiers que produit actuellement le ministère du Travail, il convient « d’identifier tous les supports d’information pour qu’ils soient immédiatement accessibles », revendique Jérémie Boroy. De leur côté, les associations ont œuvré à une doctrine du déconfinement, avant même de recevoir les protocoles ministériels, encore en cours d’élaboration, pour la plupart, dans la semaine du 4 mai. Pour la mettre au point, l’Unapei a constitué des groupes de travail réunissant des professionnels de différents territoires et niveaux hiérarchiques. Ils ont traité de six thématiques, comme les établissements et services pour enfants, les foyers médicalisés ou encore leurs près de 600 établissements et services d’aide par le travail (Esat). APF France handicap, elle, qui gère 500 structures, met à disposition des directeurs sur intranet un guide actualisé quotidiennement. Il comprend les incontournables (désinfection des locaux, établissement des modalités de distanciation sociale, règles du télétravail…) applicables partout et des dispositions propres à chaque type d’établissement. « Tout est calibré pour que le directeur soit éclairé dans sa décision, pour qu’il n’oublie rien », indique Prosper Teboul, directeur général. Son homologue à la fondation des Amis de l’atelier raconte que sa première démarche a consisté à tenter d’établir l’état des troupes de salariés, pour savoir qui serait ou non en poste. La seconde a été d’appeler les familles et personnes pour connaître leurs souhaits, en particulier pour un retour ou non en établissement. « Nous devons partir des besoins des usagers, des places disponibles et personnels présents. Bref, être pragmatiques. Le déconfinement doit tenir compte de ces trois choses, c’est tout », résume Ghyslaine Wanwanscappel.
Plus facile à dire qu’à faire, sans doute. En pratique, aucune des associations interrogées ne savait dire, à cinq jours du 11 mai, combien de ces structures rouvriraient leurs portes. Les externats pour enfants doivent pouvoir les accueillir à nouveau et ceux qui sont scolarisés à l’Education nationale comptent parmi les publics prioritaires. Mais les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), seront-ils équipés de masques ? Comment pourront-ils respecter la distanciation physique ? La réorganisation des transports, concède l’Unapei, représente aussi un gros enjeu pour nombre de ses antennes départementales. Et ce autant pour les enfants que pour les adultes. Pour eux aussi, le retour en établissement devrait redevenir possible, y compris lorsqu’il s’agit d’un lieu de travail. Même si le ministère préconise le télétravail comme pour l’ensemble de la population. La question des accompagnements à domicile se pose avec acuité. De même que celle de l’accès aux soins. « Ce qui était tolérable dans l’urgence ne peut plus l’être, les ruptures dans la continuité des soins tout particulièrement », remarque Prosper Teboul.
Chaque association a eu beau préparer des plans et le ministère prévoir des protocoles, une grosse incertitude demeure quant au nombre de personnels capables de les mettre en musique à compter du 11 mai. La semaine du 4 mai, la fondation des Amis de l’atelier confiait disposer de 60 % de ses effectifs, l’Unapei de 70 % et APF France handicap de 80 %. Outre la question du nombre, il faudra aussi gérer le redéploiement progressif des salariés qui, pendant la crise sanitaire, ont pour beaucoup travaillé au sein d’autres services que le leur, et sur des horaires différents. Et, comme les personnes accompagnées, elles seront confrontées à des questions liées aux transports, à la garde de leurs enfants… Bref, tous préviennent : le déconfinement va être progressif. « Je ne souhaite pas d’ouvertures massives le 11 mai, affirme Prosper Teboul. Le 12 ressemblera étrangement au 11 ou au 10 mai. Mais le 13, 14, 15… il nous faut créer de nouvelles habitudes. Nous allons avancer en nageant dans le grand bain. » Confiant, il indique pour autant se sentir prêt : « Nous avons anticipé, et ceux qui disent qu’ils ne le sont pas ne le seront jamais… Je ne dirais pas qu’il nous faut une semaine de plus. »
Par-delà le déconfinement, Luc Gateau, président de l’Unapei, anticipe la difficulté suivante : « Il va nous falloir accompagner les familles dans la durée. Le déconfinement pourrait faire de plus gros dégâts que le confinement. Et l’annulation des vacances d’été est la catastrophe suivante. Ce sera l’occasion d’un confinement de plus en famille. » Jérémie Boroy, lui, entend faire de ce déconfinement une occasion à ne pas manquer. D’abord celle de rendre les supports pédagogiques accessibles pour que la continuité pédagogique ne soit pas un vœu pieux comme, selon lui, elle l’a été le plus souvent les semaines passées. Il faut que tout soit prêt à la rentrée, d’autant qu’il n’exclut pas le risque d’allers-retours entre périodes confinées et libres. Il voudrait aussi voir l’ensemble des Français dotés d’équipements informatiques performants, et de connexions efficaces. Enfin, l’invitation à rester chez soi lui paraît être la meilleure occasion possible de revenir sur la question de l’accessibilité des logements, une dimension qu’il voudrait voir intégrée aux plans de relance qui suivront la crise. Et d’inviter : « Réduisons les inégalités. Nous pouvons préparer l’après tout de suite… »