Comme toute épreuve, c’est un révélateur de la solidité et de la qualité des liens, de la solidarité. Mais c’est aussi un révélateur de la précarité sociale, de la fragilité des personnes et des services. Cela donne finalement un tableau très contrasté. On voit des équipes qui ont pu s’adapter de manière très créative. Il est exceptionnel de noter la rapidité des décisions prises pour que personne ne soit lâché. Par contre, on a aussi des équipes qui se sont retrouvées en grande difficulté, avec du manque de personnel, parfois malades, du manque d’équipement sanitaire, et qui, pour certaines, se sont senties très seules. On a eu beaucoup de disparités selon les départements, les structures. Certains ont fait revenir les enfants placés dans leurs familles, d’autres ont redéployé du personnel pour maintenir l’activité des structures d’accueil. Dans certains cas, il y a eu beaucoup de difficultés pour que ça ne devienne pas chaotique. La fermeture des IME [instituts médico-éducatifs], par exemple, a entraîné la prise en charge d’enfants autistes par leurs familles, qui ont dû se débrouiller. Ce qui est clair, c’est que ce qui s’est mal passé aura des conséquences sur le long terme.
Oui. Les acteurs de la protection de l’enfance ont été beaucoup moins soumis aux normes habituelles ; ça a créé des relations plus naturelles, plus de solidarité. Je dirais aussi que les enfants et parents en difficulté ont pu voir l’engagement, ils ont constaté que des gens se souciaient d’eux y compris dans cette situation. Par exemple, sur le fait que les mesures d’AEMO [action éducative en milieu ouvert] aient été maintenues par téléphone ou par visioconférence, j’ai eu des retours très positifs de la part des familles. Si la crise a fragilisé certains liens, elle en a aussi renforcé. Une certaine énergie se dégage du fait de traverser ça ensemble. On le constate dans les équipes, plus soudées, et ce, même si elles sont fatiguées. C’est remarquable ! En tant que formateurs, nous n’avons jamais autant réfléchi ensemble. On se rend compte de l’efficacité des réunions à distance, car cette distance n’implique pas nécessairement qu’on soit moins liés. Cette dimension collective a été renforcée, il faudra la garder. D’ailleurs, dans les Mecs [maisons d’enfants à caractère social], où il y a eu des suspensions de visites, on a mis en place la visioconférence entre les parents et les enfants, et cette méthode semble fonctionner. Il faudra vraiment réfléchir à tout cela. Le temps de l’après sera important. Il faudra analyser les pratiques inspirantes, créer des groupes de travail ad hoc. Cette période est propice à un échange des connaissances, à des tests des nouveaux systèmes. D’ailleurs, je conseille à tous les professionnels les contenus du site belge Yapaka, qui constitue une mine d’or d’informations, de vidéos de professionnels, de livres gratuits.
Je pense qu’il faut faire attention à ceux que l’on a beaucoup sollicités, pour qu’ils ne le paient pas plus tard. Il y a clairement un risque de burn-out. Chez nos étudiants aussi, dont de nombreux se sont portés volontaires, on observe beaucoup de fatigue. Si certains établissements ont mis une attention particulière à instaurer des plages de récupération importantes, ce n’est pas le cas partout, et je pense qu’il faudra être attentif à l’après. Les ARS [agences régionales de santé] devraient notamment se montrer vigilantes là-dessus. On est vigilant aussi sur la question des jeunes majeurs car, pendant le confinement, les sorties sèches ont été suspendues. Mais après ? On craint, avec le collectif Cause majeur ! auquel j’appartiens, que ce ne soit qu’un simple report de quelques semaines et que ça ne change rien à la problématique.