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L’éthique, une préoccupation désormais centrale ?

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La crise sanitaire a confronté le secteur social et médico-social à des questionnements inédits. Il a dû y répondre en urgence en s’appuyant sur des principes éthiques. Mais l’utilisation de cette notion, par essence variable, a été inégale d’une association à l’autre du fait des problématiques diverses qu’elles ont dû affronter. Et de leur expérience en la matière.

Dès les premiers feux, la crise sanitaire et le confinement qui a rapidement suivi ont soulevé des questions éthiques inédites. Chrono­logi­quement, avant même que l’ensemble de la population ne soit confiné, il y a d’abord eu l’interdiction des visites aux personnes âgées vivant dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) : avait-on le droit d’isoler, sans connaître de date de fin, toute une catégorie de Français, fragiles mais dont la vulnérabilité menaçait d’être aggravée par la solitude et l’ennui ? Très vite, le risque de « tri » des patients dans l’accès aux soins a également inquiété. Et, de leur côté, les services à domicile ont redouté de devoir faire un choix : soit ne plus intervenir et abandonner leurs usagers, soit continuer leurs visites au risque de contaminer ceux-ci, faute d’équipements de protection individuelle en nombre suffisant.

Si certains de ces enjeux à forte dimension éthique se sont finalement posés avec moins de rudesse que ne l’avaient initialement prévu les professionnels, ils ne disparaissent pas à l’approche du déconfinement. Au contraire, ce dernier soulève à son tour de nouveaux questionnements. L’occasion pour la dimension éthique de pénétrer plus encore dans la sphère sociale et médico-sociale ?

Dans cet « avant 11 mai », le volet lié à l’accompagnement des personnes handicapées se voit soumis à de nombreuses interrogations inédites. Entre autres, quels critères seront choisis pour rendre aux personnes la liberté de circuler ? Celui de la santé, probablement. Mais Coryne Husse, vice-présidente de l’Unapei (déficience intellectuelle), prévient : « Ce sont les personnes les plus lourdement handicapées qui resteront limitées dans leurs déplacements et contacts, celles-là mêmes qui ont justement besoin de relations plus soutenues avec les autres. »

Il faudra donc trouver un équilibre entre l’exigence de sécurité et la prise en compte de situations particulières. D’autant que des difficultés de compréhension entravent parfois la bonne acceptation des mesures. Sur ce terrain, poursuit Coryne Husse, « ça va être encore plus compliqué à l’heure du déconfinement ». D’une part, parce que tous les individus n’auront pas un égal accès à la liberté de déplacement, ce qui, avec une déficience intellectuelle, peut paraître absolument incompréhensible. D’autre part, parce que l’obligation de porter un masque peut être source de préoccupation. Le masque peut renvoyer une image de soi négative à des personnes qui ont déjà une mauvaise estime d’elles-mêmes. Et surtout, analyse Coryne Husse, cette obligation ne sera sans doute pas mise en pratique par tous dans la rue, alors qu’elle le sera dans les établissements de type Esat (établissements spécialisés d’aide par le travail). De quoi complexifier l’appropriation d’une telle mesure, si elle n’est pas universelle.

A son tour, la mise en place de solutions de répit fait déjà surgir ses propres interrogations. Là encore, comment répondre à la nécessité de soulager les familles tout en préservant la sécurité de tous ?

L’éthique… après les urgences

Même si ces questionnements font consensus, certains estiment pourtant que l’éthique s’efface encore, à l’heure actuelle, derrière les urgences. Nicolas Foureur, qui dirige le Centre éthique et clinique de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), affirme ainsi : « Nous avons été sollicités sur l’organisation du suivi des personnes à domicile, chose inhabituelle pour des professionnels qui cherchent à autonomiser les personnes dans le cadre de leur travail. Mais il n’y a pas eu de saisine particulière qui nous aurait permis de travailler de plus près avec les équipes sur le terrain. L’urgence et le dogme hygiéniste l’emportent à ce stade. »

Président du Collectif handicaps, qui regroupe plus de 40 associations afin de présenter des revendications communes, Arnaud de Broca complète : « Nous sommes moins actuellement sur les questions éthiques pour ce qui concerne l’avenir que sur les modifications à apporter à notre système de protection sociale. »

Vers une plus grande universalité

De fait, les enjeux éthiques de la crise ont été d’autant mieux pris en compte lorsque les organisations avaient déjà lancé des réflexions, voire mis en place en leur sein des comités éthiques. A l’instar de la Fehap (Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne), qui a conçu des ateliers en visioconférence d’une durée d’une heure et quart, dans le but d’apporter un appui éthique à ses adhérents. Jean-Christian Sovrano, directeur de l’autonomie et de la coordination des parcours de vie à la Fehap, observe : « Je constate que cette crise a permis à l’éthique de se faire une place plus importante dans le médico-social. Avec toujours le souhait de lutter contre la dérive de la gestion de crise sanitaire, qui voudrait que l’on transforme les établissements en prisons. »

De son côté, APF France handicap possède un comité éthique national, restructuré il y a un an, ainsi que plusieurs comités éthiques régionaux. « La question éthique n’est pas nouvelle dans notre association, explique son directeur général, Prosper Teboul. Mais, avec cette crise, des questionnements nouveaux sont apparus. A situation exceptionnelle, comportements exceptionnels. » Et de raconter que, sitôt posées les mesures strictes de confinement, l’association a établi sa « propre doctrine », en respectant bien sûr ses obligations mais également en tenant compte de l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) pour « assouplir d’emblée tout le dispositif du confinement ». Il s’agissait de « trouver où mettre le curseur » entre sécurité et dignité des personnes. Des « tempêtes sous un crâne » complexifiées par le manque de masques, de blouses… Outre les modalités du confinement, l’accès aux soins ou à des solutions de répit ont constitué le plus fort bataillon des enjeux éthiques traités par l’association. Si, dans l’urgence, les décisions ont été prises à la suite de l’avis du CCNE sans consultation du comité national d’éthique interne, celui-ci est actuellement à nouveau à pied d’œuvre, et s’attelle en particulier aux enjeux du déconfinement.

L’après-crise sanitaire pourrait voir l’éthique occuper une place plus universellement reconnue. « Nous devrons revoir nos dispositifs et modalités d’accompagnement, pour gérer la question de l’ennui, et pour que cela perdure », prévoit Coryne Husse, qui affirme aussi que l’Unapei « va remobiliser un comité d’éthique ». Selon elle, au-delà du secteur du handicap, la prééminence de l’éthique devient un phénomène de société qui va s’accentuer. De son côté, Julien Mayet, vice-président de l’UNA (Union nationale de l’aide, des soins et des services à domicile) soutient que, le temps de l’urgence passé, des questions jusque-là non traitées faute de temps vont ressurgir. Telle la gestion du deuil, y compris par les professionnels à domicile, dont certains ont parfois appris dans les journaux le décès de personnes qu’ils accompagnaient, alors qu’ils peuvent habituellement assister à leurs funérailles.

Le conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) semble vouloir accompagner le mouvement. A ce titre, il entend positionner l’éthique au centre des recommandations destinées aux établissements et services concernant les personnes handicapées aussi bien qu’âgées. L’organisme national invite donc, pour la fin du confinement et le déconfinement, à se fonder sur quatre principes, le premier étant celui de l’égalité des chances, notamment pour garantir à chacun l’accès aux soins. La CNSA veut ensuite faire du déconfinement un accompagnement, afin, selon sa présidente Marie-Anne Montchamp, de n’enfermer personne dans sa solitude, d’éviter les fractures de tout ordre, par exemple numérique. Le troisième principe revendiqué est la différenciation, en fonction des personnes, pour permettre l’ajustement des mesures à la situation individuelle, à la région du lieu de vie… Enfin, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie invite à l’anticipation.

De quoi réjouir, sans doute, Prosper Teboul, qui résume : « La moins bonne posture consiste à invoquer l’éthique au moment où arrive une énorme tuile. »

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