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Le bruit et l’odeur

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Les fenêtres sont grandes ouvertes. D’habitude, à cette heure, c’est le flot continu des voitures, le tintamarre des klaxons et le tintinnabulement des sonnettes de vélos, le soupir des autobus, les voix des passants qui discutent, se hèlent et s’interpellent… C’est le bruit, le brouhaha, la cacophonie de la ville qui s’éveille et s’agite, la rue qui grouille d’enfants qui courent à l’école – pic nic douille, c’est toi l’andouille !

Mais ce matin, rien. Ou plutôt, tout. Le bruissement des feuilles du tilleul en face de ma fenêtre, les pas d’un passant qui ne fait que passer, les sifflements, chants, gazouillis, pépiements, mélodies, trilles, sonates et cantates des milliers d’oiseaux… le joli petit bruit du printemps confiné.

Une sonnette discrète… C’est la jeune voisine du premier qui ramène le pain de la vieille voisine du quatrième. Un toc-toc sans équivoque… C’est le vieux philosophe du cinquième qui dépose un livre chez le jeune étudiant du troisième. Et puis, un peu plus tard, un bruit sourd et régulier, comme une vibration. Floribel a remis en route sa machine à coudre, il découd nos vieux vêtements et en fait des masques qu’il offre aux uns et aux autres. Un motif à fleurs plein de couleurs, des rayures et des surpiqûres… et des chatons mignons pour mon petit garçon.

Une petite note, puis une autre, croche, croche, double croche, silence, triolet… le mystérieux voisin du cinquième nous offre un pur moment de bonheur. Le silence se fait dans l’immeuble, et seule nous parvient la mélodie du pianiste inconnu. Rien n’est plus doux que ces notes légères qui s’échappent de la fenêtre de celui dont on ne sait que le nom sur la boîte aux lettres.

A 20 heures, ce sont les applaudissements. Tous en grappes pour les clap-clap, on chante, on crie, on frémit.

Les bruits… et les odeurs.

Les grappes de glycine tombent majestueusement le long du muret qui longe le trottoir. Les élégantes cascades violettes embaument la cour de l’immeuble et mon petit garçon, chaque fois qu’il passe devant, me répète qu’il voudrait m’offrir un parfum de ces fleurs. Il y a de la poésie dans ce confinement printanier.

Plus loin dans la rue, c’est le parfum entêtant du lilas de chez Florimonde. Je m’arrête un instant et salue Floyd de loin avant de récupérer le petit bouquet de chèvrefeuille qu’il m’a gentiment laissé sur le portillon. Des myriades de fleurs aux délicieuses odeurs, subtil bonheur.

Dans mon immeuble, c’est un festival de saveurs.

La très pimpante demoiselle du quatrième s’est découverte une soudaine passion pour la boulange : petits pains et brioches s’invitent dans nos goûters, transformant les jours monotones en dimanches gourmands.

Le soir, c’est Flohamed qui passe discrètement de palier en palier déposer devant nos portes une assiette de douceurs. Il a commencé le ramadan la semaine dernière, mais chaque soir, pour rompre le jeûne, il est seul. Alors il nous offre à chacun un petit plat concocté dans la journée, et nous partageons l’iftar avec lui. Le soir, au coucher du soleil, l’immeuble entier s’emplit des odeurs de la cuisine du Maroc. Notre façon à nous d’être avec lui, et à lui d’être avec nous.

Le bruit et l’odeur(1), le bruit de la vie et la vie des odeurs… Les solitaires qui se découvrent solidaires, les bruits qui s’ébruitent et l’envie qui prend vie.

Notes

(1) Expression extraite d’un discours de Jacques Chirac (Orléans, juin 1991), restée célèbre en raison de sa consonance raciste ainsi que de son détournement par le groupe toulousain Zebda.

La minute Flo

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