Ce n’est pas le journal d’une confinée mais celui d’une éducatrice de la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse). Après des études universitaires, Sophie Moreau a intégré un foyer d’hébergement du ministère de la Justice qui accueille des mineurs de 13 à 18 ans sous mandat judiciaire pour avoir commis des actes de délinquance plus ou moins graves. Jeune dans le métier, elle a eu besoin de coucher sur le papier son ressenti, ses expériences, son quotidien, ses questions. Que pouvait-elle apporter à ces « gamins cabossés » ? Ne serait-elle pas en trop grand décalage avec eux ? Qu’allait-elle apprendre ? Le fonctionnement d’un foyer dit « ouvert » implique l’enfermement. « Une tension constante entre ouverture et oppression, écrit-elle. Dans le corps, dans les tripes. Il suscite des mouvements contraires. Dans la tête, les souvenirs et les viscères. De l’idéalisation à la déception, il n’y a qu’un jour. Une heure sépare les larmes des rires. Cohabitent sans cesse le sentiment de victoire galvanisant et l’aveu d’échec qui terrasse. Il s’agit sans cesse d’espérer sans projeter, d’outiller sans seconder, de conseiller sans influencer. » Tout est dit, ou presque, sur ce métier à l’équilibre fragile, sur la précarité du lien que l’éducatrice arrive à tisser avec les jeunes qui la chambrent, la reluquent, la provoquent, la testent… Amar, Bruno, Thomas, Thimotée, Sidi… Des adolescents qui jouent les despotes pour faire comme leurs potes, « jactent » pour cacher les blessures d’enfance, combler le vide, faire comme si. Eux dont le dossier judiciaire est rempli de mesures et qui se croient définitivement condamnés à l’échec. Parfois, la jeune professionnelle est découragée, abattue. Puis la foi, l’énergie reviennent, tel le soleil après la pluie. Jamais son engagement ne faiblit. Son attachement à chacun de la trentaine de jeunes qu’elle a croisés, non plus. Car, qu’on le veuille ou non, ils ne sont pas nés délinquants. Un témoignage sans complaisance et une profonde leçon d’humanité.
« Œil pour œil, clan pour clan » – Sophie Moreau – Ed. érès, 20 €.