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Les aides à domicile, des soignants comme les autres

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La crise sanitaire offre une première étape dans la reconnaissance des aides à domicile, enfin mentionnés dans les discours des hommes politiques. Reste à les considérer, et il y a urgence, comme des soignants à part entière. Ce qui impliquera, comme l’affirme le président de l’UNA, Guillaume Quercy, de revaloriser leurs métiers sur le plan des rémunérations. Mais pas uniquement…
« En période de crise, les vérités d’hier sont réfutées aujourd’hui et de nouvelles vérités s’imposeront demain…

Alors que nous avons franchi le seuil des 15 000 morts emportés par le coronavirus, en tant que président de fédération, il convient de rester humble dans mes analyses et modéré dans mes propos. Plus que d’ordinaire, l’état d’urgence sanitaire commande l’éthique. C’est pourquoi je me limiterai à quelques constats vus de la fenêtre des services d’aide à domicile. Par avance, je remercie le lecteur de son indulgence et de sa bienveillance si une forme de colère venait à saillir de ce texte.

Le domicile, 8e roue du carrosse

L’expression “être la cinquième roue du carrosse” est souvent employée dans les champs sociaux et médico-sociaux. La crise sanitaire que nous vivons exacerbe la compétition entre les prétendants à ce titre, si bien qu’il est difficile de les départager. De longue date, les politiques publiques ont opéré une hiérarchie de la misère au sein de la communauté des acteurs de la santé, entre les hôpitaux [5e roue], la médecine de ville [6e roue], les Ehpad et les autres établissements médico-sociaux handicap [7e roue].

Au regard des rémunérations, des conditions de travail mais aussi de l’invisibilité, voire du mépris, à l’égard de ces métiers, que ce soit dans la bouche des plus hauts dirigeants du pays ou dans les médias nationaux, il faut désigner le domicile comme la 8e roue du carrosse. Ce constat est connu depuis longtemps. En ce qui concerne les métiers du grand âge, il est largement documenté par les récents rapports de Dominique Libault et de Myriam El Khomri[1]. La crise sanitaire que nous traversons en est la confirmation implacable.

Au début de l’épidémie, les acteurs de première ligne ont rapidement compris que, derrière la communication gouvernementale graduée sur l’utilité des masques, se nichait une pénurie des équipements de protection individuelle. L’enjeu pour les services d’aide à domicile était donc d’obtenir un accès prioritaire aux maigres stocks, “comme les soignants”, afin de mettre en sécurité les salariés et les personnes aidées. Dès le début, ils ont ainsi été inscrits dans la stratégie de l’Etat pour la distribution des masques, au prix d’une priorisation souvent drastique de leurs interventions en fonction de l’autonomie et de l’environnement des personnes accompagnées.

Puis, à l’heure du confinement, les acteurs de première ligne ont immédiatement mesuré que les professionnels allaient manquer s’ils devaient garder leurs enfants. Les services d’aide à domicile ont donc été inscrits dans la liste des professionnels pouvant faire garder leur enfant à l’école, “comme les soignants”.

Pourtant, dans les pharmacies où les services à domicile devaient, dans un premier temps, récupérer les masques, ou à l’entrée des écoles lorsque les aides à domicile venaient déposer leurs enfants, que s’est-il passé ? Parfois, de bonnes surprises et une authentique reconnaissance de ces métiers, “comme des soignants”. Malheureusement, le plus souvent, ces professionnels sont repartis des pharmacies bredouilles et ont essuyé des refus de la part des écoles. Avec le temps, après une mobilisation de chaque instant au niveau territorial et au niveau national, ces situations se sont améliorées : les masques ont changé de circuit pour être distribués via les groupements hospitaliers de territoire (GHT), les écoles ont ouvert leurs portes, “comme pour les soignants”.

A 20 heures, le pays résonne des applaudissements des Français pour les “soignants”. Alors, dans leur appartement, devant leur télévision ou leur smartphone, après les rebuffades de la journée à la pharmacie ou devant l’école, les aides à domicile s’interrogent et s’assombrissent. “Suis-je aussi concernée par ces applaudissements ? Tout au long de l’année, j’accompagne des dizaines de personnes, souvent isolées. Chaque jour, je les aide à se lever, se laver et se nourrir. A prendre leurs médicaments, se déplacer, à aller aux toilettes, entretenir des capacités cognitives… J’apporte tous les soins dont chaque être humain a besoin pour demeurer autonome et libre de ses choix. Autant que possible et souvent au-delà, malgré les aléas de la vie, tôt le matin, tard le soir. Je consume souvent ma propre santé, je compromets parfois mon équilibre familial. Dans cette crise, je fais mon travail, le même travail que les autres jours, mais je le fais dans un contexte éprouvant, celui d’un virus qui circule et met en danger de mort les personnes que j’aide. Suis-je aussi concernée par ces applaudissements ?”

Cette question, elle s’adresse à la nation. Je m’autorise à écrire que, à ce jour, elle ne trouve pas de réponse univoque, audible, forte, qui ne puisse laisser aucun doute. Il le faudrait pourtant, et urgemment.

Les services à domicile explicitement reconnus

Le président de la République a prononcé, le 25 mars à Mulhouse, un discours dans lequel il a affirmé que “dans cette guerre, il y a en première ligne l’ensemble de nos soignants, qu’ils interviennent à l’hôpital, en ville, dans les Ehpad, dans nos établissements accueillant des personnes en situation de handicap, dans les services à domicile, qu’ils soient médecins, infirmiers, ambulanciers, pharmaciens, aides-soignants”.

Il y a mille façons de recevoir son propos. Tout d’abord, si je comprends le caractère mobilisateur de la sémantique guerrière, je préfère d’autres métaphores, plus culturellement attachées aux métiers du “care”, qui mettent en valeur l’ingéniosité, la persévérance et le courage dont l’humanité sait habilement se servir pour faire face aux aléas de toute nature et qui, en permanence, la bousculent dans ses certitudes.

Je retiens surtout que ce discours est une première. Les services à domicile sont explicitement reconnus par le plus haut représentant de la République, comme acteurs de santé de première ligne, selon un ordre désormais éprouvé : “l’hôpital [5e roue], en ville [6e roue], dans les Ehpad, dans nos établissements accueillant des personnes en situation de handicap [7e roue], dans les services à domicile [8e roue]. Cela peut sembler anecdotique mais, à mes yeux, cela ne doit pas l’être. Il y avait 99 % de probabilité pour que sa phrase s’arrête aux établissements, “comme d’habitude”. Cette fois-ci, il y a une inflexion forte, un point d’ancrage, dont il revient aux acteurs du domicile de veiller à ce qu’il ne puisse plus être remis en cause. Jamais.

Une vision étroite des « soignants »

Je note enfin que les métiers listés par le président de la République – tous méritant de l’être sans exception – révèlent, malgré tout, une vision étroite des “soignants”, incarnée par le médecin et le pharmacien. Or certains métiers manquent à l’appel, à commencer par les aides à domicile, qui n’ont pas les diplômes d’infirmier ou d’aide-soignant mais qui, à domicile, soignent les maux de toute nature qui empêchent de bien vivre et de bien vieillir. Si les services à domicile sont des acteurs de première ligne, comme le considère très justement le président de la République, ce sont tous les professionnels de ces services qui sont au front auprès des publics fragiles. De ce fait, ils méritent d’être reconnus “comme soignants”.

De tout ce qui précède émerge une évidence : il va bien falloir reconnaître que les aides à domicile sont “des soignants comme les autres”. Il conviendra d’en tirer toutes les conséquences : sur les métiers et leur valorisation, par-delà les codes qui les tronçonnent ou les opérateurs de compétences (Opco) qui les séparent ; sur la gouvernance des politiques publiques de santé et de l’autonomie, par-delà les intérêts particuliers des institutions multiples qui composent notre République ; sur les investissements massifs qui devront porter autant sur l’hôpital que sur le domicile ; sur l’organisation territoriale du système de santé, incluant l’autonomie, qui ne doit partir que d’un seul endroit : le lieu de vie des gens, dans la Cité. »

Notes

(1) Voir ASH n° 3105 du 5-04-19, p. 6 et n° 3135 du 22-11-19, p. 6.

Contact : www.una.fr

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