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Royaume-Uni : entre soutien des autorités locales et système D

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Pour renforcer l’action des travailleurs sociaux britanniques et remplacer ceux qui ont été malades, un appel a été lancé à des licenciés retraités, en poste dans des secteurs moins prioritaires ou à des étudiants en dernières années d’études. Mais le manque de protection et de directives claires concernant la continuité de l’activité génère de l’inquiétude.

En Angleterre comme ailleurs, le coronavirus rend la tâche des travailleurs sociaux encore plus essentielle. Mais depuis que le confinement a été imposé au Royaume-Uni le 23 mars, l’accomplissement de leurs missions est devenu beaucoup plus complexe. La confusion règne d’autant plus que les directives officielles – le confinement et la distanciation physique – sont incompatibles avec l’exercice de leurs métiers. La British Association of Social Workers (BASW), association britannique des travailleurs sociaux, reproche au gouvernement des orientations contradictoires et une mauvaise communication. Les professionnels du social et du médico-social essaient, tant bien que mal, de poursuivre leur travail. « 80 % des travailleurs sociaux travaillent de chez eux ou essaient de respecter cette distance physique », confirme John McGowan, secrétaire général du syndicat Social Workers Union. Le Hackney Migrant Centre, à Londres, ou le Refugee &Migrant Centre (RMC), qui travaille dans la région de Birmingham, annoncent que leurs personnels continueront de travailler par téléphone et en ligne. « Pour des raisons évidentes, le RMC a arrêté jusqu’à nouvel ordre les visites sans rendez-vous et les rendez-vous en personne, la sensibilisation et les séances de groupe », expliquent les dirigeants Arten Llazari et Pam Gill sur le site de l’association. Les questions restant prioritaires concernent l’immigration, les prestations sociales, les demandes d’asile et le soutien aux sans-abri.

Manque d’équipement de protection

La mise en place de cette réorganisation n’est pas toujours fluide. « Déjà, les structures ne sont pas toujours équipées des bonnes technologies pour télétravailler de façon efficace, souligne John McGowan. Les personnes qui doivent travailler en hot desk (un seul bureau pour plusieurs salariés) partagent des ordinateurs et des sièges, les gestes-barrières sont alors difficiles à respecter. » Dans certains cas, les distances physiques avec les bénéficiaires des services sociaux ne sont tout simplement pas maintenues. « Lorsqu’un enfant doit être placé dans une famille d’accueil, on ne lui demande pas de s’isoler pendant quatorze jours, confie le secrétaire général. De même, pour les travailleurs qui ont affaire à des adultes vulnérables, à des personnes âgées ou handicapées, il n’est pas toujours facile de leur faire comprendre pourquoi il faut deux mètres de distance. Ce n’est juste pas possible à appliquer. »

A ce problème s’ajoute celui du manque d’équipement et de protections personnelles. C’est l’une des pré­occupations principales de la BASW.

Pour pallier le manque, c’est le système D. « Le personnel essaie de trouver de son côté de quoi se protéger », commente la communication de l’association. « Je me suis procurée mon propre équipement avec l’aide de mon mari parce que les autorités locales n’ont pas été en mesure de fournir quoi que ce soit, illustre Sian Miljkovic, une travailleuse sociale qui témoigne dans une publication de la BASW. J’ai des gants, du gel hydroalcoolique et un masque, mais je ne sais pas s’il s’agit d’un équipement approuvé. C’est un masque de plâtrier… C’est tout ce que j’ai trouvé. » Selon une enquête menée par l’association auprès de 1 400 personnes, nombreux sont ceux qui expliquent n’avoir pas même de gel hydroalcoolique et s’inquiètent pour leur santé comme pour celle de leurs proches et des personnes qu’ils accompagnent. La question du dépistage est également problématique. Comme en France, le Royaume-Uni est en état de pénurie. Les tests sont donc utilisés en priorité pour les malades puis pour le personnel médical. « Tester les travailleurs sociaux manifestant les symptômes permettrait de savoir qui doit vraiment s’isoler et qui peut retourner au travail, souligne John McGowan. Le fait de pouvoir tester aussi les familles et les personnes qui reçoivent leur service rendrait aussi le travail plus efficace. »

Accès limité aux familles

Outre les risques concernant les travailleurs sociaux eux-mêmes, des inquiétudes remontent aussi sur les difficultés à travailler sans une vraie présence sur le terrain. Une augmentation des violences, des négligences et des problématiques de santé mentale est à craindre dans certains foyers. La deuxième semaine d’avril, la ligne d’assistance téléphonique nationale contre les violences domestiques a signalé une hausse de 120 % du nombre d’appels reçus en 24 heures. Là où des visites journalières étaient requises en raison des risques, la rencontre entre la famille et les travailleurs sociaux s’effectue uniquement sur le pas de porte, ce qui n’est pas suffisant pour assurer la protection des enfants. Une situation accentuée par le cas de familles qui refusent de recevoir qui que ce soit au motif du confinement. Certains travailleurs sociaux essaient de substituer des appels vidéo aux rencontres physiques de proximité, ce qui dans certains cas n’est déjà pas satisfaisant. Mais la tâche devient impossible là où l’accès à la technologie est limité. L’enquête de la BASW révèle aussi que certaines maisons de santé refusent désormais les nouvelles admissions et réduisent les visites. Le placement de personnes ayant des besoins devient ainsi compliqué et les moyens de vérifier que les droits des occupants sont bien respectés sont réduits.

Ce problème est aggravé par le manque de visibilité, au Royaume-Uni, du rôle primordial des travailleurs sociaux dans cette crise. Si celui du personnel de la santé a été très documenté dans la presse, « il y a eu une couverture bien moins importante des difficultés rencontrées par le secteur social », souligne Age UK, association spécialisée dans la protection et l’accompagnement des personnes âgées. L’organisme estime d’ailleurs que le gouvernement devrait s’impliquer davantage pour aider le secteur à planifier une réponse plus coordonnée et plus résiliente. Une demande restée pour l’instant lettre morte.

Appel à toutes les ressources de la profession

Pour réussir néanmoins à accomplir leurs tâches le mieux possible, les travailleurs sociaux britanniques essaient d’innover. Ainsi, le recours aux technologies comme Zoom ou Skype s’est généralisé pour travailler avec les familles, mais aussi pour maintenir le lien entre les équipes. « Il est important de sentir que le management est derrière eux et qu’ils peuvent continuer de partager leurs expériences », précise John McGowan.

Quand un travailleur social doit s’isoler parce qu’il présente les symptômes du virus ou qu’il a été à proximité d’une personne présentant ces symptômes, un appel est lancé pour venir renforcer les rangs. Trois catégories de personnes sont concernées : les travailleurs sociaux qui ne travaillent pas ou sont à la retraite, ceux qui travaillent pour des organisations considérées comme non essentielles (associations professionnelles, syndicats…) et les étudiants en dernière année de formation. « Environ 8 000 formulaires ont été remplis et envoyés, commente John McGowan. Cela ne veut pas dire que toutes ces personnes ont été orientées vers un poste. Mais, au moins, l’appel a été entendu. » Alors que les crèches et les établissements scolaires ont été fermés en mars, les travailleurs sociaux ont aussi obtenu la possibilité d’envoyer leurs enfants dans des bâtiments ouverts afin qu’ils puissent effectuer leur mission.

Nourrir les enfants pauvres

Des solutions ont été trouvées également en fonction des différents secteurs. La propagation du virus au Royaume-Uni étant en retard par rapport aux autres pays européens, certains organismes ont essayé d’anticiper la situation en adoptant une réponse aux problématiques liées au confinement. Le secteur de la lutte contre la faim a observé les fermetures d’établissements scolaires à l’étranger, ce qui a fait naître l’inquiétude au sujet des enfants qui dépendent, pour manger à leur faim, de repas gratuits délivrés à l’école.

Dès le 10 mars, l’organisation Feeding Britain avait écrit une lettre au gouvernement pour organiser avec les partenaires et les établissements la redistribution, en cas de fermeture, de la nourriture auprès des familles dans le besoin. Cette réflexion en amont a permis de mettre en place un circuit de distribution alternatif dès la fermeture effective des écoles, deux semaines plus tard. « La situation varie en fonction des régions, explique Andrew Forey, directeur national. Certaines écoles continuent de fournir les repas. Dans d’autres endroits, cela peut être par le biais des églises ou de bibliothèques. Certains repas sont fournis directement aux familles. » C’est le cas dans le quartier londonien de Haringey, qui compte la population la plus pauvre de la capitale. La mairie locale a mobilisé deux espaces du quartier, le centre d’exposition d’Alexandra Palace et le stade de Tottenham pour y entreposer la nourriture récoltée par le biais de donations et y organiser des paniers-repas redistribués aux habitants identifiés dans le besoin.

Par ailleurs, dans le cadre du soutien aux personnes sans domicile fixe et sans abri, les autorités locales représentent un élément central de réorganisation. Le 27 mars, le gouvernement leur a demandé de trouver immédiatement un logement pour les personnes privées de foyer. Un système de triage doit être mis en place pour identifier les individus présentant les symptômes du virus, ceux ayant des problèmes de santé sans lesdits symptômes et les autres. Afin d’aider ces autorités locales, 1,8 milliard d’euros a alors été débloqué, et d’autres fonds doivent encore s’ajouter. Selon Rick Henderson, directeur de Homeless Link, la réponse s’est montrée à la hauteur de l’urgence. « Nous sommes particulièrement satisfaits des consignes incluant une approche de tri, ce qui permet de placer les sans-abri en différents groupes et d’assurer le meilleur suivi en fonction du statut viral de chacun », a-t-il commenté. Ces lignes de conduite gouvernementales sont depuis appliquées dans l’ensemble du secteur.

Les inquiétudes des travailleurs sociaux reposent enfin sur la question de l’après et des conséquences que le confinement aura sur les personnes les plus vulnérables, aussi bien au niveau de leur santé physique et mentale que de leur sécurité. « Lorsque le confinement sera terminé, on commencera à découvrir ce qu’il s’est vraiment passé dans les familles et pour les enfants que nous essayons de protéger, explique Sian Miljkovic dans la publication de la BASW. Après le retour à la normale, notre charge de travail va augmenter plus que jamais. »

Dans les camps de rétention, des visites réduites au minimum

Le téléphone et les nouvelles technologies de communication ont également pris le relais dans les centres de rétention pour migrants britanniques. Les visites physiques ne peuvent se réaliser qu’en cas de circonstances exceptionnelles et ne peuvent se tenir qu’à huis clos. Le ministère de l’Immigration a mis en place des directives pour remplacer le personnel absent ou ayant besoin de s’isoler. En général, ces centres ont déjà développé des procédures pour prévenir le développement de maladie infectieuses. Dans le but de renforcer ces mesures face à la crise du coronavirus, ils travaillent de façon rapprochée avec les fournisseurs afin d’assurer le maintien d’une hygiène accrue par l’approvisionnement en savon et en matériels de nettoyage.

854 millions d’euros pour le secteur caritatif

Ce n’est que deux semaines et demie après le début du confinement au Royaume-Uni que le gouvernement s’est décidé à débloquer un soutien significatif auprès des associations caritatives. Le 8 avril, Richi Sunak, ministre des Finances, a annoncé le déblocage de 854 millions d’euros à l’ensemble du secteur, et de 421 millions d’euros aux petites associations qui aident à l’échelle locale les personnes les plus vulnérables et qui sont impactées par les conséquences du coronavirus. « C’est un bon point départ, commente John McGowan, secrétaire général du syndicat Social Workers Union. Mais cet argent ne résoudra pas nos problèmes actuels et ne changera pas le quotidien des travailleurs sociaux dans la gestion de la crise. » Le 11 avril, la ministre de l’Intérieur, Priti Patel, a annoncé quant à elle le lancement d’une nouvelle campagne pour indiquer aux personnes en risque de subir des violences domestiques qu’elles peuvent toujours quitter leur maison. Pour améliorer les services d’assistance en ligne, 2,3 millions d’euros ont été promis.

Protection renforcée des sans-abri sur les risques d’infection

Dès après le confinement décidé, le gouvernement a lancé l’organisation du logement des personnes sans abri. Quant aux associations d’aide aux sans domicile fixe, elles ont élaboré des directives pour continuer leurs actions, et communiqué sur la probabilité accrue que le virus se propage par le biais des travailleurs sociaux plutôt que des bénéficiaires de leurs services, incitant les professionnels à se montrer vigilants. Localement, l’organisme Homeless Link a proposé d’établir des forces d’intervention incluant la police, des responsables du logement, de la santé ainsi que le secteur bénévole. Une analyse des besoins doit ensuite être effectuée : l’emplacement des sans-abri, les risques perçus dans les centres de jour, auberges et refuges de nuit ainsi que ceux affectant les bénévoles et le personnel. Les services concernés doivent mettre en place des protocoles de dépistage pour tous les travailleurs en contact avec le service et les équipes de sensibilisation ont été conseillées sur la marche à suivre si elles soupçonnent la présence de Covid-19.

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