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Tu viens ?

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« Tu viens ? »

Sa voix est suppliante. Non, pas maintenant, c’est confinement. Alors c’est lui qui vient. Vite fait, en douce, entre deux courses. Il veut juste discuter. Confiné avec sa femme qui ne parle pas et ses gosses qui parlent trop, il tourne en rond. Il me ferait presque pitié. Presque. Il parle et je l’écoute. Je ne suis pas sa pute, mais sa psy. Il parle, il parle, et il repart. Et je reste là, dans le silence.

« Tu viens ? »

Sa voix est caressante. Non, je reste chez moi, t’as qu’à venir, toi. Il ne fait que passer. Quelques minutes pour une culbute. C’est rapide, comme toujours. Tant mieux. Avec lui, au moins, pas besoin de faire semblant. On n’est pas là pour rigoler. Un p’tit coup et puis s’en va.

« Tu viens ! »

Sa voix est menaçante. Oui, j’arrive, pas question que je m’esquive. C’est mon plus gros client. Si je survis, c’est grâce à lui, et si j’écope d’une amende, il la paiera, il en a les moyens. Il enfile une capote pendant que j’enlève ma culotte. Il ne parle pas. Il ne sourit pas. Il est brutal et il me fait mal. Je ne parle pas. Je ne me plains pas. En silence et en souffrance. En repartant, j’ai la tête vide et les poches pleines. Ce soir, c’est Byzance : télé, pizza, bières et clopes.

« Je viens. »

Je rêvais d’une soirée tranquille, mais il ne me demande pas mon avis. Je suis à sa disposition, c’est comme ça, pas le choix. Covid ou pas, il s’en fout, de toute façon, il a des masques. Moi, je n’ai rien d’autre que de l’eau et du savon. Mais ça, c’est pas son problème. Alors il vient, il s’installe, il prend une bière, il se sent bien, il est comme chez lui. Je souris bêtement, je suis une gentille fille, il reprend une bière. Je souris toujours, je voudrais qu’il s’en aille, vite, je veux être seule, avec ma télé, ma pizza et ma bière.

« Tu viens ? »

Cette fois, c’est moi qui demande. Il a gardé ses chaussettes pour faire des galipettes. Il transpire, il pue, il gémit, mais il vient pas, ce con ! Il est tard et j’ai faim, la pizza est froide et la bière est tiède. Il insiste, il essaie, il s’échine, la fièvre monte, mais pas la sève. Il est tard et j’ai sommeil, j’ai chaud, j’ai froid, je veux juste que ça s’arrête.

« Tu viens ? »

C’est encore moi qui demande. Je suis crevée, essoufflée, oppressée. Ils sont venus, ils ont vu, ils ont vaincu. Ils avaient tous une bonne excuse. Parce qu’ils ne peuvent pas s’en passer. Parce que c’est mon boulot. Parce qu’ils me paient pour ça. Parce qu’ils n’en ont rien à foutre des virus, des amendes, de moi. Parce que je ne suis qu’une petite pute.

Il est tard, maintenant. Ils sont rentrés chez eux, les hommes, les queutards, les bons pères de famille, les citoyens propres sur eux. Ils ont bien pris soin de rédiger leur petite attestation : je rentre des courses, monsieur l’agent ; j’étais au boulot, monsieur l’agent ; je suis sorti courir un peu, monsieur l’agent. Ils sont rentrés juste à temps pour les applaudissements de 20 heures. Ils sont partis et je suis restée, seule, dans cette petite chambre, sur mon lit défait. Seule avec ma fièvre et ma toux, seule avec la lessive à faire, parce que tout est sali, souillé. Tout est dégueulasse, la chambre, les draps, le linge et moi.

Je suis seule et j’attends. J’attends la prochaine passe. J’attends le déconfinement. J’attends de l’aide. Mais personne ne vient.

La minute de Flo

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