« Avec à ce jour près d’un millier de personnes atteintes du Covid-19 dans les structures d’hébergement, l’inquiétude monte chez les personnes sans domicile fixe et les associations qui les accompagnent. La France compte en effet près de 260 000 personnes hébergées au titre des politiques du droit au logement ou d’accompagnement de l’asile auxquelles s’ajoutent plusieurs dizaines de milliers de personnes sans abri (probablement une centaine de milliers) vivant à la rue, en squat ou en campement. Cette population – dont l’état de santé est déjà très fragile – est à l’évidence particulièrement exposée aux conséquences du virus. La surreprésentation des maladies chroniques, des problèmes cardio-vasculaires, des addictions ou de vieillissement aggravés par des mois ou des années de rue rend particulièrement vulnérables les personnes vivant à la rue ou dans l’hébergement. S’ajoute le risque de contamination pour les personnes hébergées ou logées dans des lieux collectifs ne permettant ni l’application des mesures-barrières (on pense évidemment aux centres d’hébergement collectifs, gymnases, foyers de travailleurs migrants…) ni le confinement préconisé par les autorités.
Dans ce contexte sanitaire très difficile, l’engagement des dizaines de milliers de travailleurs sociaux et salariés aux côtés des personnes dans les services d’accueil et d’hébergement est admirable. Leur dévouement au service des plus fragiles, malgré le manque de matériel de protection et les risques encourus pour maintenir coûte que coûte les centres d’hébergement ouverts, est un modèle et une fierté pour la nation tout entière.
Le développement rapide du virus et l’annonce des mesures de confinement – dont il ne s’agit pas de contester l’absolue nécessité sanitaire – ont également provoqué la réduction des services directement en contact avec les personnes à la rue. L’absence de matériel de protection, notamment des masques, a causé des départs massifs de salariés et bénévoles, entraînant la fermeture de nombreux accueils de jour en région. Ces services proposent pourtant des prestations vitales à la population la plus pauvre : se laver, nettoyer ses vêtements, s’alimenter, s’informer des lieux encore ouverts. La fermeture ou la diminution d’activité de nombreux lieux de distribution alimentaire nous laissent craindre des situations de faim dans les rues ou les campements mais aussi dans les hébergements ne proposant pas de prestations alimentaires. A l’image des hôtels sociaux, qui hébergent aujourd’hui près de 50 000 personnes, dont 50 % d’enfants. Pour éviter une crise alimentaire, l’Etat a débloqué une enveloppe de 15 millions d’euros finançant des chèques service de 7 € par jour pour couvrir les besoins de 60 000 personnes. C’est un premier pas très important, un effort qu’il convient d’amplifier pour répondre aux besoins de l’ensemble des populations en difficulté.
Le confinement généralisé suppose d’avoir la capacité d’héberger ou de loger toute personne vivant à la rue. Or, si l’Etat a décidé, à la demande des associations, de prolonger de deux mois la trêve hivernale permettant ainsi le maintien de l’ouverture de 14 000 places d’hébergement hivernal et la suspension des expulsions locatives, le parc d’hébergement d’urgence reste structurellement sous-dimensionné (163 000 places au 26 mars) au regard des besoins. Pour répondre à la crise sanitaire, l’Etat a mobilisé 7 600 places supplémentaires à l’hôtel (au 3 avril) pour les sans-abri, en particulier des familles, et pour desserrer les centres collectifs. C’est une première avancée mais les associations demandent une montée en puissance plus rapide compte tenu des capacités des locaux disponibles repérés sur l’ensemble du territoire (hôtels vides, internats, centres de vacances…). Malgré le courage des intervenants sociaux, les centres d’hébergement déjà ouverts font face à une baisse très significative de leurs effectifs (de – 30 à – 40 %), liée à la maladie ou à la garde d’enfants de salariés. Ces établissements, qui rendent pourtant un service essentiel en protégeant les populations les plus fragiles, ne sont toujours pas prioritaires dans l’attribution du matériel de protection et ne comptent pour la plupart aucun personnel médical. Ils ne bénéficient pas non plus des mesures d’aide à la garde d’enfants pourtant nécessaire à la garantie de continuité du service.
Autre enjeu central : le confinement des hébergés, pour éviter une contamination collective dans les structures. Pour atteindre cet objectif, l’Etat ouvre des centres spécifiques pour l’hébergement de personnes malades ne nécessitant pas une hospitalisation. 59 structures de ce type gérées par des associations volontaires pour 2 300 places ont ouvert à ce jour avec de grandes difficultés à recruter en urgence des personnels formés. Les associations doivent évidemment être particulièrement vigilantes quant à la protection des salariés intervenant auprès des malades et s’assurer que les personnes retrouvent un hébergement à la sortie de ces centres ou d’une hospitalisation.
La situation s’avère également critique dans les campements et bidonvilles. Dans ces foyers à risque d’épidémie, l’entassement des personnes, qui dans 80 % des cas ne disposent pas de point d’eau, rend très difficile la mise en œuvre des mesures d’hygiène les plus élémentaires. Un travail est en cours avec l’Etat et les collectivités locales pour l’accès à l’eau et à l’alimentation, déjà porteur d’améliorations dans un certain nombre de campements. Dans ce contexte dramatique, l’évacuation d’environ 700 personnes qui survivaient depuis des mois dans un campement à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) le 24 mars dernier était demandée par la majorité des associations. Mais une partie de ce public a été orientée en gymnase, faute d’alternative et au risque de créer de nouveaux “clusters”. Les associations ont demandé à l’Etat de trouver rapidement des solutions de sortie des gymnases dignes et respectueuses des règles sanitaires du confinement, mais ces accueils collectifs persistent alors même qu’ils sont proscrits par le Comité national scientifique.
Les foyers de travailleurs migrants sont également identifiés comme des foyers à risques épidémiques majeurs du fait de résidents assez âgés, de situations de surpeuplement et de locaux exigus interdisant la distanciation sociale. Dans ces établissements, le matériel de protection (gel, masques, gants) est souvent absent et les personnes se sentent abandonnées des pouvoirs publics. Si la solidarité locale s’organise, par les associations de quartier et les centres communaux d’action sociale, il faut un plan de desserrement de ces foyers et des protocoles sanitaires particuliers.
La décision du ministère de l’Intérieur de suspendre l’enregistrement de l’asile pendant la période de confinement, faute d’effectifs dans les préfectures, va dégrader les conditions d’hébergement et d’accompagnement des personnes migrantes qui constituent une part significative de la population des sans-abri. Cette mesure, passée relativement inaperçue dans les médias, n’est pourtant pas anodine : elle signe l’arrêt momentané du droit d’asile, droit constitutionnel et fonction régalienne de l’Etat. Elle va de facto limiter l’orientation des demandeurs d’asile vers des centres dédiés et reporter leur accès à l’allocation pour demandeur d’asile (ADA).
Cet état des lieux témoigne d’une situation particulièrement alarmante : les personnes sans abri qui font partie des populations les plus vulnérables au virus sont aussi les moins protégées, confrontées aux défaillances chroniques d’un système de l’hébergement structurellement sous-doté. Mais dans la difficulté, le secteur associatif a tenu le choc jusqu’à présent, grâce à sa capacité d’adaptation, aux solidarités d’inter-réseaux et à l’engagement exceptionnel des professionnels de terrain. La nation et ses représentants devront reconnaître cette contribution essentielle à l’effort “de guerre” contre le virus. »
(1) La FAS regroupe plus de 850 associations et organismes de lutte contre les exclusions.
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