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Les travailleuses du sexe en situation de survie

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En raison de la crise sanitaire, le confinement place la plupart des travailleuses et travailleurs du sexe dans une situation de survie économique. Le tout sur fond de précarisation croissante depuis la loi de pénalisation des clients de 2016. Le 6 avril, une « aide d’urgence » a été demandée au gouvernement par des associations et syndicats.

La Fédération Parapluie rouge, qui regroupe plusieurs associations de santé communautaires et des syndicats, a adressé le 6 avril un courrier au président de la République alertant sur les conséquences du confinement pour les travailleuses et travailleurs du sexe (TDS). Les organisations réclament un fonds d’urgence qui permette d’assurer un « revenu de remplacement » afin de pallier l’arrêt de travail forcé ou la baisse des rémunérations. Les TDS « sont exclu(e)s des protections sociales et des droits du travail dont peuvent bénéficier les autres travailleurs », rappellent les signataires.

Seule une minorité ont une activité déclarée et peuvent ainsi prétendre à l’indemnité pour les auto­entrepreneurs. « Nous demeurons dans une économie parallèle qui n’est pas du tout protégée », expose Anaïs de Lenclos, porte-parole du Syndicat du travail sexuel (Strass) et elle-même TDS. Les consignes de confinement ont été respectées « dans la mesure du possible », précise-t-elle. « Mais du jour au lendemain, plus de revenus, cela implique ne plus pouvoir faire ses courses ni payer sa chambre… Dès les premiers jours, nous avons reçu des appels de personnes témoignant de situations extrêmes. »

« Combien de temps vont-elles tenir ? »

De nombreuses personnes craignent de se retrouver à la rue. « C’est le début de mois, le moment de payer le loyer : je ne sais pas comment elles vont faire », s’inquiète June Charlot, médiateur « santé » de l’association Grisélidis, à Toulouse. Sur Internet, où le professionnel réalise des tournées virtuelles, il observe « trois fois moins d’annonces ». Pour Sarah-Marie Maffesoli, coordinatrice du programme « Jasmine » contre les violences faites aux TDS pour Médecins du monde, la question que se posent toutes les associations spécialisées reste en suspens : « Combien de temps vont-elles tenir ? »

La plupart des travailleuses du sexe vivent dans des hébergements non conventionnels : difficile d’avoir un bail à son nom lorsqu’on pratique une activité non déclarée ou sans titre de séjour. Sous-locations, hôtels et Airbnb sont leur lot commun. La trêve hivernale ne s’y applique pas. « Dans plusieurs villes, des personnes nous ont appelés en disant : “J’ai été mise dehors.” Elles ne pouvaient plus payer les nuits d’hôtels, ou bien ceux-ci ont fermé », relaie Anaïs de Lenclos. C’est le cas à Marseille, mais aussi à Lyon, où exerce Antoine Baudry, animateur de prévention pour l’association Cabiria, qui explique : « Une grande partie des personnes que l’on accompagne, dont toutes celles venant de République dominicaine, du Nigeria ou de Roumanie, vivent en sous-location. »

Les TDS sans titre de séjour sont parmi les plus vulnérables. « Etant en irrégularité, elles n’osent pas sortir, et venir vers nous représente un risque de se faire contrôler », regrette June Charlot. Parmi les plus à risque, on compte aussi les personnes transgenres : « Lorsqu’elles sont mises à la rue, il leur est quasiment impossible de retrouver un logement. La transphobie est forte », souligne Anaïs de Lenclos. Sans oublier les plus isolées. A Lyon, par exemple, de nombreuses femmes guinéennes restent confinées dans des camionnettes postées sur le bord des routes, en périphérie de l’agglomération. L’association Cabiria a repris ses tournées en camping-car pour leur amener « des colis alimentaires, de l’eau, des produits d’hygiène, de l’information », fait savoir Antoine Baudry. Mais les masques et le gel hydroalcoolique manquent. « Nous donnons des conseils à celles qui vont devoir faire des passes. Mais on aimerait pouvoir leur distribuer plus de matériel de protection », déplore le travailleur social.

Accompagner à l’heure de la survie

Beaucoup n’ont d’autre choix que de retourner travailler. « Des TDS ont déjà pris des amendes dans certaines villes, ce qui les précarisent encore plus », fustige Sarah-Marie Maffesoli. « C’est paradoxal : on peut sortir pour travailler, mais pas pour le travail du sexe », raille June Charlot, qui témoigne de verbalisations à Toulouse et craint que les personnes « se cachent de la police et s’exposent davantage aux violences ». D’autres essaient de s’adapter, en se mettant par exemple à la « cam » (sexe virtuel en vidéo) et au travail sur Internet. Ceci étant, les réticences sont nombreuses : « C’est très exposant en termes de cybersécurité, de vols d’images et de risques d’outing », pointe Sarah-Marie Maffesoli. Sur Internet, à domicile ou dans la rue, le rapport de force avec le client devient encore plus défavorable. « Les clients savent très bien que les TDS ont besoin d’argent dans ce contexte, et ils en profitent pour diminuer les prix, demander des rapports non protégés… C’est assez dramatique », témoigne Antoine Baudry. Si le nombre de clients est en chute libre, ceux qui restent « profitent de cette situation extrême pour négocier des tarifs et des pratiques extrêmes », synthétise Anaïs de Lenclos.

Dans un contexte que Sarah-Marie Maffesoli qualifie de « situation de survie » pour les TDS, les associations tentent de maintenir l’accompagnement. A Lyon, outre la reprise des tournées, l’équipe de Cabiria assure la transmission des courriers, le contact téléphonique régulier avec les personnes familières et le maintien d’une ligne d’urgence 24 heures sur 24. A Toulouse, Grisélidis ouvre une permanence tous les mardis afin de délivrer une aide financière, des kits ou encore des attestations de sortie. « Nous avons aussi deux lignes d’urgence pour parler interruption volontaire de grossesse, violences, ruptures de préservatifs… », liste June Charlot. Le Strass a fermé sa permanence physique à Paris mais maintient sa cellule d’écoute. Le syndicat propose aussi, chaque après-midi, des cours en ligne sur des sujets allant de l’histoire des luttes au marketing : « Une façon de prolonger le lien », soutient Anaïs de Lenclos.

Nombre d’associations ont lancé des cagnottes de solidarité pour couvrir les besoins suscités par la crise. Grisélidis est parvenu à lever 6 000 €. Rien que pour la délivrance d’une aide de 30 € pour chacune des 60 personnes venant à chaque permanence du mardi, le budget hebdomadaire s’élève à 1 800 €. Habituellement, il est limité à 200 €. Du côté de Cabiria, June Charlot se consacre à « faire des demandes de subventions exceptionnelles » et à « répondre à des appels à projets comme celui de la Fondation de France ».

« Ce qu’on vit, c’est la loi de 2016 amplifiée »

Cette crise sanitaire intervient quatre ans après la loi de pénalisation des clients qui, selon ces associations de santé communautaires, a fortement précarisé les personnes en situation de prostitution. Nombre d’entre elles ne parviennent plus à épargner. « J’exerce depuis neuf ans. Avant 2016, ayant conscience de l’insécurité de mon métier, je gardais un matelas de secours. Depuis, cela fait longtemps que je ne l’ai plus », témoigne Anaïs de Lenclos. La loi part du postulat que tarir par la prohibition le nombre de clients est un moyen d’en finir avec la prostitution. « Mais on constate avec cette crise ce qui arrive quand les travailleuses du sexe n’ont plus de clients : on meurt de faim et on se retrouve dehors, tranche Anaïs de Lenclos. Rien ne peut empêcher les gens de travailler quand ils doivent manger. Ce qu’il faut, c’est apporter des droits et des fonds. »

La sortie du confinement en révélera les conséquences, estime Antoine Baudry : « Des TDS ayant eu des rapports sans préservatif auront été infectées par le VIH, certaines auront contracté des dettes envers les patrons d’hôtels, d’autres seront obligées d’accepter des clients qu’elles auraient refusé avant… » Le travailleur social est, lui aussi, catégorique : « Ce que l’on vit actuellement, c’est la loi de 2016 amplifiée. J’espère que les pouvoirs publics tireront des leçons de tout ça. »

Des demandes au gouvernement restées lettre morte

Répondre à la situation d’extrême précarité dans laquelle se trouvent les TDS est un enjeu de santé publique. « On ne peut pas se projeter dans deux semaines ou un mois… C’est là, tout de suite, maintenant », martèle Sarah-Marie Maffesoli, de Médecins du monde. La principale demande, exprimée par le courrier du 6 avril à Emmanuel Macron, reste la mise en place d’un revenu de confinement, « sans aucune forme de condition : ni de régularité du séjour, ni d’arrêt de l’activité ». En outre, les organisations pointent la nécessité d’un moratoire sur les loyers et d’une interdiction des expulsions des hôtels. Saisie sur la question le 1er avril par les parlementaires, Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, leur répond dans un courrier : « Il est très compliqué pour l’Etat d’indemniser une personne qui exerce une activité non déclarée telle que la prostitution. » Trêve hivernale repoussée, places d’hébergement supplémentaires, dispositif de sortie de prostitution : en dehors de ce qui est déjà en place, aucune mesure spécifique pour les TDS ni aucun déblocage d’un fonds d’urgence ne sont pour l’heure envisagés.

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