« Mes cauchemars… C’est comme les délires de papa ? » Voilà ce qu’un petit garçon de 7 ans a demandé à Hélène Davtian, psychologue, directrice des Funambules, un service d’accompagnement pour enfants et jeunes adultes de l’Œuvre Falret. C’était avant le confinement. « Toute personne confrontée à la psychose d’un proche ressent de la confusion et du déséquilibre, décrypte Hélène Davtian. Il est donc très important de leur faire comprendre que, pour autant, elles ne sombrent pas dans la maladie. » Mais le confinement renforce le risque d’emprise d’un parent malade sur son enfant, sans qu’il lui reste d’échappatoire.
Impossible, aujourd’hui, de dénombrer les enfants et adolescents qui vivent de telles situations. Mais le chiffre est d’autant moins anecdotique que plusieurs patients sont sortis des hôpitaux psychiatriques pour se confiner à domicile. En temps normal, déjà, l’organisation des soins de la psychiatrie adulte ignore totalement le sujet, selon Hélène Davtian : « On n’explique pas aux mineurs à domicile le diagnostic ou les choix de soins. Et nos institutions sont trop cloisonnées. Le secteur de la protection de l’enfance estime que ces enfants sont en danger, les neurosciences les perçoivent comme étant à haut risque de psychose, ou on en fait aussi de jeunes aidants… »
Déjà non considérés en temps normal, faute d’interdisciplinarité des prises en charge, les jeunes se retrouvent encore plus ignorés pendant la crise sanitaire. Invisibles parmi les invisibles, ils doivent cohabiter 24 heures sur 24 avec un parent qui peut devenir violent. Par exemple, en cas de paranoïa, pointe le psychiatre Olivier Dubois, qui exerce dans deux cliniques privées à Saujon (Charentes-Maritimes). Et lorsque le parent a des troubles de l’humeur (bipolarité, cyclothymie…), les jeunes doivent eux-mêmes fournir des efforts pour réguler leur propre humeur, note Hélène Davtian. Dans ces cas, le mécanisme de défense est le repli, pas toujours facile en période de confinement.
D’autant que, fréquemment, les parents vivant avec un handicap psychique disposent souvent de faibles ressources, et donc de petits abonnements de télécommunications. Pire : « Que veut dire “l’école à la maison” lorsque le parent ne parvient pas à se lever le matin ? », interroge Hélène Davtian.
Ces phénomènes atteignent les jeunes à un moment, souligne Olivier Dubois, où ils se trouvent eux-mêmes en situation de fragilité, où ils ont besoin de repères, d’attention, de sécurité. « Leurs défenses psychiques sont encore mal structurées », note-t-il également.
Les conséquences d’une cohabitation forcée de longue durée peuvent se révéler graves. Olivier Dubois redoute une possible surconsommation de substances toxiques addictives. Et dans les situations les plus dramatiques, le risque de psychose peut apparaître. Mais attention, prévient Hélène Davtian : « Il ne faut pas réduire la prévention au dépistage. Il faut travailler les facteurs environnementaux et relationnels. » Et, au-delà, accompagner les personnes.
Olivier Dubois recommande aux enfants de prendre soin d’eux, de pratiquer une activité physique, de bien utiliser leur heure de sortie, d’avoir des activités artistiques pour « se mettre dans leur bulle ».
Aux adultes, le psychiatre recommande de continuer de consulter, pour ne pas faire part de leurs émotions à leurs enfants, « qui ne sont pas là pour absorber les angoisses des parents ». Plusieurs associations, dont Les Funambules, mettent aussi à leur disposition des écoutants(1). En l’occurrence, une plateforme téléphonique et un tchat. « Les personnes dépressives qui nous sollicitent sont souvent très autoréférencées, explique Hélène Davtian. Mon enfant ME fait ça, à MOI. Donc mon rôle consiste à déréférencer tout cela. » Quant aux enfants ? « S’ils ont peu de forfait, il vaut parfois mieux qu’ils appellent un copain plutôt qu’un psy, car l’amitié et la dimension générationnelle sont indispensables pour eux dans cette situation. »
(1) Tél. 07 66 24 54 11 – Mail :