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En Ehpad, le casse-tête de la gestion des décès

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Si tous les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ne sont pas concernés par des décès de résidents infectés par le coronavirus, certains d’entre eux connaissent un nombre conséquent de morts et se heurtent à des problématiques liées à la mise en place des protocoles funéraires.

Cette pandémie de coronavirus chamboule toutes nos certitudes. De nombreux corps de métiers ont dû faire évoluer leurs pratiques. C’est le cas par exemple des pompes funèbres. En raison de l’important nombre de décès mais aussi des mesures de sécurité à respecter. Ainsi, toute une série de directives ont été éditées en ce sens. Mais que faire avant l’arrivée des pompes funèbres ? Comment un Ehpad doit-il gérer un décès lié au Covid-19 ? Quelles précautions respecter et quels équipements de protection sont nécessaires pour prendre en charge le corps du défunt ? Autant de questions qui ont rapidement émergé du terrain. Pour y répondre, dès le 18 février, le Haut Conseil à la santé publique (HCSP) a émis un avis. Il préconisait, entre autres, l’absence de soins funéraires, de toilette mortuaire, que le corps soit déposé dans une housse et que la mise en bière soit faite dans les deux heures suivant le décès, avec fermeture du cercueil sans présentation à la famille. Des recommandations particulièrement radicales afin d’éviter toute contamination des professionnels comme des familles. Elles ont évolué depuis, et ont été assouplies. Ainsi, dans un nouvel avis du 24 mars, le HCSP indique désormais que « les proches peuvent voir le visage de la personne décédée dans la chambre hospitalière, mortuaire ou funéraire, tout en respectant les mesures-barrières définies pour chaque lieu ». De même, des autorisations exceptionnelles de visite, au cas par cas, peuvent être accordées par le directeur de l’établissement pour que les familles puissent venir voir leur parent sur leur lit de mort pour un dernier adieu.

Il s’est ensuivi une fiche de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) présentant un certain nombre de principes généraux à respecter(1). Mais, sur le terrain, tout n’est pas réglé, comme l’indique Laurène Dervieu, conseillère technique « autonomie » à l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux). « Nous constatons que ces directives sont assez incomplètes et ne répondent pas du tout à certaines interrogations que peuvent se poser les directeurs d’Ehpad confrontés à un décès. Il y a notamment toute la problématique liée à la disponibilité des pompes funèbres. » Et de donner des exemples : « Dans les clusters tels que les Alpes-Maritimes, l’Oise ou le Haut-Rhin, les délais de prise en charge des corps sont très longs. Parfois dix jours. […] Comment faire quand les Ehpad n’ont pas de chambre mortuaire, ce qui est assez souvent le cas, et que le corps doit être pris en charge malgré tout ? »

« Les chefs d’établissements blessés »

Effectivement, comment faire pour éviter ce qui se passe en Italie, où des cercueils s’entassent parfois dans des églises ou des hangars en attendant que les pompes funèbres ne les prennent en charge ? Le risque que le corps soit encore viral ajoute une difficulté. Il faut le préparer, le nettoyer, de même que la chambre du résident, avec précaution. Dans l’avis du HCSP, il est par exemple souligné « qu’aucun acte de thanatopraxie n’est pratiqué » et qu’il « n’est pas recommandé de réaliser un test de diagnostic d’infection par le Sars-CoV-2 chez les personnes décédées ». Plus techniquement, il est souligné que « les effets personnels de la personne décédée, s’ils ne peuvent pas être lavés à plus de 60 °C pendant au moins 30 minutes ou désinfectés, sont mis dans un sac plastique fermé pendant dix jours ». Autant de principes qui font que les familles ne peuvent pas faire leur deuil comme elles l’entendent. « La gestion des décès est l’un des aspects les plus compliqués, les plus douloureux de la crise actuelle, estime Didier Sapy, directeur général de la Fnaqpa (Fédération nationale avenir et qualité de vie des personnes âgées). Certains directeurs sont dévastés par le fait que la famille ne puisse pas faire son deuil correctement. C’est extrêmement douloureux pour les familles comme pour les chefs d’établissements. Car la relation avec la personne âgée, avec la famille, c’est leur cœur de métier. Et, en ce moment, ils sont blessés dans leur cœur de métier. »

Les pompes funèbres n’entrent plus dans les établissements. C’est au personnel de l’Ehpad de venir déposer le corps des défunts à l’entrée. Ce qui soulève de nouvelles interrogations. « Les professionnels se demandent qui doit mettre le corps dans la housse mortuaire une fois le décès constaté », relève ainsi Laurène Dervieu. Et de poursuivre : « Les directives actuelles répondent essentiellement à la procédure à adopter pour nettoyer le corps, ce qui doit être fait dans la chambre du résident et les mesures d’hygiène à prendre. Mais que faire si les pompes funèbres ne sont pas disponibles ? Combien de temps après la mort le corps doit-il être pris en charge ? Qui se charge du transport en chambre funéraire ? Et que faire s’il n’y a pas de chambre funéraire ? » Toutes ces interrogations émanant du terrain, et bien d’autres encore, l’Uniopss, associée à la Fehap (Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs), les a fait remonter dans une note à la DGCS dès le 27 mars. « Nous attendons encore leur réponse », déplore Laurie Fradin, conseillère technique « santé-ESMS » au sein de l’association.

Si les pompes funèbres ne sont plus autorisées à entrer dans les Ehpad, cela veut dire que chaque établissement doit avoir, a minima, des housses mortuaires pour pouvoir déplacer les corps. « Mais on n’arrive déjà pas à trouver des masques, des gants, des blouses…, souligne Sandra Staudt, directrice des opérations à l’Amapa [l’opérateur médico-social du groupe Doctegestio, ndlr]. S’il faut en plus se mettre à la recherche de housses mortuaires… Cela va commencer à devenir infernal. » Car, pour ces professionnels, le problème n’est pas forcément la housse mortuaire en tant que telle. La réelle difficulté est de devoir travailler avec suffisamment de matériel. « Notre sujet majeur c’est d’avoir des concentrateurs d’oxygène, des bouteilles d’oxygène, des pieds de perfusion, des masques… » Et de donner un exemple : « Dans l’un de nos établissements, nous avons eu 17 cas de Covid-19. Mais nous n’avions que huit concentrateurs d’oxygène. Il a donc fallu transférer des résidents vers l’hôpital. » Au-delà des décès, Laurène Dervieu de l’Uniopss met en avant une autre complication, remontée directement par ses adhérents : le confinement. « Cela met une énorme pression sur les professionnels, affirme-t-elle. Seuls à pouvoir entrer dans les établissements, ils sont donc le seul lien avec l’extérieur. Ça leur met une pression folle parce qu’ils ont peur d’être malades, de contaminer les personnes âgées. Et, en même temps, ils doivent continuer à faire leur travail… »

« On sait que l’on accompagne les personnes à la mort »

Au-delà du manque de matériel, du confinement ou d’autres difficultés, à l’heure actuelle, ce qui préoccupe le plus les professionnels en établissements c’est de pouvoir exercer pleinement leur métier centré sur l’accompagnement de la personne âgée. Et, comme le rappelle Sandra Staudt, ancienne directrice de structure, « quand on travaille en Ehpad, on sait que l’on accompagne les personnes à la mort. En effet, 98 % des sorties d’établissement se font dans une housse mortuaire. Dès lors, aucun des personnels ne songent à la mort. Même en ce moment. Chacun pense aux soins, à l’accompagnement… On essaye de trouver des façons d’exercer pour que la situation soit la plus supportable possible. Tout est fait pour prendre soin de ceux qui peuvent vivre, de leur donner les meilleures chances. » Et la directrice des opérations de l’Amapa de poursuivre son argumentation : « Si ce virus s’installait dans un secteur pédiatrique, je pense que le choc serait très difficile à encaisser. Mais pour nous, dans les Ehpad, la mort est la fin normale de l’accompagnement. C’est une sorte de “collègue”. Elle fait partie de notre travail. En revanche, dans un service de natalité, si ce virus s’attaquait à des bébés, je pense que ce serait dévastateur pour les personnels. La mort n’y a pas sa place. »

« La mort, le deuil, l’accompagnement de la famille… Les professionnels ont l’habitude. Ce n’est pas nouveau en tant que tel », confirme Didier Sapy. « Techniquement, il n’y a pas de contraintes majeures avec les décès liés au Covid-19. Nous avons une procédure à suivre établie par le ministère. Elle est claire et limpide, donc elle n’entraîne pas de difficulté, ajoute le directeur général de la Fnaqpa. Pour l’heure, la principale préoccupation que je ressens chez les adhérents, c’est la dimension sociale de la gestion du décès. C’est ce qui est le plus compliqué. » Des recommandations qui, si elles sont valables à ce jour, sont susceptibles d’évoluer en fonction de la situation sanitaire, comme le relève Didier Sapy : « Peut-être que la semaine prochaine, la situation sera différente. Nous faisons en effet face à une telle crise que l’on ne peut pas savoir. C’est l’inconnue la plus totale. »

Notes

(1) Intitulée « Informations sur la conduite à tenir par les professionnels relatives à la prise en charge du corps d’un patient décédé infecté par le Sars-CoV2 ».

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