Recevoir la newsletter

CMP : « Tant qu’il y a des oreilles et une voix, ça va »

Article réservé aux abonnés

En pleine crise sanitaire, les professionnels des centres médico-psychologiques (CMP) sont obligés de revoir leurs pratiques. La majorité a mis en place des téléconsultations et des visites au domicile de leurs patients en cas d’urgence. Malgré tout, la situation pourrait se compliquer si le confinement dure.

Aucune consigne générale pour les centres médico-psychologiques. « La psychiatrie est une discipline très particulière, qui repose essentiellement sur le lien social. Il faut laisser le chef de pôle et les équipes qui sont au plus près du terrain organiser les choses comme ils le souhaitent », affirme Edmond Vaurette, psychologue au CMP des Murets (Val-de-Marne). Pour autant, la majorité de ces structures ne reçoivent plus de patients, sauf ceux ayant besoin de médicaments, d’une injection… Un peu partout sur le territoire, les téléconsultations ont donc remplacé les consultations classiques.

Une situation totalement inédite pour les patients qui n’ont plus accès aux modalités de prise en charge habituelles. « Je donne des rendez-vous à mes patients exactement comme avant, sauf que c’est par téléphone. Je leur ai expliqué qu’on allait poursuivre le travail thérapeutique engagé, pour certains depuis plusieurs années. Aucun n’a refusé pour l’instant. Un patient m’a dit : “Tant qu’il y a des oreilles et une voix, ça va” », témoigne Marion Outrebon, également psychologue au CMP des Murets. Sur une trentaine de patients suivis par Edmond Vaurette, un seul n’a pas souhaité poursuivre via la téléconsultation. Lui aussi était réfractaire au début : « Dans notre travail, la présence physique est très importante. Mais comme nous sommes tous confinés, finalement, cela fonctionne plutôt bien. »

Le téléphone, nouvel outil du soin

A Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), l’activité du CMP est elle aussi réduite. « Dès le 16 mars, nous avons anticipé et procédé à une réorganisation en arrêtant l’accueil des patients à l’hôpital de jour et au centre thérapeutique d’accueil à temps partiel afin de limiter les risques de transmission du virus. Le CMP est ouvert en cas d’urgence », explique le Dr Mathieu Bellahsen(1), directeur du pôle de psychiatrie adulte du secteur. Pour assurer le suivi des patients, les professionnels ont communiqué leur numéro de téléphone aux personnes qu’ils estiment les plus « fragiles » et sont tenus à une astreinte téléphonique tous les jours de 17 h 00 à 22 h 00, et le week-end de 9 h 00 à 22 h 00. Des visites à domicile sont également organisées si besoin.

Le psychiatre en fait environ trois à quatre par jour. « Nous avons un patient très angoissé par le confinement. Nous l’avons appelé deux jours de suite et il a fini par nous dire qu’il avait des idées suicidaires. Je suis allé chez lui avec une infirmière. Nous avons mis des masques, du gel, des gants et respecté les distances de sécurité. L’entretien a duré trois quarts d’heure », témoigne le thérapeute. Ces derniers jours, les visites à domicile augmentent. Et la situation est, parfois, très complexe. « Hier, je suis allé deux fois chez une patiente en décompensation mélancolique. Franchement, il aurait fallu l’hospitaliser mais c’est impossible. Nous avons dû faire énormément de sorties à l’hôpital pour qu’il reste le moins possible de patients et qu’ils puissent être en chambre simple. C’est une galère complète, souligne Mathieu Bellhasen. Mais nous faisons tout ce que nous pouvons pour garder le contact avec les patients. Ils disent être rassurés par nos appels réguliers et par la possibilité de venir les voir au cas où. Il faut voir ce que cela va donner sur la durée. »

La voix et l’image avec les enfants

Avec son équipe, Corinne Tyszler, pédopsychiatre, responsable des CMP enfants et adolescents à Saint-Maurice (Val-de-Marne), passe également son temps à téléphoner aux uns et autres pour garder le lien. Elle s’inquiète surtout pour ses jeunes patients en situation de précarité sociale. « J’ai une maman qui vit à l’hôtel avec son fils autiste. C’est très difficile car le parc où elle allait se promener avec lui est fermé. Elle l’emmène ailleurs mais comme il ne reconnaît pas l’endroit, il est paniqué. Il ne dort plus la nuit, il crie, se tape, se cogne… Je vais devoir organiser une visite à domicile. Il y a beaucoup de situations comme celle-là. Sans compter les enfants dont les IME [instituts médico-pédagogiques] sont fermés et qui se retrouvent à domicile sans suivi ni activités. » Dans ce contexte, elle n’hésite pas à associer l’image à la voix via Facetime, Skype ou WhatsApp et à envoyer aux parents des « jeux éducatifs ». Elle leur adresse aussi des attestations médicales pour qu’ils puissent sortir une heure ou deux avec leurs enfants. « Les petits phobiques, ceux qui ont peur de sortir, d’aller à l’école, vont plutôt bien. Le confinement donne une légitimité à leur évitement », observe-t-elle. C’est aussi le cas des enfants ayant une angoisse de séparation et qui, là, restent avec papa et maman. Les adolescents psychotiques ne s’en sortent pas trop mal non plus. « Ils vivent déjà enfermés, le fait que tout le monde soit confiné relativise leur propre enfermement », note Corinne Tyszler.

Les problématiques sont très variables mais, pour l’heure, ce constat semble se vérifier chez les adultes souffrant de schizophrénie, bipolarité, délire… « Je suis étonné de voir à quel point ils comprennent et supportent cette crise. Certains s’accommodent très bien de rester chez eux car, pour eux, sortir, venir au CMP, est une violence. Mais comme ils ont naturellement tendance à l’isolement et à suivre leur propre pente, je les appelle tous les jours pour leur montrer que l’extérieur continue à exister et que le confinement va s’arrêter », affirme Edmond Vaurette. Pour d’autres, le virus donne raison à leurs idées délirantes dont la spécificité est de craindre un danger qui justement ne se voit pas.

Plus globalement, selon Marion Outrebon, « pour certains patients psychotiques qui vivent l’horreur au quotidien, avec des persécutions, des voix… il y a enfin quelque chose d’un drame incroyable, quelque chose de commun qu’ils peuvent partager avec tout le monde. Ils ne sont plus seuls. D’ailleurs, ils nous demandent de nos nouvelles. »

Mais la situation reste tendue. Les CMP risquent de fermer complètement afin de rapatrier leur personnel dans les unités d’hospitalisation où de plus en plus de soignants sont contaminés par le Covid-19 et doivent être remplacés. « Ici, nous sommes encore assez nombreux pour appeler les patients mais ça va être la catastrophe là où il n’y a presque plus de soignants pour s’occuper des gens, désamorcer les angoisses et les crises. La situation est explosive, il peut y avoir une implosion de patients qui vont revenir à l’hôpital », prévient Mathieu Bellahsen.

« L’antipsychiatrie covidienne »

Ce dernier craint également que des patients soient contaminés et qu’ils décèdent, faute d’être prioritaires dans les services de réanimation. Comme beaucoup de ses confrères, il redoute, à la fois, la fin du confinement : « Un nombre de décompensations important risque de se produire. Quand les patients viennent au centre, ça les fait sortir de leur coquille. Ça va être dur de les faire revenir après, ils risquent de se refermer. C’est pourquoi il est primordial de les appeler. Mais est-ce que cela suffira ? D’autant qu’il y en a qui n’ont pas de téléphone. »

Pour ce psychiatre, il n’y a pas lieu de remettre en cause le confinement imposé pour empêcher la contagion mais celui-ci s’oppose à ce qui prévaut traditionnellement dans le soin psychique. Un phénomène subi qu’il appelle « l’anti-psychiatrie covidienne », une psychiatrie confinée qui bouleverse les pratiques, supprime la relation directe avec les patients, l’ouverture, la socialisation, les sourires, la main tendue… Tout ce qui peut leur procurer une soupape de sécurité, une respiration, une considération. Finis aussi les réunions d’équipe, les temps de régulation entre professionnels… outils essentiels du travail théra­peutique. « Le soin psychiatrique, c’est le lien. Il y a peu, nous aurions refusé les masques, le gel ; là, nous les avons réclamés, précise Mathieu Bellahsen. La contamination change de camp. Certains soignants avaient peur d’être contaminés par la folie des patients. Aujourd’hui, ils ont peur de les infecter. Cela nous remue mais nous n’avons pas le choix. »

Notes

(1) Co-auteur de La révolte de la psychiatrie – Voir ASH n° 3152 du 20-03-20, p. 41.

L’événement

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur