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« Ça ne suffit pas de leur dire merci »

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Eric Kérimel est en colère. « Je suis atterré par ce qui se passe sur le terrain, notamment dans les Mecs [maisons d’enfants à caractère social]. Malgré les déclarations, le personnel au contact des enfants n’a toujours pas de protections. On a dû faire bricoler des masques en tissu par des mamies et moi j’ai donné les soutiens-gorge de ma femme. On en rigole, mais c’est dramatique », s’insurge le vice-président de L’Eau Vive. Pour le moment, dans cette Mecs, située à Coudoux dans les Bouches-du-Rhône, les choses se déroulent plutôt bien : l’établissement est en milieu rural et doté d’un parc de sept hectares, ce qui permet aux 60 enfants de 3 à 21 ans accueillis de pouvoir sortir. « On a la chance d’être un petit dispositif. Mais la situation est terrible dans d’autres Mecs où sont confinés parfois jusqu’à 200 enfants avec des ados en crise. Chez nous, une quinzaine d’enfants ont pu rentrer dans leur famille, ça a soulagé un peu la structure, mais dans certains établissements, beaucoup de jeunes partis chez eux sont revenus au bout de dix jours, car les parents, souvent en situation difficile, craquent », souligne l’ancien directeur de l’association marseillaise Habitat alternatif social, spécialisée dans l’insertion des personnes en difficulté.

En soutien des professionnels…

L’homme sait de quoi il parle : retraité depuis 2018, il reste très investi dans le secteur social et, depuis le confinement, il s’est mis bénévolement à disposition téléphonique des professionnels qui ont besoin d’une supervision. Les appels émanent majoritairement de directeurs d’institutions. « Le responsable d’une très grosse association, dans l’Eure, qui gère plusieurs établissements dont une Mecs, m’a contacté. Il ne dispose ni de masques, ni de gel, ni de gants, alors que dix cas de coronavirus sont suspectés dans une des structures. De plus, il a récupéré des enfants des IME et Ditep [instituts médico-éducatifs et dispositifs instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques] qui ont fermé. Sur le pont tout le temps, il essaie de tout gérer comme n’importe quel directeur en ce moment. Mais il pleure quand il se retrouve seul tant il est difficile de faire son travail, rapporte Eric Kérimel. Les travailleurs sociaux sont mobilisés et font un travail extraordinaire mais l’Etat ne peut pas les envoyer au front et se contenter de leur dire “merci”. Ça ne suffit pas ! » Emmanuel Okounholla, chef de service à L’Eau Vive, a bien failli jeter l’éponge : « Je me définis comme un petit soldat. Mais, pour la première fois la semaine dernière, j’ai eu peur de me rendre au boulot, peur de contaminer les enfants et d’infecter ma famille en rentrant le soir. J’étais tétanisé. En arrivant à la Mecs le lundi, une collègue m’a lancé : “Bonjour Emmanuel, c’est reparti. Nous n’allons quand même pas abandonner ces enfants !” Cette phrase a suffi à me revigorer. Aujourd’hui, rien qu’en y pensant, j’ai les larmes aux yeux. »

… Engagés et déterminés

Eric Kérimel n’est pas moins ému de l’engagement et de la détermination des travailleurs sociaux, mais il fulmine à l’idée de savoir que, contrairement aux consignes annoncées le 24 mars par le secrétaire d’Etat chargé de la protection de l’enfance, Adrien Taquet, les professionnels de la protection de l’enfance des Bouches-du-Rhône ne trouvent pas encore de crèches ou d’écoles ouvertes pour garder leurs enfants afin qu’ils puissent assurer leur mission. Résultat, certains ne peuvent pas venir travailler et des Mecs, déjà en sous-effectif, se retrouvent démunies.

« Les directions sont obligées de recruter, pour trois heures par-ci par-là, des personnes qui ne sont pas expérimentées. Le secteur a toujours été sacrifié, on le sait, mais est-ce que cela signifie que les enfants des Mecs n’ont pas besoin de professionnels formés ? », interroge l’ex-éducateur. Ce dernier s’énerve aussi à l’idée que les fonctionnaires du conseil départemental, mis en télétravail, ne se rendent pas compte de ce que vivent les équipes : « Les autorités de contrôle appellent les professionnels de terrain de leur domicile en leur demandant pourquoi ils n’ont pas renvoyé les tableaux d’évaluation, en exigeant un détail sur un budget… alors qu’ils sont saturés de travail. » A L’Eau Vive, les professionnels vont recevoir une prime pour leur implication. Eric Kérimel aimerait qu’il en soit ainsi sur tout le territoire. Il en doute : « En protection de l’enfance, chaque conseil départemental réagit comme il en a envie. Il faudrait quand même qu’il y ait un jour un pilotage au niveau de l’Etat. » En applaudissant à 20 heures les soignants en première ligne dans cette crise sanitaire, Emmanuel Okounholla, lui, a tous les soirs de la gratitude pour les travailleurs sociaux des Mecs. Ces travailleurs de l’ombre « qui prennent des risques inouïs pour s’occuper des enfants confinés ».

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