Je nous sers une petite bière.
Après cette journée de travail, ça fait du bien. Ma femme somnole devant un film sans grand intérêt, le petit s’est enfin endormi… Une petite bière, à se partager entre amoureuses, parce qu’on l’a bien méritée après cette journée un peu compliquée. Oui, vraiment, on l’a bien méritée.
Je nous sers un petit verre.
D’habitude, on ne boit que de l’eau à table. Le vin, c’est pour les occasions : fêtes, invités, plat exceptionnellement bon, cuisiné avec plein d’amour et d’ingrédients… On a quelques bouteilles en réserve, au cas où, mais on n’y pense pas vraiment.
Mais ce soir, je sais pas… une envie d’un petit verre, comme ça, pour le plaisir, pour accompagner le bon petit plat tout simple, mais amoureusement préparé cet après-midi. « Et si on fêtait le confinement ? », lui ai-je suggéré en riant. Elle a souri. J’ai débouché la bouteille. On a savouré le vin avec plaisir.
Je nous sers un petit verre.
On n’avait pas fini la bouteille hier soir, alors je lui ai proposé un verre. Ce soir, pourtant, le repas est simple, pas de grande gastronomie : steak haché, coquillettes… Trop fatiguée pour faire autre chose. Et puis, surtout, marre que notre petit bonhomme rechigne et trépigne devant son assiette.
Allez, un petit verre pour se remonter le moral, et un deuxième pour finir la bouteille.
Je me sers une petite bière. La journée a été longue. Télétravail, école à la maison, ménage, courses… pfou, j’en peux plus ! Et la journée n’est pas finie ! Il y a encore le repas à préparer, puis la vaisselle, puis… J’ai besoin de quelque chose qui me donnera du courage.
J’aime pas boire toute seule. Mais exceptionnellement… pour une fois… en attendant que ma douce rentre du boulot… Allez, juste une petite bière.
Je me sers un petit verre. Ma femme n’en veut pas. Et elle s’étonne de ma proposition. C’est idiot d’ouvrir une bouteille, il n’y a rien à fêter. Ouais, bon ça va, hein !, pour une fois… Me regarde pas comme ça, c’est pas comme si je buvais tous les jours !
Je me sers un petit verre. La bouteille d’hier est restée sur la table. Il est midi, ma femme travaille, je suis seule avec le petit, je suis fatiguée, je suis énervée, je suis blasée. Ce confinement n’en finit pas…
Je me sers un petit verre. Elle est couchée, le petit aussi. Je suis seule au salon et je rumine. Je n’arrive pas à faire travailler le petit. Il y a trop de fiches, trop de devoirs, trop de cris. Je n’arrive pas à bosser. Trop de coups de fil, trop de mails, trop de stress. Je n’arrive pas à m’occuper de la maison. Trop de repas, trop de linge, trop de bordel. Trop de tout.
Je me sers un petit verre. Il est midi, le petit joue calmement dans sa chambre, ma femme est au boulot. J’ai bossé toute la matinée, je suis fatiguée, j’en ai marre, j’ai encore mille choses à faire et rien n’avance… Et puis zut, quel besoin ai-je de me chercher une excuse ? J’ai envie de me servir un verre, et puis c’est tout, il n’y a rien de mal à ça !
Je me sers un deuxième verre. Le petit n’a rien mangé, il a été odieux, j’ai perdu patience, j’ai crié, il a pleuré, et je m’en veux.
Je me sers un petit verre. Ma femme va bientôt rentrer. Je ne suis pas d’humeur à l’écouter me raconter sa journée.
Je me sers un petit verre. Grosse dispute ce soir. Je sais même plus de quoi c’est parti. Un truc con, sans doute. J’arrive pas à dormir.
Je me sers un petit verre.